Conférence de presse à la Busserine : « la priorité c’est l’emploi »

lundi 28 mai 2018
par  Charles Hoareau
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Lundi dernier, 21 mai, une fusillade éclatait dans cette cité des quartiers Nord de Marseille projetant bien malgré eux les 4000 habitantes et habitants du quartier sous le feu médiatique. Face à cette déferlante journalistique, aux propos irresponsables et irrespectueux du président de la république et de son gouvernement montrant surtout leur mépris et leur méconnaissance du réel du quotidien des habitant-e-s des quartiers populaires, le comité de veille du quartier réagissait.

« Nous, Comité de Veille Busserine-St Barthélémy, regroupant habitants, usagers, travailleurs sociaux et associations de ce territoire, nous prenons la parole par ce communiqué de presse, suite aux événements tragiques du lundi 21 mai 2018.
Il s’agit d’un évènement inacceptable et qui ne doit pas être banalisé.
Cet événement n’est pas isolé, c’est vrai ; et nous sommes trop fréquemment victimes de violences de ce type, alors que notre premier souhait est de vivre en sécurité dans un état de droit.
Nous voulons aussi réagir à ce que nous avons pu entendre dans les médias.
- Non, nous ne sommes pas complices.
- Non, le réseau et le trafic ne nous font pas vivre.
- Non, cette situation n’est pas la contrepartie d’un choix qu’auraient fait les habitants du quartier, de laisser proliférer les trafics pour en profiter.
- Oui, nous aspirons à vivre dans le calme et la tranquillité, à l’égal des autres citoyens de ce pays, en profitant des mêmes droits, et avec la même égalité de traitement.
Nous refusons d’être assimilés à cette violence, dont nous sommes victimes et non complices.

Aujourd’hui, les conséquences de cet événement impactent le quotidien des habitants :
- des parents ont peur d’envoyer leurs enfants à l’école
- des habitants mettent des meubles devant leurs fenêtres pour éviter les balles perdues,
- on évite de sortir dans la rue.
Cette peur vient renforcer l’état d’inquiétude générale des habitants, due au stress de la précarité économique et du chômage, au retrait des services publics, aux chantiers permanents de « rénovation urbaine », à l’étranglement financier des associations de proximité… que nous vivons sur nos quartiers.

Malgré cela les habitants sont mobilisés et engagés au quotidien pour vivre dignement. Ils s’organisent, comme dans tous les quartiers, et peut être plus qu’ailleurs, pour apporter de l’animation et créer des événements festifs et citoyens. Leurs compétences et leurs expériences permettent de construire des réponses à ce qu’ils vivent au quotidien.

La Busserine est un quartier où il fait bon vivre, malgré les évènements de lundi soir.
Nous sommes prêts à en témoigner lors, d’une conférence de presse, organisée le
vendredi 25 mai à 12h00, au Centre social Agora.

Tout naturellement Rouge Midi a répondu présent à cette invitation.

La salle de l’Agora, comme il fallait s’y attendre était pleine de monde, témoignant de l’émotion des présentes et présents.

Face à la salle, une table avec 5 femmes et un homme et derrière eux une rangée de jeunes.
Les uns après les autres ils parlent et leurs propos sont lourds de sens et d’une colère trop longtemps retenue. Après avoir dénoncé la stigmatisation ressentie dans les propos accompagnant les vidéos tournant en boucle sur les chaines de télévision et déploré que l’on ne parle d’eux que dans des circonstances pareilles ils donnent leur vision des choses sans détour et sans langue de bois.
Les interventions se succèdent. Pêle-mêle :
- Une responsable de l’association de parents d’élèves : « Ici il y a 400 élèves en primaire et les moyens consacrés sont insuffisants. Seuls 40 élèves en difficulté sont pris en charge. Les associations bénévoles font leur travail, alors que l’Etat ne fait rien »
- Un autre intervenant :« La priorité c’est l’emploi (applaudissements)… Il a été investi des milliards dans la rénovation, n’importe comment, sans concertation. Si on nous avait demandé notre avis l’argent aurait été bien mieux utilisé. »
- Une autre : « Le quartier était jonché de seringues et de gravats et pendant des mois à cause des travaux [1] on n’avait pas de lumière le soir dans les espaces extérieurs. C’est nous qui avons fait le travail d’éducation et de propreté. L’Etat ne résout pas les trafics, pire il enlève les moyens aux associations et à chaque fois qu’on enlève les moyens aux associations, on nourrit le trafic. »

- « Le Plan Borloo a fait pschitt. On n’attend pas un centime de l’Etat, on attend qu’il s’attaque simultanément aux causes de la situation actuelle : l’emploi, l’école, la justice…. Qu’il respecte les circulaires qu’il a lui-même édictées…On ne veut pas de politique de la ville, on veut que le droit commun s’applique aussi dans les quartiers… Le PPP [2] est très juteux (…) Pourquoi ils n’ont pas exigé le mieux-disant social ? Pourquoi ils n’ont pas embauché 20% d’emplois locaux comme ils l’avaient promis ? »

Je ne peux m’empêcher de penser à la lutte, il y a quelques années, des chômeurs du 15/16, autre secteur des quartiers Nord de Marseille, où nous avions eu la force de bloquer le chantier à plusieurs reprises, d’envahir l’antenne ANPE de l’Estaque et d’imposer au final l’embauche prioritaire des chômeurs des quartiers Nord.

- « En fait chaque fois les pouvoirs publics réagissent dans l’urgence alors qu’il faut anticiper. Il faut nous entendre »
- Un jeune se lève : « je suis membre du collectif jeunes du quartier. Ici il y a aussi de belles choses qui se font et dont personne ne parle. Les chiffres qui sont annoncés dans la presse [sur les gains supposés du trafic] sont faux. Il ne faut pas banaliser ce qui s’est passé mais il faut aussi se calmer. Travailler légalement ça paye plus. Mais les travaux qui n’en finissent pas ne sont pas pour nous. Pourtant ici 70% des jeunes ont le bac. Ne voyez pas que les mauvaises choses ».
- Le mot de la fin reviendra à cette dame qui dit « On réfléchit à la suite. On veut créer un événement contre la violence : une marche ? des ateliers ? Un théâtre forum ? En tous cas notre réseau est plus fort que leur réseau ».

La parole est ensuite donnée à la salle où un élu Front de gauche, applaudi par l’assemblée, soulignera les propos « inacceptables » du président Macron accusant les familles du quartier d’être complices des bandits et l’attitude de Gaudin qui n’est « pas le maire de tous les marseillais », une autre personne de l’assistance posera une question très appréciée « Gérard Collomb est venu ici accompagné d’un élu mis en examen [3] [et condamné NDLR] pour un détournement de 2 millions d’euros, c’est quoi le message : Les crapules parlent aux crapules ? »

Les propos s’enchainent les uns après les autres dans cette salle qui porte bien son nom ce samedi.
En repartant pensif, je reprends à pied le chemin (ou plutôt le passage étroit) qui mène au bâtiment d’à côté. Par le haut de la cité on peut accéder au centre en voiture mais par le bas, le plus simple c’est d’y aller à pied à travers les palissades de chantier.

Des camions qui frôlent les immeubles, des espaces en attente de la fin d’un provisoire qui n’en finit plus, la poussière et le bruit qui envahissent tout, comment font-ils les gens pour supporter cela ? Les vrais héros du quotidien ce sont eux...

Il y aurait bien besoin que le comité chômeurs reprenne de la force, qu’ici les gens, au-delà du travail admirable de ténacité qu’ils font dans l’ombre dans des associations diverses, reprennent espoir dans la lutte collective avec les oublié-e-s et exclu-e-s des cités voisines, il y aurait bien besoin que le mouvement ouvrier, qu’il soit syndical ou politique, s’enracine à nouveau au cœur de ces quartiers, se nourrisse de leur réflexion, et offre à toutes et tous une perspective de jours meilleurs bâtie avec eux, par eux et pour eux…
C’est justement modestement ce que nous, ANC 13, essayons de faire ici…


Ayant fini cet article, avant sa parution, j’ai cliqué sur Internet : conférence de presse agora Busserine. Je n’y ai vu que des articles faisant référence à Gérard Collomb ou au préfet...A croire que le chemin est encore long pour que la population soit entendue...ou que le propos dérange...


[1Une autoroute urbaine dont le projet remonte aux années 1930 est en cours de réalisation avec un chantier qui longe de près les bâtiments et perturbe la vie de la cité depuis des années

[2partenariat public-privé qui régit le chantier de la L2



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