Le chaos provoqué en Libye

jeudi 26 mars 2015
par  Gérard Jugant
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Il y a quatre ans, le 17 mars 2011 était approuvée par l’ONU sur la requête des États-Unis et de ses alliés, la Résolution 1973 qui autorisait l’intervention de l’OTAN en Libye.
Derrière un éventail d’excuses, éternellement rebattue « l’intervention humanitaire » ouvrit la voie à une intervention militaire contre le gouvernement libyen de Kadhafi, et la postérieure élimination physique de ce dernier. Et surtout elle ouvrit la porte de part en part à l’actuel scénario que présente la Libye.

Le pays nord-africain est aujourd’hui l’image vivante d’un État failli, où les violations des droits de l’homme et les morts violentes ont atteint des chiffres jamais dévoilés. Les rebelles, qui appuyés par l’OTAN renversèrent Kadhafi, ont été accusés par différents organismes de défense des Droits Humains, d’être les auteurs de « morts par vengeance, tortures, détentions arbitraires », laissant entrevoir qu’elles sont si généralisées et systématiques « que nous pourrions être devant une situation proches des crimes contre l’humanité ».


Le chaos à Tripoli

Les risques physiques s’accompagnent pour la majeure partie de la population d’une destruction généralisée de la qualité de vie. L’économie a plongé dans une chute libre, la production de pétrole est sévèrement affectée, les aéroports et les installations portuaires sont en grande partie fermés, les coupures d’électricité sont une constante.

A la vue de tout cela, « grâce à l’intervention humanitaire », la Libye a cessé d’être l’état avec les niveaux de vie les plus élevés du continent africain.

Les États-Unis et leurs alliés justifient leur intervention en se basant sur une campagne médiatique appuyée sur des chiffres faux sur le nombre de morts dans les premiers jours de la rébellion de 2011. Au fil du temps, il a été démontré que la majeure partie des chiffres utilisés par Washington pour justifier son attaque ne correspondent pas à la réalité.

Comme l’a déclaré récemment un prestigieux universitaire nord-américain, « avant l’intervention de l’OTAN, le conflit civil en Libye était sur le point de s’achever avec un peu plus de 1000 morts. Depuis, plus de 10.000 personnes ont perdu la vie. En d’autres termes, l’intervention de l’OTAN a multiplié par dix le nombre de morts violentes dans le pays ».

La Libye est un pays dévasté, « l’entité politique et plus ou moins cohérente qu’elle représentait désormais n’existe plus ». L’Est du pays est sous le contrôle d’une alliance dénommée « Opération Dignité », à la tête de laquelle est le général Khalifa Hifter, ancien collaborateur de Kadhafi, bien qu’ensuite il prit le chemin de l’exil et revint au pays en 2011. A ses côtés, d’anciens militaires, membres des forces de sécurité du gouvernement précédent, d’importantes tribus de l’Est, des fédéralistes de la région, et les milices de Zintan et d’autres villes, constituant une alliance hétérodoxe, qui cherche à exclure les islamistes de la vie politique.


La Libye est un pays de 6 millions d’habitants vivant principalement dans les grandes agglomérations de la côte. La Cyrénaïque a gardé une forte tradition tribale contrairement à la Tripolitaine plus cosmopolite.

A l’Ouest, on trouve la coalition « Libye à l’Aube », qui comprend d’ex-jihadistes du Groupe Islamique Combattant Libyen, des milices de Misrata et Tripoli, des groupes de berbères, et quelques milices des zones montagneuses et de la côte de la région. Ces groupes ont tissé en outre un accord tactique avec quelques groupes de Benghazi, parmi lesquels se trouve Ansar al-Sharia.

Les deux alliances ont chacune leur propre parlement, gouvernement et forces armées. Elles sont en compétition pour parvenir à la reconnaissance sur la souveraineté et la légitimité de l’ensemble du pays. De plus, elles se battent pour le contrôle de la banque centrale libyenne et la production de pétrole.

Les Nations-Unies, les États-Unis et ses alliés, reconnaissent seulement le gouvernement des forces d’ « Opération Dignité », mais la partition est évidente, et l’absence d’une armée est plus qu’évidente, les deux parties se montrant incapables de maintenir leurs propres structures armées.

L’ombre de l’Iraq et de la Syrie planent aussi sur le scénario libyen. Dans ces trois pays l’intervention occidentale a entraîné la dévastation des trois États, et surtout le surgissement de réalités jihadistes transnationales, qui ont trouvé là le scénario idéal pour développer leurs agendas.

Actuellement nous trouvons en Libye un éventail de groupes armés qui se battent pour le contrôle de l’ensemble du pays. Des groupes islamiques locaux partagent l’espace avec des formations qui s’unissent sous la bannière idéologique d’Al Qaeda, et plus récemment d’autres formations ont proclamé leur adhésion à l’État Islamique.

S’il est certain que l’essor de ces factions islamiques, l’actuelle alliance entre elles, pour faire un front face aux partisans du général Hifter et de ses alliés, peut exploser à tout moment, comme cela s’est passé en Syrie et en Irak. La présence de groupes aux agendas et objectifs différents, avec des différences personnelles, peut faire exploser l’actuelle alliance d’intérêts.

L’intervention des États-Unis et de ses alliés a conduit également que dans d’autres lieux de la région nous assistons au surgissement de groupes jihadistes ou à la maturation de ceux-ci. Le conflit au Mali, les craintes pour la Tunisie (qui compte des dizaines de milliers de réfugiés libyens et des centaines de citoyens combattant avec l’État Islamique dans d’autres lieux), ou le théâtre algérien (la dure expérience du passé, ou la récente attaque contre l’usine de gaz d’Amenas) sont des symptômes qui ressemblent à ce qui s’est passé en Irak et en Syrie.

Les dénommés acteurs internationaux jouent aussi leurs propres cartes et intérêts. Les principaux promoteurs de l’intervention (les États-Unis et ses alliés occidentaux) paraissent préférer regarder ailleurs pour le moment. Cependant, les dénommés acteurs régionaux jouent leurs cartes.

D’un côté, le Qatar, la Turquie et le Soudan appuient la coalition islamiste, lui apportant de l’armement et surtout un appui logistique et politique. D’un autre côté, l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes-Unis et l’Égypte ont pris le parti de la coalition « Opération Dignité ». Les monarchies du Golfe sont effrayées par un nouvel essor de l’islamisme appuyé par Doha et Ankara ; tandis que l’Égypte craint que la Libye ne se convertisse en défense d’organisations jihadistes qui aujourd’hui pourraient se joindre à celles qui opèrent dans le Sinaï ou qui frappent quotidiennement au Caire.

Et probablement, si la détérioration continue, elle pourra se répandre au travers du Sahel, au Mali, au Nigéria, au Soudan ou en Somalie. Le trafic d’armes et de personnes, uni à un lieu de refuge pour des groupes jihadistes transnationaux apportant plus d’arguments pour la préoccupation d’autres États de la région.

La Libye après quatre années d’intervention est un puzzle de groupes armés et politiques, avec différents groupes d’intérêts locaux et internationaux, et sans la présence de leaders religieux, tribaux ou militaires capables d’orienter la situation.

Le complexe réseau de liens religieux, tribaux, sociaux, régionaux et idéologiques fait que les aspects religieux du conflit ne sont pas aussi déterminants qu’en Irak et en Syrie. Néanmoins, à la vue de tous les facteurs mentionnés, le futur de la Libye se présente plus complexe que jamais.

Txente Rekondo

Source : site Rebelion, édition du 24/03/2015

Traduit de l’espagnol par Gérard Jugant



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