Le réchauffement climatique aggrave la situation au Moyen Orient

samedi 9 juillet 2016
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Les néoconservateurs américains espèrent qu’ils pourront enfin réaliser leur rêve de bombarder le gouvernement syrien, mais la crise au Moyen-Orient, aggravée par le changement climatique, ne sera pas résolue par une nouvelle guerre.

Pendant que les responsables US débattent sur la nécessité de lancer une attaque militaire contre le gouvernement du Président Bachar Al-Assad (comme si la Syrie ne souffrait pas déjà assez de la guerre et d’intervention étrangère), les États-Unis continuent d’ignorer des phénomènes patents qui ont contribué au déclenchement de conflits récents au Moyen-Orient et menacent de causer d’avantage de chaos au cours des décennies à venir.
Sur le long terme, notre ennemi numéro un ne serait pas Assad, ni même Abou Bakr Al Baghdadi (leader de l’EI), mais le changement climatique. Les prévisions réalisées par les climatologues et qui démontrent que le Moyen-Orient deviendra pratiquement inhabitable d’ici la fin du siècle – sauf à ce qu’une action mondiale soit mise en place pour réduire la pollution liée au carbone – rendent nécessaire une autre approche des conflits actuels.

Les experts n’ont eu de cesse au cours de ces dernières années d’alerter sur les conséquences à la fois sociales et politiques des tensions liées à l’environnement. Il convient d’avoir présent à l’esprit cette mise en garde émise par l’Institut International en faveur du Développement Durable en 2009.

‘‘Le Moyen-Orient est déjà la région du monde qui dépend le plus des importations de céréales […] Si le changement climatique commence à réduire les rendements agricoles en même temps qu’augmentent les prix des denrées alimentaires sur les marchés internationaux […] l’insécurité alimentaire, qu’elle soit subie ou perçue, ira en augmentant […]. Ceci pourrait avoir comme conséquence la remise en cause de l’équilibre stratégique et économique de chaque pays de la région […] Comme le soulignait l’analyste en sécurité et journaliste Gwynne Dyer, ‘‘manger régulièrement est non négociable, et les pays qui ne parviendront plus à subvenir aux besoins de leur population, pourraient ne plus être aussi ‘‘raisonné’’.’’

Une année plus tard, une tempête digne de ce nom permit à cette prédiction de se réaliser. Les pluies diluviennes qui se sont abattues ont réduit les récoltes de blés au Canada – le 2e pays exportateur de blé – de pratiquement 25%. La sécheresse et les feux de forêt qui ont touché la Russie ont causé la perte de près de 40% des récoltes de blé. Les conditions climatiques extrêmes de la fin 2010 ont également dévasté les récoltes aux États-Unis et en Argentine. La Chine, considérée comme le plus important producteur de blé, s’est vue contrainte de s’approvisionner sur les marchés internationaux suite à la sécheresse du Siècle.

Le chaos se propage

La conséquence ne s’est pas faite attendre ; les prix du blé ont doublé entre l’été 2010 et février 2011, atteignant un niveau record. Le pic a touché le Moyen-Orient – région qui compte 9 des plus importants importateurs de blé per capita – causant les mêmes ravages qu’une marée de criquets. Les manifestants tunisiens, berceau du « printemps Arabe », ont brandi des baguettes pour montrer leur colère face aux prix des denrées alimentaires.

Des manifestations similaires ont touché le Yémen et la Jordanie. En Égypte, où 40% du salaire est consacré à la nourriture, et où le pain compte pour un tiers dans l’apport calorique moyen, la crise alimentaire a nourri le mécontentement populaire qui a été à l’origine des manifestations massives du printemps contre le gouvernement sur la Place Tahrir.

Dans le déjà très appauvri Sahel, les sécheresses à répétition et la désertification ont conduit des centaines de milliers de migrants désespérés vers la Libye ces dernières années. Le conflit entre les Arabes locaux et les populations noires originaires d’Afrique subsaharienne a été un élément déclencheur des soulèvements contre Muammar Khadafi. Ses opposants ont soufflé sur les braises de la révolte en accusant les migrants noirs de prendre le travail des Arabes et d’être des mercenaires au service du maintien au pouvoir de Khadafi. Conséquence, les rebelles soutenus par l’Occident ont torturé et massacré des milliers de migrants de couleur.

En Syrie, la pire sécheresse de l’histoire du pays (qui a duré 4 ans), a chassé de leurs fermes des centaines de milliers de familles affamées entre 2006 et 2010. Cette immigration massive a littéralement submergé le gouvernement Assad, déjà en proie à des sanctions économiques et à l’arrivée massive de réfugiés irakiens qui ont fui la guerre menée par les États-Unis. Les ingrédients pour une révolte étaient alors réunis et les dissidents ont allumé la mèche, aidés en cela par les ripostes disproportionnées du régime et confortés par l’intervention étrangère

Quatre années plus tôt, l’ONU prédisait que l’Égypte pourrait connaître une pénurie d’eau en 2025, essentiellement en raison de la croissance de la population et les détournements d’eau en provenance du Nile. Le changement climatique a accéléré le calendrier.
Selon des rapports récents, “le manque d’eau potable a touché plusieurs régions de l’Égypte et la soif s’est installée pendant deux semaines, en pleins préparatifs du mois de Ramadan, générant une frustration populaire qui s’est exprimée dans la rue pour dénoncer l’échec de la part des autorités à endiguer le phénomène […]. Les pénuries d’eau ont exacerbé les difficultés d’un Ramadan en Égypte déjà compliqué en raison d’une hausse des prix des denrées alimentaires de 12.7% en Avril (comparé au même mois l’an dernier) […] le prix du riz (qui sert d’étalon en Égypte), a plus que doublé comparé au mois de Ramadan 2015. »

Le bourbier Irakien

Le changement climatique s’abat sur un Irak déjà dévasté. Comme l’ont mentionné trois experts dans une mise en garde parue dans le magazine Foreign affairs l’an dernier, ‘‘Le bassin composé du Tigre et de l’Euphrate et qui alimente la Syrie et l’Irak, est en train de se tarir à une vitesse considérable. Cette vaste étendue d’eau s’efforce déjà d’approvisionner en eau pas moins de 10 Millions de personnes déplacées en raison du conflit. Et les choses pourraient empirer très prochainement : l’Irak atteint un point critique[…]. A Karbalah, les paysans sont désespérés et envisagent sérieusement d’abandonner leur terre. A Bagdad, les quartiers les plus pauvres s’en remettent à la Croix Rouge pour l’eau potable’’.

Plus au Sud, les fameux marais irakiens sont en train de s’assécher. Ce qui a été qualifié lors d’un reportage récent réalisé par NBC News de ‘‘catastrophe dans un des marais les plus importants au monde’’ est en train de devenir une urgence humanitaire. En plus d’anéantir la vie d’éleveurs et de pêcheurs, cela a contribué à augmenter la fréquence et l’intensité des tempêtes de sable et de poussière, s’étendant même à l’Iran et au Koweït. De nombreux habitants présentent de sérieux problèmes respiratoires en conséquence.

La course à l’approvisionnement en eau douce aggrave plus encore les conflits de la région. La Turquie, qui se trouve en amont de la Syrie et de l’Irak, a drastiquement réduit l’approvisionnement en eau de ses voisins depuis 1975 pour alimenter sa population urbaine et agricole. Elle s’est lancée dans la construction de nouveaux barrages pour récupérer d’avantage d’eau, et ce en dépit des protestations internationales et même de menaces d’actions militaires de la part de ses voisins.

Pendant ce temps, en Irak, le gouvernement régional kurde a menacé de confisquer l’eau d’irrigation dans sa lutte de pouvoir qui l’oppose à Bagdad. Et ISIS, qui contrôle les principaux barrages du pays, a installé des fermiers dans 4 provinces à risques majoritairement chiites en coupant la source d’eau depuis l’Euphrate.
Les défis politiques, économiques et sociaux liés à la sécheresse, les températures et les maladies qui en découleront s’intensifieront dans la région. Comme l’a récemment souligné un spécialiste du climat de l’Observatoire de la Terre du Lamont Doherty : ‘‘La Méditerranée est l’une des régions unanimement reconnues (par les modèles climatiques) comme une zone de sécheresse en devenir (en raison de l’influence de l’activité humaine sur le changement climatique). »

Le Président Obama l’a souligné en 2014 ‘‘ Si vous regardez l’histoire du monde, chaque fois qu’un peuple est deséspéré, ou qu’il manque de nourriture, ou qu’il n’est pas en mesure de gagner sa vie ou de prendre soin de sa famille, alors cela constitue le terreau idéal aux idéologies les plus dangereuses.’’ Les Etudes scientifiques prouvent qu’il a eu raison.

La surenchère guerrière n’est pas une solution

Deux chercheurs du Centre pour le Progrès Américain ont déclaré en 2013 ‘‘Compte tenu de la complexité de ces défis, une nouvelle approche est nécessaire. Les États-Unis, leurs alliés et la Communauté Internationale doivent amoindrir l’importance accordée aux notions traditionnelles de sécurité, d’avantage adaptées au contexte de la guerre Froide, et ils devraient se concentrer sur des moyens plus appropriés tels que la sécurité humaine, une préservation du niveau de vie et un développement durable. »

Cette leçon, bien entendu, s’appliquera d’avantage à travers le monde, à mesure que les sécheresses mettront en péril la production alimentaire et énergétique, que le niveau des mers menacera des nations insulaires ou les villes côtières et que le réchauffement climatique sera la cause de nouvelles maladies.

Si les États-Unis veulent agir en tant que nation ‘‘incontournable’’, il est temps pour Washington de faire montre d’un plus grand leadership dans la lutte contre le changement climatique et d’apporter un soutien aux pays les plus touchés et par les énormes tensions que cela engendrera.

JONATHAN MARSHALL le 07/07/2016

Transmis par Linsay



Traduit de l’anglais par Mustapha Bahman

Jonathan Marshall est auteur et co-auteur de 5 livres sur les questions internationales dont The Lebanese Connection : Corruption, Civil War and the International Drug Traffic (Stanford University Press, 2012)



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