Fralib : il faudrait inventer des mots…

mercredi 28 mai 2014
par  Charles Hoareau
popularité : 3%

Tous les dictionnaires du monde ne peuvent contenir les mots que l’on ne dit pas en arrivant ce matin à l’usine avec un véhicule qui connait par cœur le chemin…

A peine arrivé les…(comment dire ?) camarades ? frères et sœurs de combat ? compagnons de colère et d’espoir ? nous accueillent. Les mots ne sortent pas, seuls les yeux parlent, et encore ils se détournent vite pour ne pas s’emplir. Les étreintes sont plus fortes simplement et alors les bras parlent aussi…

Nous n’arrivons pas à « atterrir » comme dit Bernard. Et pourtant depuis plusieurs jours l’attente et l’espoir grandissaient.
On savait que « normalement » le PSE, le plan de sabotage de l’emploi d’UNILEVER qui avait déjà (fait unique) été cassé 3 fois, ne pouvait une fois de plus pas passer et que « normalement » la direction du travail le casserait lundi soir 26 mai avant minuit si aucun accord n’était trouvé. On savait que la lutte et l’opiniâtreté qui ne s’étaient pas démenties depuis 1336 jours, la force des arguments économiques déployés par les camarades de PROGEXA [1], l’extraordinaire et constant combat de l’ami Amine, l’avocat de tous les instants, l’immense popularité de ce conflit due tout à la fois aux 2220 (si ! si !) courriels envoyés par Olivier depuis le 8 mars 2010, qu’au soutien grandissant des organisations au premier rang desquelles se trouvent évidemment les organisations CGT (union locale, départementale et fédération de l’agroalimentaire).
On savait qu’avec tous ces éléments, « normalement » UNILEVER était coincé et que depuis 6 mois, sentant arriver l’échéance, il manœuvrait pour mettre en œuvre des négociations qui n’en seraient pas mais en seraient quand même, tenues dans le « plus grand secret » à sa demande et dévoilées ensuite par lui à la presse. On savait tout cela mais dans ces cas-là, jusqu’au bout on a du mal à dormir…et même de plus en plus de mal.

Dimanche soir, avant l’ultime séance de négociations, les salariés avaient voté à l’unanimité et depuis chacun retenait son souffle. Lundi soir Omar a appelé et Olivier a envoyé son 2219e courriel. Ce matin on s’est donc tous retrouvés à l’usine. Presque sans bruit. Sans grandes démonstrations. On a attendu dans la cour puis nous sommes rentrés dans l’atelier et l’assemblée a démarré.


Les fralibiens avaient préparé une surprise : des tee-shirts tout neufs à l’effigie de leur victoire.

Avant même qu’un délégué puisse prendre la parole une ouvrière de Fralib s’est levée et a dit « avant tout il faut remercier nos délégués » : tonnerre d’applaudissements tous debout.

Quand cela s’arrête Gérard commence à parler des acquis, de l’accord, puis il s’étrangle et la tête dans ses mains ne peut continuer quand il parle de la solidarité sans laquelle ils n’auraient pas pu gagner. A ses côtés, comme il l’est depuis tant d’années, Olivier n’en mène pas large. Il a ce visage crispé qu’on lui a connu dans d’autres moments d’émotion forte….


Thierry (UD), Cynthia (UL), Jean Luc ((fédé), Jean louis (PROGEXA) les interventions se succèdent et les ovations aussi. Quand ça vient à Amine on se lève à nouveau pour l’acclamer et il aura cette phrase toute empreinte de modestie mais si juste « aucun combat juridique ne peut être gagné sans la mobilisation militante ». Au milieu des applaudissements un micro se tend vers Florence : « alors vous êtes heureuse ? Oh oui je suis heureuse » et le visage entier dit le reste à sa place…


Viennent ensuite les questions des journalistes qui reviendront à plusieurs reprises sur ce qui leur parait sans doute le plus important : les chiffres. Les sommes. L’argent.

Gérard aura cette réponse : « on ne s’est jamais battu pour l’argent mais pour l’emploi. Ce qu’on a obtenu en fin de compte c’est juste notre dû. On l’a obtenu non pas en allant signer seul en catimini un papier au coin d’un bureau, mais par la lutte collective en toute dignité ». Et il aurait pu rajouter cet épisode du combat quand la direction est venue proposer un par un à chacun des 76 un chèque de 90 000€ et qu’ils ont tous refusé.

Et puisqu’il faut parler chiffres juste quelques éléments :
La lutte a arraché à UNILEVER 20 millions d’euros !
Dans cette somme on peut citer entre autres :
- 500 000€ pour la formation des ouvriers
- 150 000€ pour la commercialisation
- 1,5 million€ pour le fonds de roulement
- 100 000€ chacun en plus des indemnités légales…


Et bien sûr la reconnaissance que l’usine leur appartient ce que rappelle la déclaration des FRALIB

… Le bilan de cette phase du combat de plus de 3 ans et demi confirme que seule l’action paie. Pour rappel :
- Appropriation publique des terrains et bâtiments,
- Appropriation publique à l’euro symbolique des installations administratives et industrielles du site pour transfert à la SCOP des salariés,
- Soutien financier au démarrage et au développement du plan alternatif des salariés en sécurisant les acquis obtenus et en ouvrant des perspectives sérieuses notamment par :
- Diverses mesures contribuant au développement commercial. Il s’agit notamment de la recherche de débouchés de production, la construction d’une marque, le renforcement de l’appareil commercial et administratif, une étude de marché.
- Une contribution conséquente au fonds de roulement
- Le financement d’une formation pour les salariés de la SCOP
- La participation à la remise en état, au développement, à la modernisation et à la diversification de l’outil de travail.
- Maintien des institutions représentatives du personnel pendant une période suffisante permettant la maîtrise du dossier jusqu’à la création officielle de la SCOP,
- Obtention d’une prime substantielle de préjudice pour chaque salarié en lutte venant s’ajouter aux indemnités légales,

On est bien devant une Fasinpat à la française.

Publiquement il n’y a pas eu de questions sur la dimension humaine de ce conflit. Seul Olivier a tenu en début d’assemblée à saluer les familles des occupantes et occupants, familles sans lesquelles il n’aurait pas été possible de tenir 1336 jours et 1336 nuits. Pas de question sur les moments de doute, les insomnies, la lassitude, les grandes joies, la solidarité, l’expérience du combat, en quoi tous ces jours les ont transformés…Et pourtant ils et elles auraient tous beaucoup à dire sur ce sujet…

Souvent les questions les plus pertinentes sont posées en cercle réduit. A l’une d’elles Olivier répondra « c’est notre réponse au FN qui a été le seul parti ici à s’opposer aux ouvriers et au démarrage de la SCOP ».

A la sortie de l’atelier des fumigènes attendaient les délégués et leurs plus proches soutiens.

Rim, Henri et Yves disaient qu’il fallait changer la fin de la pièce qu’ils ont faite sur le conflit, pièce qu’ils vont jouer à La Penne sur Huveaune et au festival de Jolie Môme, La Belle Rouge cet été à Saint-Amand-Roche-Savine.

Jean et François disaient que le combat allait continuer sous d’autres formes.

Tous disaient qu’ils seraient présents dans les prochaines manifs…

En repartant on repensait à cette phrase prononcée le 28 septembre 2010, comme un coup de colère à la face du « directeur mercenaire » Llovera, un éclat de rage, une phrase qui était devenue un slogan qui résonnait dans nos têtes, scandait le combat, était le fil rouge de toute action et que la lutte a transformé en réalité tranquille : pas un boulon ne sortira d’ici…


[1le cabinet d’expert qui a travaillé tout au long du conflit au côté des FRALIB



Commentaires

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lundi 2 juin 2014 à 03h04 - par  Pascal Maurieras
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jeudi 29 mai 2014 à 20h08 - par  Alain chancogne dit A.C

..
Chapeau., les gars !(et les FILLES bien entendu !)

 :)

J’ai mis enligne sur Bella ciao un article

http://bellaciao.org/fr/spip.php?article141481http://canaille-le-rouge.over-blog.com/2014/05/fralib-chapeau-camarades.html

.
Plus de trois ans demi d’occupation. 1366 jours.

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jeudi 29 mai 2014 à 15h33 - par  jpb
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mercredi 28 mai 2014 à 23h44 - par  Yvette Genestal
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mercredi 28 mai 2014 à 21h03 - par  Lydia frentzel

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