Gaz de schiste : les Algériens se mobilisent contre le régime et l’ingérence des multinationales pétrolières

lundi 9 mars 2015
popularité : 3%

Les mobilisations sociales enflent en Algérie, contre l’exploitation future des gaz de schiste, autorisée par le gouvernement. Ces forages, à proximité des villes et des oasis sahariens, menacent les précieuses ressources en eau. Total, l’État français, et d’autres multinationales, sont accusés d’ingérence, cinquante ans après les essais nucléaires menés par l’ancienne puissance coloniale dans le Sahara algérien.

Le groupe français Total, d’autres multinationales pétrolières ainsi que le gouvernement algérien, sont dans la ligne de mire d’une contestation écologique et démocratique inédite en Algérie. Depuis le 31 décembre 2014, un mouvement citoyen opposé à l’exploitation des gaz de schiste secoue le pays. Parti d’In Salah, une ville de 50 000 habitants au cœur du Sahara, proche des sites de forage, le mouvement accuse la multinationale pétrolière française de recourir à l’utilisation de la fracturation hydraulique sur leur territoire, alors même que cette technique fait l’objet d’une interdiction en France depuis 2011. Et dénonce l’inconséquence de l’entreprise publique Sonatrach et du gouvernement algérien qui font peser sur la région de graves risques de pollutions.

Malgré la répression, le mouvement se poursuit.

Les mobilisations sociales enflent en Algérie, contre l’exploitation future des gaz de schiste, autorisée par le gouvernement. Ces forages, à proximité des villes et des oasis sahariens, menacent les précieuses ressources en eau. Total, l’État français, et d’autres multinationales, sont accusés d’ingérence, cinquante ans après les essais nucléaires menés par l’ancienne puissance coloniale dans le Sahara algérien.

L’eau, « plus sacrée que le pétrole »

Problème : le recours à la fracturation hydraulique pose crûment la question des ressources en eau, en plein Sahara. La consommation intensive d’eau et la pollution des nappes souterraines et de surface constituent autant de menaces, qui sont au cœur des préoccupations du mouvement citoyen d’In Salah. Dans cette zone aride, la pollution des eaux est perçue comme « une question de vie ou de mort », relate Hocine Malti, ancien cadre de la Sonatrach. L’agriculture, permise par l’irrigation des palmeraies, est la principale source de revenus de la population.

La demande officielle de moratoire sur le gaz de schiste, cosignée par des experts algériens et adressée le 21 février au président Abdelaziz Bouteflika, met en exergue ces risques environnementaux – pollution de l’eau, de l’air, séismes – et les répercussions sur la santé. « La première revendication est qu’il n’est pas question de faire des investissements qui touchent à l’eau, observe Ghazi Hidouci, ancien ministre de l’Économie et des Finances d’Algérie entre 1989 et 1991. Les habitants ont bien compris que l’eau est plus sacrée que le pétrole ».

Produits chimiques mortels

La Sonatrach assure de son côté maîtriser la technique de fracturation. La compagnie l’aurait initiée à Hassi Messaoud, au Nord-Est d’In Salah dès 1956 pour des gisements pétroliers. Elle aurait fracturé en moyenne 50 puits par an sur ce champ, entre 2006 à 2010. « Ces forages, tout comme le reste des puits conventionnels, ont traversé des nappes aquifères sans pour autant avoir eu un impact sur l’environnement », plaide Said Sahnoun, PDG par intérim de la Sonatrach. La compagnie assure également qu’elle ne lésinera pas sur les mesures de protection de l’environnement.

Or, l’expérience prouve qu’il existe toujours une proportion non négligeable de puits défectueux, même aux États-Unis. Guère convaincus par la communication rassurante des autorités algériennes, des habitants d’In Salah décident de pénétrer le 3 février sur le site du forage. Via des photos et vidéos postées sur les réseaux sociaux, ils dénoncent l’absence de traitement des eaux et des boues de forage, désavouant les propos de la compagnie nationale.

ALGERIE

Stop à l’exploration et à l’exploitation du gaz de schiste
Solidarité avec la population de In Salah


Depuis plus de soixante jours la population de In Salah – dans le Sud Algérien- s’oppose dans la rue à l’exploration du gaz de schiste dans la région.
Cette mobilisation pacifique vise à faire revenir le pouvoir algérien autiste sur sa décision d’entamer l’exploration puis l’exploitation du gaz non conventionnel à quelques kilomètres de la ville de In Salah.
Le refus de la population d’un tel projet est motivé, avec des preuves à l’appui, par les sérieux risques qu’on fait peser sur la santé des habitants, le danger de la pollution de l’environnement de toute la région et par la contamination irrémédiable de la nappe phréatique, cet océan d’eau douce vitale pour la survie des populations du Sahara , par les eaux mélangées à des produits chimiques hautement toxiques, utilisées dans le procédé dit de fracturation hydraulique en vue d’extraire le gaz contenu dans la plaque de schiste.
Durant tout ce temps, les autorités algériennes louvoyaient et parfois mentaient carrément à la population. Les différents « experts » missionnés pour expliquer la non dangerosité supposée d’une telle aventure ne parviennent pas à convaincre. La population, constituée en collectif anti gaz de schiste, loin de se laisser duper, recourait elle aussi à des scientifiques pour déconstruire le discours officiel. Les enquêtes des scientifiques engagés au service de la population viennent d’être rendues publiques. Ces enquêtes ont servi d’argumentaire au collectif anti gaz de schiste de In Salah pour rédiger le moratoire envoyé adressé au chef de l’Etat afin qu’il puisse mettre un terme à l’exploration entamée. Cet argumentaire vient démentir tout le discours tenu par les autorités et leurs « experts ».
La subite dégradation du climat, jusque là pacifique, suite à l’intervention musclée des forces de l’ordre démontre la volonté manifeste des autorités à tenter un passage en force malgré la force des arguments avancés dans le moratoire. La situation risque de déraper dès lundi 9 mars au cas où la population rejette l’ultimatum lancé, cette fois ci, par le commandement militaire de la région. Il est demandé expressément à la population d’évacuer, avant lundi 9 mars, la place « Soumoud –Résistance » occupée depuis plus de deux mois par la population pour protester contre l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste.De ce fait les autorités algériennes viennent donc une véritable épreuve de force avec la population de In Salah.
Les habitants de In Salah, ne se battent pas seulement contre le pouvoir algérien. Leur résistance est toute aussi opposée aux multinationales États – Uniennes et Françaises qui, tels des rapaces, veulent s’accaparer des richesses de la région au prix d’une potentielle catastrophe sanitaire et écologique.
Au vu de cela, la solidarité avec les habitants de In Salah n’est pas seulement l’affaire des seules associations issues de la communauté algérienne en France. Elle est aussi celle de toutes les organisations françaises qui ont fait capoter le funeste projet d’exploitation du gaz de schiste en France. Nous reprenons de ce fait à notre compte le slogan « STOP au Gaz de schiste ici et ailleurs » en proclamant à notre tour :

« STOP AU GAZ DE SCHISTE EN ALGÉRIE ET AILLEURS »

La résistance de la population de In Salah face au pouvoir algérien et aux multinationales pétrolières s’installe dans la durée. La solidarité avec cette résistance ne doit donc pas se limiter au rassemblement d’aujourd’hui. Un comité de veille est installé. Nous vous appelons à le rejoindre afin de donner une chance supplémentaire aux résistantes et résistants de In Salah de vaincre les prédateurs et leurs exécutants serviles en Algérie.

Marseille, le 7 mars 2015.

La moubadara – France.

Le Rassemblement des Algériens de France.

Contact : solidariteinsalah@gmail.com

Le Sahara, terrain de jeu des expérimentations françaises ?

Les craintes des habitants d’In Salah sont d’autant plus fortes que la région n’en est pas à ses premières expérimentations technologiques. Les forages pilotes par fracturation hydraulique rappellent aux populations sahariennes la dramatique période des essais nucléaires français dans le sud du pays, à Reggane, dans les années 1960, dont la population locale souffre encore. « J’en déduis qu’ils expérimentent, témoigne une habitante d’In Salah. Que nous sommes, comme nos concitoyens de Reggane, le terrain de prédilection des expérimentations françaises. » « L’anniversaire de ces essais était jusque-là évoqué dans le silence le plus total, observe Ghazi Hidouci. Cette année, cela a fait grand bruit. Au Sahara les gens ont parlé, se sont montrés, cela a pris une résonance politique. »

Un demi-siècle plus tard, les tensions restent vives en Algérie au sujet d’une éventuelle ingérence de l’ancienne puissance coloniale. De nombreux habitants ont en tête le projet d’accord de partenariat entre le président algérien et le ministre des Affaires étrangères français Laurent Fabius, dont la presse s’est faite l’écho en 2012. Cet accord viserait à permettre aux entreprises françaises d’expérimenter des techniques alternatives à la fracturation hydraulique en Algérie [14]. « Il n’existe, à notre connaissance, aucun accord de ce type », indique une source diplomatique française. Le sujet du gaz de schiste « n’est pas discuté dans le cadre de notre dialogue bilatéral avec l’Algérie », assure-t-on. Les récents propos de l’Ambassadeur de France à Alger concernant un « renforcement du partenariat français avec l’Algérie », impliquant les gaz de schiste auraient été déformés [15].

Les voix d’In Salah réprimées

Le gouvernement algérien n’a pour l’instant pas répondu à la demande de moratoire envoyée par le mouvement citoyen d’In Salah le 21 février. Ces dernières semaines, les dirigeants ont tenu des propos contradictoires, minimisant dans un premier temps le problème en déclarant qu’il ne s’agissait que de projets pilotes voués à s’arrêter, et que la décision de développer le gaz de schiste n’interviendrait pas avant plusieurs années. D’autres interventions tendent plutôt à présenter le gaz de schiste comme un fait accompli.
A l’occasion des mobilisations nationales contre le gaz de schiste en Algérie le 24 février, Abedelaziz Bouteflika s’est montré plus clair, en affirmant sa volonté de faire « fructifier » et de « tirer profit » de tous les hydrocarbures, dont les gaz de schiste qualifiés de « dons de Dieu ». Le 28 février, au 62e jour de la contestation, le mouvement citoyen d’In Salah est sévèrement réprimé, après avoir alerté sur une possible utilisation de la fracturation hydraulique par la compagnie Halliburton, sur un deuxième puits d’exploration. « Cette répression s’est poursuivie jusqu’au centre-ville par le saccage de la Place de la Résistance, lieu symbolique du mouvement citoyen », dénoncent les collectifs français opposés au pétrole, gaz de schiste et de houille.

« On pose les jalons d’une pensée écologique en Algérie »

L’engouement du gouvernement algérien pour les hydrocarbures non conventionnels s’explique par son inquiétude face à l’épuisement progressif des ressources conventionnelles, dont le pays est extrêmement dépendant d’un point de vue économique. Pour beaucoup d’observateurs, la stabilité politique du régime dépend de sa capacité à acheter la paix civique en maintenant des budgets sociaux suffisamment élevés.


Des femmes effectuent un sit-in le 4 mars 2015 à In-Salah dans le Sahara algérien, contre l’extraction du gaz de schiste
© AFP Farouk Batiche
-

Paradoxe : le choix d’investir directement dans l’exploration, en assumant tous les risques financiers et environnementaux, intervient à un moment où, ailleurs dans le monde, gaz de schiste et fracturations hydrauliques sont de plus en plus combattus.
« L’avenir énergétique de l’Algérie n’est pas dans les schistes mais dans l’optimisation de nos ressources conventionnelles, le développement des énergies renouvelables, dans le mixte énergétique et dans les économies d’énergies », écrivent les habitants mobilisés d’In Salah au président Bouteflika.

Des revendications qui font progressivement tâche d’huile dans le pays, reprises d’un bout à l’autre des provinces sahariennes. « Il y a différents groupes de réflexion sur l’environnement, le développement durable. On est en train de poser les jalons d’une pensée écologique en Algérie », espère une militante. La démocratie verte chassera-t-elle la répression kaki ?

Sophie Chapelle et Olivier Petitjean
Source : http://www.bastamag.net/Gaz-de-schiste-les-Algeriens-se-mobilisent-contre-le-regime-et-l-ingerence-des

Transmis par CB et JP



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur