Le changement de société c’est par où ?

mardi 21 octobre 2014
par  Charles Hoareau
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Plus la politique du gouvernement Hollande s’enfonce dans la gestion fidèle des intérêts du capital, plus il en est pour dire qu’il faudrait : faire une politique de gauche, unir la gauche (ou les gauches), retrouver la vraie gauche, rassembler la gauche de gauche (ou la gauche de la gauche)…mais de quoi parlent-ils ? Il y a bien sûr les références historiques : le front populaire ou le programme commun synonymes, au moins au début, de progrès social et de défense du monde du travail. [1]

C’est sur la lancée historique de partis (surtout le PCF, le PS n’étant créé qu’en 1971) soutenant le mouvement de 68 que fut rendue crédible l’idée d’une union de ceux-ci autour d’un programme qui devait changer la vie, idée à laquelle ont cru nombre de celles et ceux qui avaient 20 ans ou plus en 1981.
Puis il y eut la fameuse volte face de la rigueur de 1983, qualifiée par nombre d’entre nous [2] comme LE tournant historique de la gauche française (et même européenne ). Historique parce que c’est là que la « gauche » d’alors (en fait le PS resté seul au pouvoir) s’est pliée aux exigences du capital (mais avait-il jamais envisagé autre chose ?) et a véritablement tourné le dos à ce qu’elle représentait dans l’imaginaire en termes de progrès et d’espoir de changement de société.

Pour celles et ceux qui sont arrivés après ce virage et qui n’ont connu que les alternances qui se succèdent depuis, que peut alors vouloir dire le mot gauche ?

Hollande ne trahit pas, il est fidèle à des choix déjà anciens

Parler de différence entre la gauche et la droite devient de plus en plus difficile pour ne pas dire impossible. Le gouvernement Hollande fait aujourd’hui la même politique que celui de Sarkozy tant au plan intérieur qu’extérieur, mais soyons clairs : Hollande ne trahit pas. Il continue dans la droite ligne de ses prédécesseurs, ceux-là même qui se disaient de gauche.
Pour ne prendre qu’un exemple, a-t-on oublié le record de privatisations du gouvernement de gauche plurielle emmené par Jospin ? Et c’est ce retour à cette gauche que les « frondeurs » nous promettent [3] ? Bien sûr il peut y avoir chez des socialistes de vraies questions mais peut-on s’appuyer sur cela pour construire du neuf ? Nous ne le pensons pas.

Pour changer de société il ne faut pas refaire ce qui a échoué mais clairement viser avec constance, quels que soient les obstacles et les étapes à franchir, une sortie du capitalisme en luttant et se rassemblant avec toutes celles et tous ceux qui partagent cet objectif.

Dans les faits, cette volonté commune de s’affronter au capitalisme pour s’en libérer et qui aurait constitué une formidable perspective, nous ne l’avons jamais connue quand une union de partis dits de gauche a été au pouvoir. Même quand Georges Marchais disait du programme commun : « Ce n’est qu’un bébé qui ne demande qu’à grandir ».

C’est parce que cet espoir n’était pas partagé et même combattu par le PS, que l’attelage de cette union-là s’est embourbé dans les ornières du système capitaliste.

Inventer un processus bolivarien à la française.

Penser que l’on va reconstruire une perspective politique, voire une alternative à un Front de Gauche moribond (dont aucune des composantes n’ose proclamer la mort de peur d’apparaître comme l’assassin), en faisant renaître ce qui a échoué, par une alliance entre dirigeants d’EELV, des frondeurs et du FDG qui n’ont pas en commun un projet révolutionnaire, c’est-à-dire anticapitaliste appuyé sur les luttes du monde du travail, nourri et dirigé par lui, relève au mieux de la plus grande naïveté.
Pour tout dire le ballet auquel nous assistons sur ce thème a quelque chose de pitoyable…ou d’indécent c’est selon.

La récente fête de l’Huma mais aussi les sénatoriales [4] ont vu le retour en force de la notion ripolinée de gauche plurielle comme si cette stratégie n’avait pas montré depuis 1983 tout à la fois toutes ses limites et même sa faiblesse électorale !

Quand le PS frappe si durement les travailleurs comment voulez-vous que le peuple fasse confiance à ceux qui s’allient avec lui ? Comment s’étonner de la montée régulière de l’abstention ?
Pire, comment s’étonner de l’émergence, parmi ceux qui votent, de cette extrême droite qui se présente de façon mensongère « hors système » - ce système qui exploite et exclut - détrônant ainsi le PCF qui fut dans ce rôle de seul « parti pas comme les autres » comme disaient alors tous les autres partis… ?

Dans ce contexte que doit penser le même monde du travail de cette phrase « Il est possible, avec la majorité telle qu’elle existe aujourd’hui à l’Assemblée nationale, de mettre en œuvre, avec un nouveau gouvernement, une autre politique  : celle inscrite dans le programme de François Hollande qui avait eu le soutien de la majorité des Françaises et des Français dans la diversité de leur opinion de gauche. » prononcée par André Chassaigne et publiée par l’Huma ? Faire une politique de progrès avec des députés qui ont massivement voté l’ANI ? [5]
Celles et ceux qui veulent un réel changement de société, en 2012, ont-ils SOUTENU Hollande ou plus sûrement (et encore pas tous) se sont résignés à battre un homme de la droite la plus dure en votant par défaut pour le moins pire ? [6]

Pour autant faut-il baisser les bras face à ces comportements et ces analyses qui paraissent bien dérisoires et pas du tout à la hauteur des combats politiques à mener dans un contexte de recul social généralisé et de retour des guerres ? Notre camp est-il condamné à la défaite ? Non !

Les boliviens qui viennent à plus de 60% de réélire un président qui a nationalisé les plus riches et importants secteurs économiques du pays, les vénézuéliens qui défendent pied à pied le processus bolivarien et viennent de déclarer les communes co-présidentes du pays, les communistes portugais qui posent en grand la question de la sortie de l’euro et de l’UE….ne sont pas plus intelligents que nous et pourtant ils marquent des points, démontrent que le capitalisme peut ne pas être la fin de l’histoire, alors qu’ici nous avons le sentiment de reculer sur tout ce que nous avons conquis par les luttes.

En s’inspirant, sans en faire un modèle, de ce qui se passe en Amérique du Sud, nous devons inventer nos chemins de révolution permanente. Comme le dit le sous commandant Marcos " Je n’ai pas trouvé le chemin. Je l’ai fait. C’est comme ça que se font les chemins. En marchant". Il nous faut inventer un processus bolivarien à la française.

Reconstruire pour retrouver le chemin des victoires

Notre camp, à condition de ne pas accepter que sa volonté de changement soit enfermée dans des jeux d’appareils au nom d’un clivage droite/gauche qui n’existe plus, peut retrouver le chemin des victoires.

A l’opposé des combinaisons politiciennes, les luttes sociales qui, comme à Fralib, à la SNCM, [7] chez les intermittents, dans le secteur public ou la pétrochimie posent les questions de la propriété des entreprises, du droit au transport, de la solidarité nationale, du rôle de l’Etat et d’autres rapports avec les pays producteurs. Elles nous montrent la voie à suivre.

La perspective politique se reconstruit à partir de là.

C’est en tous cas la conviction et ce qu’essaie de faire Rouges Vifs en particulier avec son appel (re)construire et son implication dans tous ces conflits qui nourrissent sa réflexion, ses analyses et sont la source d’échanges mutuellement enrichissants avec le monde du travail.

Etre en première ligne de ce (Re)construire est la tâche prioritaire pour chacune et chacun d’entre nous dans la période historique que nous traversons.

A chacune et chacun de donner à celles et ceux qui nous entourent l’envie de se battre dans ce sens.

Le changement de société à mettre en œuvre pour le progrès de l’humanité n’a jamais été à droite et s’il n’est pas à « gauche », il est plus que jamais en avant !


Merci aux lectrices et lecteurs de Rouge Midi qui nous ont permis d’atteindre à ce jour la somme de 3009€ soit les 3/5 de notre objectif. Pour participer à la souscription : http://www.rougemidi.org/spip.php?article8637


[1Encore que (faut-il le rappeler ?) de grandes avancées sociales n’ont pas été dues à la gauche, dans le sens où on l’entend aujourd’hui, au pouvoir. Ainsi le CNR, une alliance allant de la droite gaulliste aux communistes qui pesaient alors 29% de l’électorat et étaient souvent en première ligne d’une CGT de 6 millions d’adhérents, mit en place un socle de mesures anticapitalistes et donc de progrès social unique à son époque. De même les conquêtes de 1968 ne sont pas dues à la conquête du pouvoir par la gauche mais aux près de 10 millions de grévistes animés par de fortes convictions de classe.

[2Badiou récemment à Marseille dans un débat dont nous reparlerons faisait sienne cette idée

[3l’intervention et les propositions de Martine Aubry (le présent édito a été écrit avant que celle-ci ne publie sa tribune) ne nous feront pas dire le contraire. Sans compter que Mélenchon a toujours affirmé que le gouvernement Jospin avait fait « du bon travail ».

[4sans parler des municipales où, faut-il aussi le rappeler, il y a eu union PCF/PS dès le 1er tour dans 80% des villes ce qui, le moins que l’on puisse dire n’aide pas à la clarté. Et que dire de l’épisode Guérini toujours poursuivi pour association de malfaiteurs et allié de la droite à la mairie de Marseille et du PCF au département !!

[5La loi dite ANI remet entre autres complètement en cause les modalités sur les licenciements économiques en les facilitant, les obligations de reclassements, le respect des critères...

[6Et franchement le camp du progrès peut-il partager la suite du propos : « Nous sommes en train de mettre en place des convergences qui prendront sans aucun doute une autre dimension lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015. Nous défendrons alors les positions que défendaient tous les groupes de gauche avant 2012 et l’arrivée de François Hollande à la présidence de la République. »  ? Avant 2012 le PS et le FDG défendaient donc les mêmes positions à l’assemblée ? C’est possible (André Chassaigne sait de quoi il parle), mais alors il ne faut pas s’étonner qu’il y ait un problème de perspective politique…

[7de ce point de vue les interventions de syndicalistes et en particulier celle de Frédéric Alpozzo de la SNCM lors de la rencontre avec Badiou étaient particulièrement éclairantes



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