Commémoration de l’esclavage, le bal des hypocrites
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En chapeau d’un article de 2014 sur Solitude, cette militante de la lutte contre l’esclavage, Jacques Soncin nous envoie le texte ci-dessous qui se passe de commentaire.
A faire lire à celles et ceux qui pensent que le racisme d’état n’existe pas ou plus...
LE GRAND BAL DES HYPOCRITES
Le 10 mai 2001, Christiane Taubira, alors députée de la première circonscription de Guyane, fait adopter par le parlement français une loi « tendant à la reconnaissance de la traite de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité ». C’est cette date qui a été retenue en 2006 par Jacques Chirac, alors Président de la République française, pour instituer une « journée nationale des mémoires de la traite de l’esclavage et de leurs abolitions ».
Quand on parle de crime contre l’humanité on évoque nécessairement des criminels contre l’humanité. Voilà qui semble d’une logique imparable.
Pourtant, quel est le grand roi qu’on nomme Soleil ? N’est-ce pas ce Louis XIV, autocrate méprisant qui a pris la responsabilité d’édicter le Code Noir, un texte ignoble qui organise l’esclavage et transforme, dans la loi, des êtres humains en simples choses, document imaginé et rédigé par son ministre Colbert ? Deux hommes qui sont encensés dans les écoles, les gazettes et les médias.
Le Code noir et l’esclavage sont abolis par la Révolution française, c’est notamment le résultat du travail de l’Abbé Grégoire. Le décret d’émancipation et d’abolition de l’esclavage, adopté par Robespierre et les membres de la Convention est enfin étendu aux colonies françaises, le 4 février 1794. L’abbé Grégoire a dû attendre 1989, près de deux siècles pour entrer au Panthéon…
En 1802, Napoléon Bonaparte, dictateur sanglant autoproclamé empereur, demande à son ministre de la justice, Claude Ambroise Régnier, de préparer une loi de rétablissement de l’esclavage, qu’il promulgue le 20 mai 1802. Pourtant ce criminel contre l’humanité, qui a aussi détourné la révolution française à son profit, qui a aboli la République et qui a créé une nouvelle monarchie est considéré comme l’un des plus grands hommes français. Quant à son obscur ministre de la justice, il est entré au Panthéon et ne l’a jamais quitté.
Enfin, l’armée napoléonienne a été sévèrement battue en Haïti et le 1er janvier 1804 ce pays devient la première République noire du monde. Mais la France, jusqu’à une date récente obligera ce pays sous menace militaire à payer une compensation aux esclavagistes dépossédés…
La dernière abolition de l’esclavage date du 27 avril 1848 sous l’impulsion de Victor Schœlcher, sous-secrétaire d’Etat aux colonies. Mais par la suite, la France distribuera l’équivalent de 4 milliards d’euros de compensations aux anciens propriétaires d’esclaves.
Lorsque Christiane Taubira, préparant son texte de loi a évoqué la possibilité de réparations, Lionel Jospin lui a répondu qu’il ne fallait même pas y penser !
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SOLITUDE, L’ESCLAVAGE ET NAPOLÉON
Lorsqu’on parle de l’esclavage, on oublie souvent qu’il s’agissait d’une véritable industrie et qu’il était totalement intégré au fonctionnement de la société avec son outil de production : l’enlèvement de personnes en Afrique ou leur achat auprès de potentats locaux, leur transport en Amérique ou aux Antilles et toute une réglementation assurant leur propriété, généralement à des colons. Un texte de loi particulièrement révoltant leur est consacré, le Code Noir, publié sous la responsabilité de Louis XIV et, quand les esclaves ont voulu se libérer, l’armée de la France leur a fait la plus sale guerre possible.
La Révolution française de 1789 fait souffler sur les Antilles un vent de liberté. Les planteurs craignent que les idées républicaines ne conduisent à l’abolition de l’esclavage. Ils font alors appel aux anglais qui occupent Saint-Domingue, la Martinique et la Guadeloupe, au début de 1794. Le 4 février de cette année-là, la convention abolit l’esclavage. Victor Hugues est envoyé en juin en Guadeloupe. Avec l’aide des esclaves libérés, les troupes républicaines repoussent les Anglais. Ayant pris le pouvoir, Napoléon Bonaparte décide dès 1802 de rétablir l’esclavage et il envoie 7.000 hommes, dirigés par le général Antoine de Richepanse combattre les républicains et les esclaves libérés en Guadeloupe. Ces derniers sont désorganisés et moins armés. La brutalité et la cruauté de Richepanse seront telles que les combattants préfèreront mourir que de se rendre : le capitaine Ignace, chef marron rallié à Victor Hugues, se suicide au fort de Baimbridge et le colonel Delgrès mourra avec trois cents de ses compagnons en faisant sauter le bâtiment où ils s’étaient réfugiés.
Parmi les crimes de Richepanse et ses sbires, l’exécution de Solitude fut particulièrement ignoble. Cette jeune femme est issue du viol de sa mère par un marin sur le bateau qui l’emmenait d’Afrique en Guadeloupe. Dès l’adolescence, elle choisit la résistance et devient « nègre marron ». Elle prend alors le nom de Solitude. A l’arrivée de Richepanse, elle se bat aux côtés des troupes républicaines avec l’énergie du désespoir. Après la défaite elle est arrêtée par les sbires de Richepanse. Enceinte, elle est condamnée à mort et pendue le lendemain de son accouchement, le 29 novembre 1802. Elle avait trente ans.Solitude
Pourtant ce Richepanse non seulement fut remercié par Napoléon mais la France donna son nom à une rue de Paris. Il fallut attendre 2001 et l’élection de Bertrand Delanoë pour que, sur sa proposition, le conseil municipal de la capitale décide à l’unanimité de débaptiser cette rue qui s’appelle désormais rue du Chevalier Saint George.
Ce dernier, fils d’une esclave et d’un colon, fut un grand compositeur, un champion d’escrime et capitaine de la Garde. Il vécut dans la deuxième partie du 18e siècle et mourut en 1799.
Mais il connût une deuxième mort quand le général Bonaparte, premier consul de la première République française , après avoir rétabli l’esclavage aux Antilles le 20 mai 1802, fit brûler toutes ses œuvres le même jour. Napoléon Ier interdit par la suite aux « noirs et gens de couleur » l’entrée à l’armée (29 mai 1802), l’accès au territoire métropolitain (2 juillet 1802) et — pour ceux qui s’y trouvaient déjà — par l’intermédiaire de Claude Régnier [1], les mariages entre les Noirs et les Blancs (8 janvier 1803). La destruction de ses œuvres plus les lois raciales qui furent édictées par la suite ont conduit à l’oubli total de Saint-George.Chevalier Saint-George
Jusqu’à ce que des auteurs comme Balzac, Dumas ou de Beauvoir redonnent vie à son immense talent…
Il est dommage que, dans les écoles de la France, on n’apprenne pas la véritable histoire de notre pays et les crimes terribles sur lesquels elle est parfois assise. La compréhension de notre monde, le vivre ensemble et donc la paix y gagneraient beaucoup !
Jacques Soncin
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[1] : « EXTRAIT d’une circulaire du grand juge ministre de la justice (Claude Ambroise Régnier) relative à la prohibition du mariage entre les blancs et les noirs.
Du 18 nivôse an 11 (8 janvier 1803).
Je vous invite, M. le préfet, à faire connaître, dans le plus court délai, aux maires et adjoints faisant les fonctions de l’état civil dans toutes les communes de votre département, que l’intention du Gouvernement est qu’il ne soit reçu aucun mariage entre des blancs et des négresses, ni entre des nègres et des blanches.
Je vous charge de veiller avec soin à ce que ses intentions soient exactement remplies, et de me rendre compte de ce que vous aurez fait pour vous en assurer.
Signé : Régnier »
Claude Ambroise Régnier, qui a été le bras armé de Napoléon pour le rétablissement de l’esclavage est entré au Panthéon en 1814 et n’en est jamais sorti.
L’abbé Grégoire qui fut l’instigateur de l’abolition de l’esclavage en 1794, n’est entré au Panthéon qu’en 1989….
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