De Sarkozy à Hollande, la continuité d’une politique interventionniste au sein de l’Alliance Atlantique

mardi 1er septembre 2015
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Le 27 janvier 2015, dans les locaux de l’Assemblée nationale à Paris, le Collectif Communiste Polex, association libre de toute attache partisane, organisait sa rencontre annuelle sur la politique internationale de la France, sous la Présidence du Député de l’Oise, Patrice Carvalho. Dans le cadre d’un rendez-vous régulier, Rouge Midi diffuse les interventions des différents participants.
Cette semaine, Nils Anderson, coprésident de l’Association pour la défense du droit international humanitaire (ADIF).
Selon lui, le Livre blanc 2013 (le développement hollandien de la stratégie de défense et de sécurité de Sarkozy) sous-estime combien le monde a changé. « Il ne revient ni à la France ni à aucune autre puissance d’être un gendarme du Monde ».

Permettez que je commence par une anecdote en forme de provocation. À la fin des années 1940, une réunion de l’ONU se tenant à Genève, dans un contexte totalement différent d’aujourd’hui, celui de la Guerre froide, mais en matière de politique, de diplomatie et de défense, il est une constante, celle du rapport de forces. Lors de cette réunion, Paul Ramadier interpelle le délégué soviétique et lui demande s’il a lu Kafka. Ce à quoi celui-ci lui répond oui, mais vous-même avez-vous lu Tartarin de Tarascon ? Réplique du fort et du grand, mais aussi, qu’il s’agisse d’un programme politique, d’un concept de défense ou de la conduite de la diplomatie, un rappel du principe de réalité.

En 2008, Nicolas Sarkozy a engagé le processus du retour de la France dans le commandement intégré de l‘Alliance atlantique, considérée comme « l’organisation de défense collective qui unit l’Amérique du Nord et l’Europe ». Ce basculement atlantiste de la politique de défense et stratégique de la France suivie pendant plus de quarante ans, s’opère dans un moment où prédomine encore une vision hégémonique du rôle de l’Alliance. Daniel Fried, Secrétaire d’État adjoint américain aux affaires européennes et eurasiennes déclare alors que l’OTAN « a dépassé définitivement le débat ‘dans et hors zone’ » pour conclure : maintenant : « Tout appartient potentiellement à la zone de l’OTAN ».

En 2013, quand, sous la présidence François Hollande, est rédigé un nouveau Livre blanc, les équilibres internationaux sont profondément modifiés. Échecs militaires en Afghanistan et en Irak, désastre politique de l’intervention en Libye, impasse des politiques interventionnistes au nom du « droit d’ingérence humanitaire » ou du « devoir de protéger » que souligne l’effroyable engrenage syrien, crise économique et financière, nouveaux rapports de force dans le monde, avec l’importance grandissante des puissances dites émergentes, autant de difficultés et d’entraves à l’interventionnisme tous azimuts de l’OTAN. Ce qui amène le Pentagone à réviser sa stratégie globale et à adopter une « nouvelle doctrine militaire » dont l’une des options principales est la primauté donnée à la région Asie-Pacifique pour la défense des intérêts vitaux étatsuniens. La zone euro atlantique n’est donc plus pour Washington, le centre d’où se projette la stratégie globale de l’OTAN, il s’agit d’un renoncement aux fondements historiques, euro-atlantiques, du Traité de l’Atlantique Nord.

Sans que cela signifie un désengagement des États-Unis en Europe, la question ukrainienne comme l’installation de bases de missiles antimissiles en Roumanie et en Pologne en témoignent. Mais le président Obama l’a rappelé en plusieurs circonstances : « Depuis dix ans, les États-Unis assument l’essentiel des coûts humains et financiers de la défense des intérêts occidentaux. Ceux-ci doivent être mieux partagés » et il est demandé aux Européens « d’assurer leur défense » et celle du monde occidental dans leur environnement immédiat, principalement dans la Méditerranée et en Afrique.

Le Livre blanc adopté sous la présidence de Sarkozy définissait la stratégie de défense et de sécurité de la France jusqu’en 2020 ; la demande par François Hollande, avant cette échéance, d’un nouveau Livre blanc, pouvait laisser entendre au vu de ce qui vient d’être rappelé, un besoin de reconsidérer l’engagement atlantiste qui avait été celui de son prédécesseur. Il n’en est rien, le Livre blanc 2013 apporte une réponse sans équivoque : « Notre stratégie de défense et de sécurité nationale ne se conçoit pas en dehors du cadre de l’Alliance atlantique… » et, pour répondre à la demande d’Obama d’un engagement plus grand de ses alliés, il est précisé qu’en raison des contraintes financières et des leçons tirées des derniers conflits « les États-Unis chercheront probablement à partager plus systématiquement la charge des opérations extérieures avec leurs alliés européens, quitte à accepter dans certains cas de leur en laisser l’initiative et la direction. » Difficile d’être plus zélé et quémandeur.

Quelles sont les zones où la France « pourrait être amenée à devoir prendre l’initiative d’opérations… quand les intérêts américains sont moins mis en cause » ? Le Livre blanc est explicite : « La France entend disposer des capacités militaires lui permettant de s’engager dans les zones prioritaires pour sa défense et sa sécurité (que sont) la périphérie européenne, le bassin méditerranéen, une partie de l’Afrique - du Sahel à l’Afrique équatoriale - le golfe Arabo-Persique et l’Océan Indien. »

Sur le continent africain, « le Sahel, de la Mauritanie à la Corne de l’Afrique ainsi qu’une partie de l’Afrique subsaharienne », sont au centre des priorités. À cette fin, la France dispose de bases militaires au Sénégal, au Gabon et à Djibouti, de forces temporaires en Côte d’Ivoire, au Mali, au Niger, au Tchad, au Burkina Faso, en Centrafrique et dans le golfe de Guinée. Des partenariats de défense ont été signés avec neuf pays, dont trois non encore mentionnés, le Cameroun, le Togo et les Comores. Ce qui fait de la France la première puissance militaire occidentale sur le continent africain.

Au Moyen-Orient, il est précisé dans le Livre blanc : si « l’influence stratégique américaine est dominante dans la zone », la France est « liée par des accords de défense » avec les Émirats arabes unis, le Koweït et le Qatar, elle a signé un accord de coopération militaire avec Bahreïn, a des relations étroites avec l’Arabie Saoudite et une base interarmées à Abu Dhabi. La France est donc, après les États-Unis, le pays membre de l’OTAN le plus engagé militairement au Proche-Orient, épicentre de conflits armés ouverts et incontrôlés. Dans l’Océan Indien, limite de la zone considérée comme prioritaire, il est précisé que « la France y joue un rôle particulier en ayant une relation privilégiée avec l’Inde ».

Au-delà, dans ce qui est devenu la zone stratégique des États-Unis, le Livre blanc 2013 fait le constat que « le rééquilibrage en cours du dispositif militaire américain vers l’Asie-Pacifique… constituera un facteur dimensionnant pour la France, puissance souveraine et acteur de sécurité dans l’Océan Indien et dans le Pacifique. » concrètement, cela signifie que « l’engagement américain ne décharge pas la France… de ses responsabilités… ». Ainsi, des liens de coopération de défense et de sécurité sont établis avec l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, le Vietnam et, dans le Pacifique, a été conclu « un accord de partenariat stratégique avec l’Australie ».

L’option stratégique du Livre blanc 2013 fait donc de la France la principale puissance militaire occidentale sur le continent africain, après les États-Unis, la plus présente militairement dans un Moyen-Orient déstructuré et déchiré par des conflits et en Extrême-Orient, « aux côtés de ses alliés, la France apporterait, en cas de crise ouverte, une contribution politique et militaire d’un niveau adapté », dans une zone, rappelons-le, où se côtoient les six principales armées au monde en effectifs militaires !

Vient s’ajouter la surveillance maritime de la « zone économique exclusive » de la France liée à son histoire coloniale que sont les Antilles et la Guyane, la Nouvelle-Calédonie et les collectivités de Polynésie française et de Wallis et Futuna, la Réunion et Mayotte, les Terres australes et antarctiques, l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, ce qui en fait la deuxième puissance maritime mondiale. Le constat est simple, hors les États-Unis, aucune autre puissance dans le monde n’affiche de telles ambitions stratégiques planétaires.

Selon le général de Villiers, chef d’État-Major, « nous avons plus de 20 000 militaires déployés hors de la métropole, dont plus de 8 000 au profit de 27 opérations sur quatre continents (dont l’Europe), dans les airs et sur tous les océans ».

La politique extérieure et de défense découlant du Livre blanc 2013 et certaines déclarations interventionnistes de François Hollande, plus intempestives que réfléchies et concertées, répondent-elles aux intérêts des Français, plus encore aux moyens et aux potentialités présentes de la France ? Je ferai grâce de rappeler Tartarin de Tarascon : mais le Livre blanc 2013, relève d’une stratégie de défense de la France inconsidérée. Ce que confirment les réalités sur le terrain.

Au Mali, la situation sécuritaire reste critique dans le nord du pays et la capacité de nuisance des éléments d’Al-Qaïda au Maghreb islamique et du MUJAO dans le Sahel demeure. Pour répondre à cette situation, à l’opération Serval succède l’opération Barkhane, s’appuyant sur un dispositif militaire étendu du Mali au Tchad, au Niger et au Burkina Faso, soit une aire d’intervention de plus de six fois celle de la France !

En Centrafrique où se déroule l’opération Sangaris, nul ne peut prévoir quand la sécurité des populations sera assurée ni quand une autorité sera rétablie sur l’ensemble du territoire. S’ajoute l’isolement de la France en Afrique qui n’est pas sans préoccuper les auteurs du Livre blanc : « L’importance stratégique pour l’Europe… de la partie de l’Afrique qui s’étend du Sahel à l’Afrique équatoriale n’est pas considérée au même degré par tous nos partenaires et alliés. Pour la France, il ne fait cependant pas de doute que ces approches constituent des zones d’intérêt prioritaires pour l’ensemble de l’Union européenne, et qu’une vision commune des risques et des menaces est souhaitable et urgente. Cette priorité collective européenne devrait être d’autant plus affichée que nos alliés américain et canadien attendent de nous que nous prenions une part essentielle des responsabilités dans des zones à l’égard desquelles ils s’estiment moins directement concernés. » Sauf que « l’Union européenne » est plus une concurrence qu’une solidarité communautaire.

Au Moyen-Orient, combattre le monstre Daech concerne le monde entier, mais la façon dont les opérations sont menées pose des questions stratégiques. Le choix sélectif de soutien militaire aux peuples qui luttent contre Daech, que symbolise Kobané, doit être dénoncé. Les États-Unis mènent-ils une politique d’éradication du djihad de l’épée ou de gestion de l’anarchie et du désordre dans la région ? Quels seront la durée de l’intervention et ses risques de propagation ? Selon, l’ancien président de la CIA, Léon Panetta : « Nous allons vers une guerre de trente ans ». Il se pose aussi une question de principe, la guerre contre Daech peutelle être menée par ceux-là mêmes : puissances occidentales et pouvoirs salafistes qui, par leurs politiques interventionnistes, ont engendré le monstre ? Cette intervention doit être désoccidentalisée et multilatéralisée.

J’en viens à ma conclusion. Les options idéologiques et politiques du Livre blanc 2013 sous-estiment combien le monde a changé : il n’est plus celui de la guerre froide, il n’est plus non plus celui d’un Occident hégémonique. Le « Nouvel Ordre Mondial de paix » annoncé par George Bush senior en 1991 débouche sur un monde de guerres, de crises économiques, écologiques, sociales, de tragédies humanitaires.

« Comme une autre politique économique est possible, une autre politique de sécurité est possible en fondant les relations internationales sur le multilatéralisme. »

La politique interventionniste de François Hollande et l’idéologie atlantiste qui la sous-tend sont aventureuses. « La raison demande de rompre avec la politique suivie en Afrique et au Proche-Orient, comme en Asie et dans le Pacifique, il ne revient ni à la France ni à aucune autre puissance d’être un gendarme du Monde. Il faut concevoir, et élaborer une autre politique étrangère et de défense, conforme aux potentialités présentes et réelles de la France. Comme une autre politique économique est possible, une autre politique de sécurité est possible en fondant les relations internationales sur le multilatéralisme.

Les atlantistes pensent que, vu leur complexité, la prise en compte du vécu des populations et des réalités concrètes relève d’un postulat pétri d’idéalisme et que d’autres méthodes (l’intervention militaire), permettent des résultats plus immédiats, sauf que la réalité de plus de vingt ans de « guerres justes », leurs conséquences humaines et économiques dramatiques, les sentiments d’humiliation et les crises identitaires qu’elles suscitent, attestent de leur inefficacité et dangerosité.

Le multilatéralisme relève d’une conception des relations internationales dans laquelle prévaut le choix libre et non subordonné de sa politique étrangère et de défense, une démarche dans les temps longs de la diplomatie qui, plus encore dans un moment où les guerres ne se concluent pas par la défaite et la capitulation d’une des parties, ne se réduit pas à colmater les crises ou à n’être qu’un « secours » émotionnel couvrant des intérêts de puissances.

Faire prévaloir une politique, une diplomatie et une stratégie ayant comme fondement le multilatéralisme, ce n’est pas nier l’existence des despotes, s’accommoder de ceux qui ont faim, ignorer les identités refusées, c’est jeter un regard lucide sur les réalités, les inégalités et les contradictions du monde et rechercher obstinément des solutions aux conflits et s’il y a lieu d’intervenir, que cela ne soit pas dans le cadre de coalitions occidentales ou de toutes autres puissances. La boussole doit être en matière de stratégie et de défense, une politique fondée sur le multilatéralisme, opposée à la guerre et au chaos dans lesquels vingt-cinq ans de politiques atlantistes ont conduit le monde.

Nils ANDERSON
Coprésident de Association pour la défense du droit international humanitaire.

Transmis par Romain



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jeudi 17 septembre 2015 à 13h18 - par  chb

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