ELECTIONS EN CATALOGNE : la lutte des classes aux oubliettes

lundi 12 octobre 2015
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Je viens de passer trois semaines en ESPAGNE ou j’ai donc pu assister en direct à la campagne électorale pour l’élection de députés de la communauté autonome de CATALOGNE et les premiers mots qui me viennent à l’esprit sont : lamentable et consternant.

En préambule et au vu des réactions de notre presse et même de certains internautes, il n’est pas inutile de rappeler que ces élections, n’avaient pas pour but de voter pour ou contre l’indépendance, il s’agissait d’une élection régionale anticipée voulue par MAS le président indépendantiste de la généralitat, élection que les indépendantistes de droite de convergencia et de gauche de la CUP [1] ont voulu transformer en plébiscite pour l’indépendance .
Rappelons que les gouvernants sortants sont les indépendantistes de la coalition convergencia/unio dirigée par MAS et qui ont appliqué avec zèle la politique d’austérité exigée par l’UE et voté tous les textes antisociaux et liberticides de RAJOY [2] et du Parti Populaire. Cette volonté de proclamer unilatéralement l’indépendance après l’élection a été mise en échec puisque l’ensemble des partis indépendantistes s’ils recueillent la majorité en sièges, sont minoritaires en voix avec seulement 48%, loin du raz de marée qu’ils annonçaient à grands cris

Je dis que cette campagne a été lamentable et consternante parce qu’alors que la CATALOGNE comme toute l’ESPAGNE est durement touchée par la crise, que le mesures d’austérité ( les recortès ) répandent le chômage, la misère avec la baisse ou la suppression des allocations de retraite, la précarité notamment chez les jeunes, la destruction des services publics, la fermeture d’hôpitaux d’établissements scolaires etc ... AUCUN PARTI N’A FAIT DES PROPOSITIONS SERIEUSES POUR SORTIR DE CETTE CRISE , l’essentiel du débat a porté sur : LA CATALOGNE INDEPENDANTE PEUT ELLE ETRE MEMBRE DE L’UE !!!

La focalisation volontaire du débat sur ce sujet relève de l’enfumage et marque la volonté de TOUS d’occulter les vrais problèmes et d’y apporter des solutions puisque TOUS LES PARTIS connaissent la réponse à la question qu’ils se posent eux-mêmes : les traités de l’UE - et JUNKER MERKEL et consorts l’ont rappelé - indiquent clairement qu’une région autonome d’un pays membre qui opterait pour l’indépendance se placerait de facto hors de celle-ci, devrait faire une nouvelle demande d’adhésion et serait placée à la fin de la file des prétendants . Seuls les indépendantistes de MAS ont fait semblant d’ignorer de fait et ont continué de dire avec un autisme de plomb que la CATALOGNE indépendante était viable puisqu’elle resterait dans l’UE et continuerait donc à bénéficier de ses subventions. Si trop de catalans, animés d’un fort ressentiment bien entretenu à l’égard du pouvoir central se sont laissés abuser par le discours de MAS celui-ci a néanmoins échoué dans son entreprise puisque convergencia allié avec ERC (gauche républicaine de Catalogne) recueille moins de voix qu’il y a cinq ans mais surtout parce qu’une majorité de catalans ( 52 %) ne l’ont pas suivi .

L’autre parti indépendantiste, la CUP qui se proclame indépendantiste et anticapitaliste et qui se complait à donner des leçons de pureté révolutionnaire aux autres partis de gauche, a eu un comportement très ambigüe pendant toute la campagne, à la fois pour ratisser large et pour avoir les mains-libres après les élections. La CUP a concentré ses attaques sur la personne de MAS en ménageant convergencia et ERC mais a également le plus souvent réservé ses critiques à la liste d’unité populaire SI QUE ES POT [3] soutenue par IU [4] et PODEMOS alors que c’est la seule liste qui propose une nouvelle constitution pour l’ESPAGNE sur la base du fédéralisme permettant aux états qui le souhaiteraient d’opter pour l’indépendance par référendum, référendum souhaité par tous les partis indépendantistes mais interdit par l’actuelle constitution. Cette tactique opportuniste a permis à la CUP de progresser fortement en mordant sur l’électorat de MAS et de PODEMOS mais c’est maintenant que la CUP va devoir clarifier sa position : ou elle trahit ses électeurs , en apportant son soutien à la droite indépendantiste responsable de l’ austérité ou elle reste dans le refus de l’alliance avec les listes d’unité populaire et dans les deux cas son succès actuel sera de courte durée et ne fera pas progresser le processus de l’indépendance ...LA CUP doit pourtant savoir que la barrière n’a que deux côtés .

Le PARTI POPULAIRE ( PP) fidèle à lui-même a campé sur ses positions de défenseur de l’ESPAGNE UNE ET INDIVISIBLE , a multiplié les provocations, les menaces , les chantages , les postures arrogantes et méprisantes à l’égard des catalans indépendantistes, ce qui, ajouté à sa gestion désastreuse du pays lui a valu une défaite cuisante toutefois atténuée par les 52% de voix pour les non-indépendantistes. Malgré sa déroute, le PP sort paradoxalement renforcé en ESPAGNE et en Europe puisque légitimé par la défaite des partisans de l’indépendance ...MERCI MAS, MERCI CONVERGENCIA, MERCI LA CUP, qui ont pris leurs désirs pour des réalités, et donc marqué un but contre leur camp en renforçant l’autorité du pouvoir central ...

Le PSOE malgré une campagne indigente et un dirigeant qui se ridiculisait en commençant ses meetings en balançant son gros ventre sur du disco s’en tire à bon compte et limite les dégâts ce qui prouve que le réformisme profitant de la faiblesse du mouvement populaire, a encore de beaux jours devant lui et part favori pour les élections générales de décembre, même s’il aura du mal à obtenir la majorité absolue ce qui fera le bonheur de PODEMOS qui pourra monnayer son soutien
La liste d’unité populaire SI QUE ES POT soutenue par PODEMOS ET IU, comme toutes les autres, s’est laissée enfermer dans le débat sur l’appartenance de la CATALOGNE à l’Europe [lire UE NDR], il est vrai que lorsque l’on soutient inconditionnellement TSIPRAS , il est difficile ensuite de combattre les diktats de l’UE qui impose une austérité sans précédent à la CATALOGNE. Pourtant avec ou sans l’indépendance, la nouvelle maire de BARCELONE, ANA COLAU et son équipe démontre qu’il est possible de combattre l’austérité et d’améliorer les conditions de vie de la population notamment des plus pauvres. Il semble bien loin le temps des indignés, de leurs propositions novatrices, des décisions partagées, des comités de base, tout cela a laissé place à ce qu’il y a de plus méprisable dans la politique : le petit jeu des alliances, la toute-puissance des appareils des partis, le pouvoir personnel, les déclarations de caniveaux ; j’ai ainsi entendu PABLO IGLESIAS [le leader de PODEMOS NDR] en meeting à LLEIDA ( LERIDA) hurler à la foule « nous allons mettre un sexe à MAS , nous allons le fouetter !!! »

A aucun moment de cette campagne la liste SI QUE ES POT n’a essayé de proposer une analyse de la crise capitaliste et défendu des propositions de rupture qui permettraient à une CATALOGNE indépendante ou non d’être souveraine, au sens économique du terme. Pas question par exemple de "nationalisation" de contrôle populaire, d’intervention des travailleurs, l’expression LUTTE DES CLASSES totalement absente des discours et débats ...
En conséquence, la percée attendue par SI QUE ES POT s’est transformée en score très médiocre qui ne présage rien de bon pour les listes d’unité populaire aux prochaines élections générales surtout que PODEMOS vient d’annoncer qu’il refuse de participer à ces listes, préférant se présenter sous sa propre étiquette ...
Comme l’écrivait récemment l’ami ORTIZ : la machine à perdre est enclenchée ...

La grande leçon de cette élection, est que faute d’un parti révolutionnaire au service des masses, l’ESPAGNE tout comme la FRANCE, la GRECE, le PORTUGAL [pour ces deux derniers pays l’auteur fait sans doute référence à la faiblesse de leur influence NDR] n ’est pas prête de connaitre des lendemains qui chantent.
Pour ce qui concerne la CATALOGNE , les lendemains de fête (un peu outranciers ) qui ont suivi ce que les indépendantistes ont tout de même qualifié de victoire électorale, risquent fort d’avoir un goût amer, car contrairement aux apparences , non seulement le processus vers l’indépendance n’a pas progressé d’un pouce, mais le principe même de l’autodétermination est mis à mal :
le PP ne veut pas en entendre parler, et le PSOE s’il se déclare favorable à une réécriture de la constitution, celle-ci se limite à revenir à la modification du statut voté en 2005 puis invalidé par le tribunal suprême qui reconnaissait l’existence d’une nation catalane à l’intérieur de l’état espagnol sans qu’il ne soit mentionné le principe de l’autodétermination.

Les seuls qui proposent clairement une nouvelle constitution instaurant une république fédérale avec la possibilité pour les états membres d’opter pour l’indépendance par référendum, ce sont IU et PODEMOS, mais qui seront minoritaires et divisés.

Certes, rien n’est jamais figé, ce sont les masses qui font l’histoire et la mise en mouvement va prendre beaucoup de temps, les élections générales de décembre vont sans doute reconduire l’alternance droite/PSOE pour la grande joie du capitalisme .

RICHARD PALAO
Transmis par Chantal


[1Candidature d’unité populaire

[2Mariano Rajoy dirigeant du parti populaire et président du gouvernement

[3Oui c’est possible union entre ICV (verts) Gauche Unie et Alternative (EUiA), Podemos et Equo (verts)

[4Izquierda Unida, Gauche unie en français est une coalition dont le principal parti est le Parti communiste espagnol, à ne pas confondre avec le PCPE, parti communiste des peuples d’Espagne, proche du KKE grec et qui s’oppose au PCE sur la question de l’union européenne



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