Où en est l’Afrique du Sud ?

mardi 29 novembre 2016
par  Charles Hoareau
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Thank you to Tando of NEHAWU

Périodiquement la presse française et internationale (particulièrement le Washington Post aux USA) donne des nouvelles alarmantes venues l’Afrique du Sud. Il y a eu la grève des mineurs de Marikana en 2012 dont on a seulement et vaguement su en France qu’il y avait eu 34 morts par la répression policière, le scandale de sa résidence privée que le président de la république Jacob Zuma a fait refaire avec l’argent public, les élections d’août 2016 où « l’ANC a enregistré une perte historique », les manifestations pour le départ de Zuma à la tête desquelles se trouve un homme qualifié d’extrême gauche Justus Malema.

Juste quelques éléments pour aller un peu plus loin

A la fin de l’apartheid, quand l’ANC prend le pouvoir par les élections en 1994, le pays est marqué au fer rouge par les années de ségrégation raciale depuis 1948. La pauvreté est immense, le sous équipement aussi. A ces problèmes sociaux et économiques se rajoute le fait que nombre de blancs n’acceptent pas la fin de l’apartheid et le pays est au bord de l’implosion. Nombre de ceux qui commentent aujourd’hui les difficultés du pays prédisaient alors la guerre civile… Pour mémoire rappelons qu’alors que l’ANC prend le pouvoir en 1994 elle est classée, de même que Mandela comme organisation terroriste par les USA jusqu’en…2008 ! ça aide pas forcément pour des relations internationales…
C’est donc une tâche immense à laquelle se sont attaqués Mandela et l’alliance tripartite au pouvoir : ANC, SACP (parti communiste) et COSATU (syndicat des travailleurs).

22 ans après où en sommes-nous ?

Plus d’un million de logements ont été construits ce qui correspond à près de la moitié du besoin de constructions estimé en 1994 soit plus de 5 millions de personnes sur 12 millions en attente. L’électrification est maintenant une réalité pour la majorité des habitants du pays de même que l’accès à l’eau potable, souvent gratuite. De même sur les salaires depuis 2001, les familles noires ont vu leur revenu progresser de 169% contre 88% pour les familles blanches. Les données de la banque mondiale elle-même confirment cela En 20 ans il a donc été fait bien plus que pendant les près de 40 ans d’apartheid.
Pour autant cela ne suffit pas. Au rythme actuel et si rien n’est fait, il faudrait 60 ans pour que les salaires des noirs rattrapent ceux des blancs. Actuellement un foyer blanc gagne en moyenne six fois plus qu’un foyer noir (environ 3 000 euros par mois, contre moins de 500 euros). Le chômage touche plus d’un quart de la population mais 29% des Noirs, contre 4% des Blancs. Et 62% des Noirs vivent sous le seuil de pauvreté contre 1% des Blancs. On peut encore ajouter que seuls 8,3% des Noirs ont poursuivi leurs études après le baccalauréat contre 36% des Blancs. C’est cette persistance des inégalités qui crée des tensions et des impatiences.

La grève des mineurs de Marikana avait ces revendications au cœur. Les grévistes demandaient le triplement de leur salaire ce qui n’est pas fréquent (!). Que s’est-il passé entre les ouvriers ? Tout ce qu’on peut dire avec certitude c’est que rapidement le ton est monté entre grévistes et non-grévistes ces derniers étant soutenus par le syndicat NUM affilié à la COSATU. Des violences ont éclaté et 12 non-grévistes ont été tués dont deux policiers et deux agents de sécurité brûlés vifs. Cet événement n’a fait aucun bruit ailleurs que dans le pays. Quand on voit comment les images des chemises déchirées de deux non-grévistes d’Air France ont fait le tour du monde cela laisse songeur...

Quelques jours plus tard, des affrontements des grévistes avec la police ont fait 34 morts et c’est ce dernier événement qui a fait le tour du monde et non le précédent.
Lors de la commission d’enquête les policiers plaidaient la légitime défense version contestée du côté des grévistes et il y a eu évidemment par la suite, scission dans le syndicat avec côté grévistes la création de l’AMCU, syndicat se disant « apolitique et non communiste » (sic !) les autres mineurs restant à la NUM.

C’est dans ce contexte qu’intervient l’affaire Zuma. Le président est accusé d’avoir utilisé des fonds publics pour la sécurisation de sa maison privée et d’être corrompu par des liens avec une famille de riches indiens qui investissent en Afrique du Sud.

Evidemment ce contexte d’inégalités sociales et de grande pauvreté, la violence lors des grèves de mineurs et enfin les accusations de corruption, profitent à l’opposition qui progresse aux élections. De là à dire qu’il s’agit d’un raz de marée on est loin du compte. Aux dernières élections locales l’ANC obtient 56% contre 61% aux précédentes mais exactement le même score qu’aux élections nationales antérieures. Il y a bien recul mais il faut le relativiser. D’autant que derrière, les deux partis concurrents, le DA (parti issu des afrikaners et clairement pour le capitalisme) fait à peine 27% et l’EFF (le parti de Malema) fait 8 %. Tous les deux en progression mais bon, même si l’ANC a perdu la gestion de plusieurs villes, il y a encore de la marge. Imaginons un peu qu’ici un parti fasse le même score et ce, au bout de 20 ans de pouvoir : personne ne parlerait de résultat catastrophique.

Concernant l’EFF et son bouillant leader Malema, elle est souvent présentée ici comme parti d’extrême gauche « radicale » mot à la mode y compris par notre extrême gauche à nous qui la soutient sans réserve et, ce qui est moins fréquent et peu paraître paradoxal, par une presse que l’on connait par ailleurs guère critique vis-à-vis du capital français et encore moins soutien de ceux qui sont ici qualifiés de tenants de la gauche "radicale" ! A y regarder de plus près il vaut mieux être prudent sur le radicalisme supposé... Certes l’EFF s’adresse aux pauvres et dit qu’il faudrait nationaliser les entreprises et les banques – et ce n’est surtout pas nous qui allons dire le contraire – qu’il faudrait donner la terre aux noirs, mais en même temps son leader, lui-même richissime (par on ne sait quel miracle !) et compromis depuis longue date dans des affaires de corruption tient un discours en totale contradiction avec des idées de justice et d’égalité et n’hésite même pas à se contredire lui-même. Malema a été exclu de l’ANC à cause de ses propos racistes envers les blancs et ses incitations à la haine et même au meurtre ce qui lui a valu procès et condamnation. Cette même volonté de meurtre il l’a exprimé à plusieurs reprises contre l’ancien président, puis contre l’actuel allant jusqu’à déclarer qu’il était à bout de patience et que s’il le fallait il prendrait le pouvoir au bout du fusil.
Son positionnement politique n’est pas plus clair quand il s’agit de ses alliances.

Si l’EFF et lui-même ont refusé toute alliance tant avec l’ANC qu’avec la DA ils ont cependant décrété que cette dernière était le « meilleur des deux diables » et ont fait pencher en sa faveur la balance lors de l’élection des maires et responsables municipaux. Entre les partisans du capital et un régime où les communistes sont une composante essentielle, l’EFF a choisi. C’est sans doute ces positions qui lui valent la sympathie de la presse connue en Europe et aux USA pour son hostilité aux communistes. [1]

Un autre point devrait retenir l’attention de celles et ceux qui s’intéressent à ce pays, c’est celui du financement de l’opposition, toutes organisations confondues. Et là apparaissent d’autres éléments à prendre en compte. Au premier rang des financeurs de l’opposition, sans qu’il soit possible de déterminer avec précision qui des deux partis a reçu quoi, tant l’opacité domine, il y a « L’ONG » néoconservatrice américaine Freedom House, active à Johannesburg dirigée par Vukasin Petrovic, un des onze Serbes qui ont fondé en son temps l’organisation Otpor [2]. Après la chute de Milosevic, Petrovic a été déployé en Ukraine pour y fomenter la révolution orange, puis en Afrique du Sud pour y fonder la Open Society Foundation for South Africa, filiale de la Open Society Foundations, "l’ONG" du milliardaire américain George Soros [3] . Cette fondation publia un article qui disait au sujet du gouvernement : « Ils devraient se souvenir que cela n’a pris que trois petites années pour complètement discréditer l’héritage politique de Joseph Staline. Ils devraient également réfléchir sur la façon dont Kadhafi a fini ses jours, apparemment sodomisé avec un bâton. Et ils devraient s’interroger : "Est-ce que c’est comme ça qu’on se rappellera de moi ? ».

Cette liste des financeurs éclaire à elle seule sur ce qui est en jeu en Afrique du Sud pour le capitalisme international : en finir avec un pays qui, même avec des erreurs, des lenteurs et la persistance d’injustices veut mettre en place un programme ambitieux d’accession à son indépendance énergétique, programme violemment critiqué à Washington, un pays qui a rejoint les BRICS [4], demande le démantèlement de l’OTAN et est dirigé par un gouvernement qui affirme son anti impérialisme et dans lequel les communistes ont un grand poids.

Mulema à la tête de l’EFF, en hurlant avec les loups montre qu’il est soit irresponsable, soit opportuniste et se fout complètement des nationalisations qui ne sont qu’un prétexte pour lui pour viser le pouvoir.

Il reste que l’ANC doit, comme l’a dit un de ses dirigeants faire son introspection après le coup de semonce des élections. Le NEHAWU [5], demande, comme les vétérans de l’ANC, lui aussi la démission de Zuma qui est, selon lui, dans une position « intenable ». L’Afrique du Sud qui, par la maitrise des élections, vient de prouver au monde qu’elle n’avait aucune leçon de démocratie à recevoir, y gagnerait sans doute encore en crédibilité.

Le secrétaire général du SACP disait à la tribune du congrès de la FSM à Durban : « Nous ne devons pas seulement parler de l’impérialisme mais mettre l’accent sur nos faiblesses sur lesquelles l’impérialisme va s’appuyer. Le défi principal en Afrique du Sud depuis 94 et la montée au pouvoir de l’ANC est sa politique sociale…On va continuer avec l’ANC parce que nous pensons que c’est bon pour les pauvres mais le jour où l’ANC sera capturée par le mouvement impérialiste nous bâtirons une autre alliance. Malgré ces progrès nous n’avons pas encore changé la donne dans l’économie capitaliste : chômage et pauvreté. Nous n’avons pas pu nous lancer pleinement dans le progrès. Il y a une élite noire mais ce n’est pas le plus grand nombre. Il y a 4 banques principales, le SACP a lancé une campagne pour changer le secteur bancaire. Nous voulons des interventions pour la consommation et non pour les investissements…on a besoin de banques orientées vers le peuple et le développement… Nous avons besoin d’appuyer et de renforcer la COSATU alors que l’impérialisme voudrait créer gouffre entre SACP et COSATU. Ils ont voulu le faire en Europe ils ne le feront pas ici. Quand les forces de libération arrivent au pouvoir elles doivent faire face à de nouveaux défis. Un poste politique devient un moyen de se faire de l’argent. Tous les mouvements de libération ont eu à affronter cela. La menace la plus immédiate c’est l’émergence de la bourgeoisie parasite et qui fait qu’on n’a plus les armes contre le capitalisme qui est notre premier ennemi … Ici en ce moment il y a beaucoup de manifestations estudiantines. La question des frais scolaires est un problème global du manque de soutien du système capitaliste dans le monde. Le prochain cycle de crise émergera des dettes des étudiants. La lutte des étudiants d’Afrique du Sud est légitime. On doit financer les études et plus particulièrement celles des pauvres … L’impérialisme ne peut accepter qu’un parti issu des luttes de libération soit toujours au pouvoir 20 ans après. Nous continuons à relever ce défi avec la classe ouvrière d’Afrique du Sud. »

Ces paroles résonnent fortement dans le contexte d’aujourd’hui. Les réponses pour l’Afrique du Sud sont certainement à chercher dans cette voie.

Et quant à nous ici en Europe nous devons soutenir l’Afrique du Sud, shoulder to shoulder [6] comme disent ses militants…pour que leur cri de ralliement AMANDLA AWETHU "le pouvoir au peuple" devienne toujours plus une réalité.


[1On peut citer pèle-mêle nombre de grands journaux anglais, américains et bien sûr français...

[2organisation politique, créée en 1998, avec le soutien de l’organisation américaine National Endowment for Democracy, et du milliardaire George Soros

[3Pour mémoire en octobre 2011, George Soros avait adressé une lettre ouverte aux dirigeants de la zone euro publiée dans le Financial Times, les sommant de répondre à la crise de la monnaie unique par... plus d’Europe. La lettre a été signée par 95 autres personnalités européennes comme Javier Solana, Daniel Cohn-Bendit...

[4Alliance du Brésil, de la Russie, de l’INde, de la Chine et de l’Afrique du Sud ayant une puissance économique supérieure à l’UE et quasiment égale à celle des USA

[5syndicat de l’éducation et de la santé, l’un des principaux syndicats de la COSATU

[6littéralement épaule contre épaule



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