Les raisons de la colère

lundi 25 avril 2005
par  Charles Hoareau
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Depuis plusieurs jours la presse parle à nouveau de la SNCM en mettant l’accent sur la colère des salariés et semble choquée, voire surprise par « les débordements » constatés.

Est ce au fond si surprenant ? N’est ce pas rageant quand on a travaillé des années dans une entreprise de service public ô combien nécessaire à la nation et en particulier aux populations de deux régions françaises et des deux rives de la Méditerranée d’assister avec un sentiment d’impuissance à l’organisation méthodique de sa mort lente ? Année après année les gouvernements successifs aidés par des directions d’entreprise à leur service ont programmé d’abord une concurrence sauvage et faussée en s’appuyant sur des directives européennes, puis le dépeçage de l’entreprise en s’appuyant sur des lois faussement appelées loi de décentralisation.

Une concurrence faussée

La question qui est posée est bien celle de la façon dont on considère le transport.

Parlant de la direction aux ordres du gouvernement, Jean Paul Israël secrétaire du syndicat CGT de la SNCM dit à juste titre (cf rubrique LUTTES) qu’ « elle ne considère pas le transport comme un outil de développement mais comme un moyen d’enrichir des compagnies privées qui vivent de l â€ËÅ“assistanat ».

Evidemment dans ce cas là on peut au nom de la soi disant « concurrence libre et non faussée » si chère aux tenants de la constitution européenne, subventionner sans contrôle Corsica Ferries, lui permettre de ne circuler qu’aux périodes de l’année les plus fréquentées, sur les trajets qu’il estime les plus rentables et laisser à la compagnie nationale le soin d’assurer toute l’année le service dont les usagers ont besoin.

Et pour faire bonne mesure on nous rajoute une couche sur la nécessaire fin des monopoles publics dont on nous assure qu’ils sont des gouffres financiers. Allez demander aux anglais ce qu’il pense du « gouffre rail » qui n’a jamais été aussi cher, vétuste et peu sûr que depuis qu’il est privatisé ! Allez demander aux américains ce qu’ils pensent de la privatisation de l’énergie depuis la gigantesque panne et ses suites qui ont contraint les pouvoirs publics à une renationalisation (eh oui ! au pays du capitalisme roi !) d’un service qu’ils avaient juré de marchandiser !

De fausse décentralisation en vrai dépeçage

La constitution de 58 a mis en place un appareil d’Etat avec à la tête de celui-ci un président aux pouvoirs exorbitants et - conséquence directe - une centralisation synonyme d’autoritarisme. A cette vraie question les gouvernements successifs - et parmi eux singulièrement la gauche - au lieu de changer la constitution, ont apporté sous couvert de décentralisation et de démocratie de fausses réponses.

Ainsi, pour ne prendre qu’un aspect de la loi Deferre, celle-ci, en confiant l’action sociale aux départements a détruit le principe national d’équité sur tout le territoire. Un exemple : d’un département à l’autre un rmiste n’aura pas les mêmes droits. De même la loi Joxe en créant les communautés de communes éloigne les lieux de décision du citoyen. Et, parachevant le tout la loi Raffarin pose non seulement la question des moyens des collectivités locales face au désengagement de l’Etat, mais aussi la casse d’outils nationaux comme l’AFPA ou l’Education Nationale.

La décentralisation qui aurait pu être un vrai levier de mise en place de la démocratie au plus près des habitants est une arme qui se retourne contre eux.

Dans l’article déjà cité Jean Paul dit qu’il faut revisiter la loi Joxe et qu’il faut savoir si on veut une compagnie nationale ou des compagnies régionales aux moyens limités et aux cohérences aléatoires et ce d’autant plus que d’une région à l’autre ces mêmes moyens varient considérablement.

De même est ce juste de faire porter à une seule région le poids de l’organisation du transport entre la Corse et le continent ? Si on suit la logique de ceux qui nous gouvernent le TGV n’est pas près de traverser la Lozère ni le réseau ferré de revoir le jour en Ardèche !

La question de la SNCM, de la continuité territoriale qui fait partie de ses missions, du transport en général, est une question nationale qui ne peut être vue sous l’angle de la rentabilité.

Le rôle irremplaçable du service public

Le rôle d’un service public par nature n’est pas d’être rentable mais de rendre service. Sinon on n’a qu’à fermer le métro le soir et ne l’ouvrir que les soirs de match de foot ce qui vous en conviendrez ne s’est jamais fait nulle part et ferait passer pour stupide la municipalité qui proposerait pareille ineptie dont une des conséquences immédiates serait de voir se multiplier le nombre de voitures !

Une autre idée farfelue serait de rentabiliser l’espace public, comme par exemple la rue en instaurant une taxe pour quiconque y garerait sa voiture et en faisant payer la place correspondante au véhicule au moyen d’une machine que l’on nommerait horodateur et dont on confierait la gestion à une entreprise privée afin que l’on soit bien sûr que l’affaire soit rentable. Impensable !

Au moment où un sondage fait apparaître une montée de 12% de l’indice d’attachement des français au service public, service menacé de disparition si la constitution européenne était votée, il n’est pas étonnant que les attaques contre celui-ci provoquent de la colère.

Ces choix assassins du service public créent d’autant plus de colère qu’ils ont pour conséquence de mettre au chômage des milliers de personnes qui ne demandent qu’à travailler. Demain elles se feront traiter de fainéantes et radier allègrement du droit au revenu de remplacement en vertu de la loi Borloo qui complète admirablement le PARE mis en place par l’ancien gouvernement. Quel gâchis !

Ces choix ont aussi pour conséquence de taper dans le porte monnaie des familles de la manière la plus inégalitaire qui soit et on voudrait que les gens restent calmes !

Tout irait pour le plus mal dans le pire des mondes s’il n’y avait justement cette colère qui gronde de la SNCM aux horodateurs, de Maison Blanche à l’Estaque et vient contrarier les projets des fossoyeurs de l’emploi et du service public.

S’il y a bien un signe d’espoir dans la période c’est bien ce refus qui se manifeste quotidiennement (au sens propre du terme !) et peut s’il grandit encore obliger municipalité et gouvernement à revoir leur copie. Et le fait que ces luttes convergent et pas seulement le lundi soir est bien le signe que face aux cohérences des attaques, salariés et population opposent la cohérence de la révolte.

N’en déplaise à Mr Frémont préfet venu au secours de Mr Gaudin, on n’en a pas fini de voir des manifestations. Nous ne nous laisserons pas racketter, mettre au chômage et en plus avec le sourire !



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