Fuir, se soumettre ou devenir terroriste ?

vendredi 24 avril 2015
popularité : 3%

Profitons-en, on devrait normalement prochainement brûler ce livre pour apologie du terrorisme… En effet la biographie d’Henri Laborit [1] – il aurait 100 ans aujourd’hui – « Une vie – derniers entretiens avec Claude Grenier [2] aborde de la page 110 à 113 la question du terrorisme. Ce n’est ni une justification, ni une acceptation, c’est simplement l’avis de l’un des plus grands neurologue de notre temps. « Le fond du problème du terrorisme, c’est l’injustice, la pauvreté, l’exclusion. Il faut le traiter en supprimant ces causes. » [3]

Claude Grenier  : Peut-il y avoir des pathologies de l’inconscient ?

Henri Laborit : La pathologie de l’inconscient désigne, selon moi, une méconnaissance de l’inconscient. Freud a dit que l’inconscient était constitué par ce que l’on ne veut pas admettre dans la conscience et que l’on refoule. Toute la psychiatrie et la psychanalyse se sont embarquées dans la recherche du refoulé. Mais il me semble, quand je me vois vivre et quand je vois vivre mes contemporains, que ce que l’on appelle l’inconscient, c’est en fait le conscient. Ce qui signifie que nous sommes strictement inconscients de tous nos jugements de valeur, de la façon dont ils se sont établis au cours de notre enfance, de tout ce qui remplit notre cerveau de lieux communs, d’automatismes conceptuels et verbaux. La personnalité d’un homme est, selon moi, déterminée par son inconscient. Elle est ce dont il n’est pas conscient. S’il en était conscient, il pourrait peut être changer, varier, faire autre chose. Mais, en général, il détient une vérité qui est sa conscience et à laquelle il ne touche pas.

C. G. : S’il arrive à se rendre compte que ce qu’il appelle conscient désigne, en fait, tous ses jugements de valeur inconscients, s’il arrive à le comprendre, peut-il modifier sa situation ?

H. L. : Oui. On sera moins affirmatif. Lorsque je disais, hier, que je n’étais pas sûr de moi, je voulais dire que je sais bien que je ne détiens pas la vérité. Ce que je crois être la conscience que j’ai d’un événement vient de tous les automatismes culturels que j’ai emmagasinés dans ma mémoire, depuis ma naissance et en fonction de mon milieu. Cette distinction est fondamentale. Elle doit, selon moi, permettre de ne pas tuer le type de Bosnie-Herzégovine ou le non-juif quand on est juif. Grâce à elle, nous devrions avoir un autre comportement. Nous ne pouvons pas continuer à vivre comme nous l’avons fait dans l’obscurantisme. La science moderne est malheureusement passive, elle ne contribue en rien à cette nécessité de changement.

C. G. : Vous avez dit que si nous nous rendions compte de cette masse inconsciente, les comportements pourraient changer.

H. L. : Je le crois. Je vais apporter une petite modification. Dans la mesure où je sais que je ne suis pas libre, que je suis entièrement automatisé à être ce que je suis, si je rencontre quelqu’un d’intolérant qui, lui, pense qu’il détient la vérité et veut me l’imposer, il ne me restera qu’à fuir, ce que j’ai fait toute ma vie. Si l’on ne peut pas fuir, on se soumet. Mais il n’est pas agréable de se soumettre.

On devient alors agressif, on place des bombes. On devient terroriste, parce que l’on n’est pas entendu. Je dirai presque qu’il n’y a rien de plus normal que le terrorisme. Comment ne pas être terroriste quand on est un Palestinien ? Tous nos rapports guerriers ont été des rapports de terroristes et de résistants. Les résistants étant du côté des plus forts, les terroristes du côté de ceux qu’on n’écoute pas. Les terroristes sont ceux qu’on n’entend pas, car ils sont considérés comme nuls et non avenus. Si les six milliards d’hommes de la planète savaient ce que je suis en train de dire, et qui, sans être la vérité, est au moins une opinion qu’ils pourraient discuter, les choses pourraient peut-être changer.

C. G. : Vous aviez convenu qu’il faudrait aborder l’inhibition de l’action à partir des différentes sources d’angoisse et des moyens éventuels d’y remédier.

H. L. : Le premier mécanisme de l’inhibition de l’action, le plus simple et l’un des plus fréquents d’ailleurs, est très psychanalytique en ce sens que l’individu a une pulsion à agir, à faire quelque chose, mais son apprentissage culturel lui interdit en même temps de le faire.

Je pense à ce que Freud a décrit en parlant du ça pulsionnel et du surmoi qui est social, et que je qualifierai, moi, de limbique, parce que ce qui est social est appris et que l’apprentissage dépend du système limbique. On apprend aux gens ce qu’ils peuvent faire et ne pas faire sous peine d’être punis. Or, dans quantités de circonstances, ces gens voudraient agir, pour se faire plaisir, donc pour maintenir leur structure, etc., mais ils le ne peuvent pas, parce que le code social a établi des règles qui font qu’il leur est impossible de réaliser leur désir.

Ils sont alors en inhibition de l’action. Bien souvent, ils n’ont pas réalisé le conflit, car il s’agit d’un conflit neuronal entre certains groupes de neurones qui les poussent à agir et un autre groupe qui leur apprend qu’ils ne peuvent pas le faire. On peut, bien sûr, en déduire qu’ils vont refouler tout ce qu’on voudra, toute la phraséologie psychiatrique, mais la chose est relativement simple.

L’inhibition de l’action apparaît également en cas de déficit informationnel : un événement survient, que vous n’avez jamais expérimenté. Il n’a laissé aucune trace mémorisée dans votre système nerveux et vous ignorez si l’action que vous allez entreprendre par rapport à cet événement va être source de plaisir ou de déplaisir. Vous vous trouvez en inhibition de l’action, angoissé, parce qu’agir sans savoir est toujours dangereux.

Aujourd’hui, dans notre société (je pense à l’ouvrage d’Alvin Toffler, Le Choc du futur, Denoël, 1974), nous sommes assaillis d’informations. Elles ne nous poussent pas à agir, car elles ne sont pas accompagnées d’un appareillage pour les classer. Si l’on apprenait aux gens ce qu’est un ensemble, ce qu’est un niveau d’organisation, un servomécanisme, dans l’afflux d’informations que la radio, la presse ou la télé leur déversent tous les jours, ils pourraient situer les événements à leur place, c’est-à-dire à leur niveau d’organisation, et voir quels sont les systèmes qui les englobent et ceux qu’ils englobent.

Ils auraient la possibilité d’organiser d’une façon harmonieuse et cohérente ces fouillis d’informations qui leur parviennent non classées, alors que ceux qui les fournissent ne savent même pas ce qu’est un niveau d’organisation. Ils pourraient ainsi agir efficacement et ne pas partir en guerre pour les beaux yeux de la princesse.

Pour agir, il faut être informé, mais l’information en elle-même ne suffit pas si elle n’est pas liée à une organisation de cette information dans le temps et l’espace. En revanche, lorsque survient un événement expérimenté comme dangereux ou douloureux, ce n’est pas l’angoisse qui nous atteint à ce moment -là, c’est la peur. La peur va libérer des catécholamines, contracter certaines aires vasculaires et aboutir à la fuite ou à la lutte, alors que, dans l’angoisse, les conflits neuronaux intracérébraux aboutissent à l’inhibition de l’action, au fait que nous attendons en tension le moment d’agir, et qu’au bout d’un certain temps nous nous apercevons – par apprentissage encore – que l’action est inutile, qu’elle ne peut être qu’inefficace.

À ce moment-là, on tombe dans la dépression. Les déprimés sont des gens en inhibition de l’action, car ils ont la sensation, vraie ou fausse, que leur action sera toujours inefficace. Il est un dernier cadre dans lequel s’inscrit l’inhibition de l’action. Ce cadre est spécifiquement humain.

Grâce à son cerveau orbitofrontal, l’homme peut, à partir d’un apprentissage antérieur, créer de nouvelles structures. Il est donc capable d’inventer des scénarios catastrophiques qui ne se produiront jamais. Ce cadre imaginaire dans lequel intervient l’inhibition de l’action est propre à l’homme.

Les animaux n’ont ni une imagination, ni un outil cérébral, ni une combinatoire suffisants pour projeter l’avenir dans le présent, et se trouver en inhibition de l’action alors que l’avenir n’est pas encore là. Voilà les trois grands cadres dans lesquels s’inscrit l’inhibition de l’action.

Toute la psychiatrie et ses cas particuliers peuvent, selon moi, s’inscrire dans ces cadres. Mais peut-être est-ce prétentieux que de l’affirmer !

L’individu ne parvient pas à comprendre les facteurs de son angoisse et ce qui l’engendre. Que lui reste-t-il pour s’en débarrasser ? L’agressivité, le plus souvent. Elle soulage parce qu’il agit. Mais généralement, elle n’est pas efficace car elle se heurte aux institutions ou aux dominants.

L’agressivité, aussi bien sur le plan des individus que sur le plan des groupes sociaux, est un moyen d’éviter l’inhibition de l’ action. Il existe une autre façon d’ y échapper : la névrose ; le névrotique est un monsieur, comme le disait Pierre Janet [4], qui utilise le langage du corps. Le modèle le plus évolué dans sa force, mais de plus en plus rare dans sa forme, c’est…

C. G. : … l’hystérie ?

H. L. : Oui, l’hystérie.

Source : http://www.les-crises.fr/on-devient-terroriste-parce-que-lon-nest-pas-entendu/

Transmis par la_peniche


[1Henri Laborit (né le 21 novembre 1914 à Hanoï, alors en Indochine française, et mort le 18 mai 1995 à Paris) est un médecin chirurgien et neurobiologiste.
Il introduit en 1951 l’utilisation des neuroleptiques, révolutionnant la psychiatrie, et celle du GHB en 1960, révolutionnant l’anesthésie. Il est également éthologue (spécialiste du comportement animal), « eutonologue », selon sa propre définition (spécialiste du comportement humain) et philosophe.
Il se fait connaître du grand public par la vulgarisation des neurosciences, notamment en participant au film Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais.

[2(1996, Ed. du Félin)

[3Francis Ford Coppola, dans une interview pour Le Figaro, 29 janvier 2015

[4Pierre Janet (né le 30 mai 1859 à Paris – mort le 27 février 1947 dans la même ville) est d’abord un philosophe puis un psychologue et enfin un médecin français. C’est une figure majeure de la psychologie française du XIXe siècle. Il crée le terme de subconscient. Son modèle de l’inconscient attribue un rôle déterminant au traumatisme psychique dans l’amnésie et la dissociation des souvenirs. Il connaît actuellement un succès important chez les spécialistes américains du stress post-traumatique.



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur