Charte des langues régionales : gadget ou enjeu ?

jeudi 30 janvier 2014
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Le vote au parlement de la charte, s’il a obtenu une large majorité (361 voix contre 149), a divisé à l’intérieur de tous les groupes : PS : 8 contre (sur 270) et trois abstentions, Front de gauche (malgré la déclaration positive du groupe) : 6 voix pour, 4 voix contre, les cinq députés ultramarins ont voté pour, UDI : pour, UMP : 131 voix contre 40 pour et 15 abstentions, extrême droite : 3 contre.

Au-delà des aspects écrans de fumée dénoncés par certains ou de la volonté de caresser dans le sens du poil les autonomistes bretons, dénoncée par François Morvan, l’enjeu est de taille.

Il renvoie à une question simple posée ici il y a déjà quelques temps :la nation est-elle un concept archaïque ? Selon comme on répond à cette question on sera pour ou contre la charte en l’état.

Autre chose est de reconnaître à tout un chacun le droit de parler et de transmettre la langue de ses origines ou de son choix...sans détruire le facteur d’unité linguistique qui constitue, selon Marx, l’un des 5 critères de reconnaissance de la nation (Communauté historiquement
constituée, Communauté de langue, Existence d’un territoire délimité, Communauté de vie économique, Communauté de formation
psychique). Ce qui nous met à l’exact opposé des nationalistes adeptes d’une dictature centralisée qui ont voté contre la charte ou des fascistes ethnicistes qui la défendent.

CONTRE LA CHARTE DES LANGUES REGIONALES

Comme le serpent de mer, la Charte, la fameuse « charte européenne des langues régionales ou minoritaires », émerge et crie pour qu’on la ratifie. (...)

Et voilà les autonomistes associés aux militants d’Europe-Écologie-les-Verts et relayés par des élus socialistes en quête de voix identitaires, repartis à protester : ne pas ratifier la charte, c’est s’acharner contre les pauvres « langues régionales minorisées », poursuivre le « génocide linguistique commis par l’État jacobin » et trahir les valeurs promues par l’Europe si soucieuse du bien-être de ses populations, comme on peut le constater chaque jour…
Face au fatras propagandistique, les informations objectives sur cette charte sont systématiquement étouffées. Il y a pourtant eu des travaux sur ses origines, sur ses enjeux véritables et ses conséquences. (...)Qu’on interroge le premier venu, il vous dira que la charte doit être ratifiée car le breton, le basque et le corse sont des langues qu’il faut défendre : elles font la richesse du patrimoine français symbole de la diversité culturelle. Répondez que la charte ne vise pas à défendre des langues minoritaires mais les langues de groupes ethniques, sur une base foncièrement raciste, l’interlocuteur ouvre de grands yeux. (...) Et néanmoins…

L’origine de la charte : le lobby ethniciste européen

Le germaniste Lionel Boissou s’est donné beaucoup de mal pour exposer l’histoire de la FUEV (Föderalistische Union Europäischer Volksgruppen), encore dite UFCE (Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes), qui a concocté la charte. Il a montré que ce puissant groupe de pression s’inscrivait directement dans la suite des « Congrès des nationalités » mis en place par les réseaux pangermanistes allemands et que leur organe, Nation und Staat, suspendu en 1944 pour cause de nazisme, avait donné lieu à Europa ethnica, la revue de la FUEV reprenant la même numérotation.
La FUEV, [1] a été réactivée dans les années 90 par le gouvernement allemand, renouant avec le pangermanisme, et reçoit aussi des subsides de la fondation Niermann, créée en 1977 à Düsseldorf dans le but « d’aider les minorités ethniques à préserver leur existence biologique et culturelle, en particulier le Volkstum allemand » (le « Volkstum », autrement dit « l’esprit de la race »). Or, la FUEV, ayant obtenu statut consultatif aux Nations Unies et au Conseil de l’Europe, a fondé un « groupe de travail » qui a pour objectif la « protection des groupes ethniques ». C’est ce groupe qui a rédigé la charte européenne des langues régionales et minoritaires, le Conseil de l’Europe se chargeant de la promouvoir.

Les enjeux de la charte

Une autre germaniste, Yvonne Bollmann [2], s’est, elle aussi, donné beaucoup de mal pour analyser les véritables enjeux de la charte.

Elle a mis en lumière le fait, constamment passé sous silence, que la FUEV n’entend nullement défendre des langues minoritaires mais des langues de minorités ethniques rattachables au sol du pays signataire : l’article 1 le précise bien, la Charte « n’inclut ni les dialectes de la (des) langue(s) officielle(s) de l’État ni les langues des migrants » [le texte de la charte est ici http://conventions.coe.int/treaty/fr/Treaties/Html/148.htm . Sur cette base, l’arabe n’est pas une langue minoritaire ; le breton, langue d’une ethnie celte, ou supposée telle, est défendable mais non le gallo, dialecte français parlé en Haute-Bretagne…

Elle a également démontré que la charte fait partie de tout un dispositif pensé dès l’origine comme une arme de guerre contre les États-nations (et en premier lieu la France) par les partisans d’une Europe des ethnies. Le complément de la Charte, la Convention-cadre pour la protection des minorités, a été adoptée de la même manière et est entrée en vigueur en 1998. Cette convention s’accompagne elle-même de chartes et conventions diverses visant à « dégager le substrat ethnique de sa gangue étatique [3]. »

Un dispositif verrouillé

(...) Le texte contraint le signataire à choisir au moins 35 de ses 98 articles : la France en retient 39 et, la liste faite, signée.
Cette liste n’est qu’une plaisanterie. La charte est hermétiquement verrouillée. En effet, l’article 21 précise qu’elle « interdit toute réserve, sauf pour les paragraphes 2 à 5 de l’article 7 » (paragraphes qui ne portent que sur des points de détail).

Lorsque Bernard Poignant (Le Télégramme, 18 septembre 2007) rappelle que la France a assorti la signature le 7 mai 1999 de deux déclarations (pas de droits particuliers à un groupe ; pas d’usage dans la vie publique), il fait comme si cette clause était juridiquement valable. Elle ne l’est pas. Le préambule pose, sans réserve possible, que « le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique constitue un droit imprescriptible ».

Les conséquences de la charte

Une fois la Charte ratifiée, tout locuteur d’une langue minoritaire reconnue comme telle par le pays signataire sera en droit de saisir la Cour européenne des droits de l’homme pour se faire traduire les textes de loi et bénéficier de documents administratifs dans sa langue.

Du fait que la Charte ne reconnaît que des langues de minorités linguistiques, les dialectes français ne devraient pas être reconnus : en vue de contourner ce dispositif, Lionel Jospin a chargé un linguiste (jusqu’alors surtout connu comme médiéviste) de déterminer les langues parlées sur le territoire national.

Or, alors que la plupart des États ont fait en sorte de reconnaître le moins grand nombre possible de langues minoritaires (ainsi l’Allemagne, qui refuse de reconnaître officiellement tout problème de « minorités nationales » à l’intérieur de ses frontières, a-t-elle refusé de reconnaître le yiddish et le turc, pourtant parlés par deux millions de personnes — décision d’ailleurs conforme aux dispositions de la charte qui ne reconnaît pas les langues des « migrants »), ce linguiste a retenu 75 langues allant du bourguignon-morvandiau aux langues de Nouvelle-Calédonie (nyelâyu, kumak, caac, yuaga, jawe, nemi, fwâi, pije, pwaamei, pwapwâ, cèmuhî, paicî, ajië, arhâ, arhö, ôrôwe, neku, sîchë, tîrî, xârâcùù, xârâgùrè, drubéa, numèè) en passant par l’arabe dialectal et le berbère (mais pas le portugais) [lire icison rapport].

Au moment où l’État procède à des coupes budgétaires drastiques, et où l’enseignement des langues, à l’exception de l’anglais, de l’espagnol et de l’allemand, est sinistré, ratifier la charte reviendrait à verser des prébendes à des militants de toutes obédiences empressés d’exiger la traduction des textes officiels dans leur idiome. C’est d’ailleurs bien ce qu’ils attendent… Et c’est ce que Robert Badinter a très tôt rappelé, constatant que ce « serait donner un fondement légal, sur la base d’une convention internationale, à la revendication collective des régionalistes les plus radicaux » [4]. Mais en vain.

Il reste à se demander par quelle aberration des socialistes peuvent défendre un dispositif pareil et dénoncer l’héritage de la Révolution française en posant le fait ethnique comme une revendication « moderne » opposable à une conception « désuète » — je ne fais là que citer les socialistes Armand Jung et Jean-Jacques Urvoas (auteurs d’une brochure intitulée Langues et cultures régionales : en finir avec l’exception française publiée par la Fondation Jean Jaurès) qui placent la France « au banc des accusés » car, d’après eux, ne pas reconnaître de minorités en France constitue une atteinte aux droits de l’homme [5]. Les notions d’« ethnie » ou d’« ethnicité » n’étant, comme le rappelait Pierre Bourdieu, que des « euphémismes savants que l’on a substitués à la notion de « race » [6], cette promotion de l’ethnisme contre la conception républicaine de la laïcité s’apparente à un accablant recyclage à gauche des thèmes orchestrés de longue date par les autonomistes.

Plus accablant encore, le président socialiste du Conseil régional de Bretagne le soutient au nom « des Bretons », comme si les Bretons attendaient la reconnaissance de leur ethnie (et comme si le breton et le gallo n’étaient pas déjà largement enseignés et subventionnés sur fonds publics). Et le Conseil culturel de Bretagne se fend d’une lettre ouverte présentant la ratification de la charte comme une obligation au motif que « ceux qui veulent parler breton, gallo, basque, catalan, alsacien, corse, flamand, créole ou d’autres langues autochtones en ont légitimement le droit ». Les « autochtones » seraient donc empêchés de parler leur langue ? Et ce, en raison du refus de ratifier la charte ? C’est sur cette base que ces représentants non élus d’une « minorité » enrôlée dans une croisade dont ils ne connaissent pas les enjeux dénoncent « un système jacobin, archaïque et discriminatoire ». En quoi discriminatoire ? En ce qu’il s’oppose à toute discrimination ethnique ? La réponse du gouvernement le 2 avril 2008 était limpide : « La France ne reconnaît pas en son sein l’existence de minorités disposant en tant que telles de droits collectifs opposables dans son ordre juridique. Elle considère que l’application des droits de l’homme à tous les ressortissants d’un État, dans l’égalité et la non-discrimination, apporte normalement à ceux-ci, quelle que soit leur situation, la protection pleine et entière à laquelle ils peuvent prétendre. »

Sauf à revendiquer l’allégeance de l’homme à la tribu, on est en droit de conclure qu’il s’agit là, en effet, « d’une conception particulièrement exigeante des droits de l’homme. » Faut-il brader cet héritage ? Pour quel profit ?
Se référant désormais aux directives du Conseil de l’Europe, certains élus de gauche tiennent à l’égard de la France des discours haineux que l’on dirait calqués sur ceux de l’extrême droite ethno-régionaliste. Ils rejoignent par là le puissant lobby patronal breton de Locarn qui appelle de ses vœux une « Europe des tribus » [7]. La charte est l’un des outils destinés à la faire advenir.

Françoise Morvan

écrivaine et chercheuse,

http://www.m-pep.org/spip.php?article3517.

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Oui à la ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires

Les langues et cultures de France sont une composante de notre patrimoine national. Le reconnaître officiellement est un impératif démocratique. Il découle de notre attachement aux droits humains.
Il est une manière de dire que la diversité des langues et des cultures est une richesse, à l’échelle de la planète comme à l’intérieur de chaque nation.

Aujourd’hui moins que jamais, on ne peut considérer que le déclin des langues régionales mais aussi celles issues des migrations qui ont peuplé notre pays, sert l’indispensable combat pour le rayonnement dans le monde du français, langue de la République. Au contraire la protection et l’épanouissement des langues et des cultures de France sont une condition pour que la France continue de jouer tout son rôle dans le concert des peuples et des nations.

Cette position est conforme à notre conception de l’avenir de la France, de l’Europe et du monde. Elle découle de notre vision du genre humain et de sa liberté. Si nous ne voulons pas d’un monde standardisé, étouffé par les mécanismes appauvrissant de l’argent roi et de l’étatisme centralisateur, il faut favoriser le développement de la personne humaine. Tout ce qui permet à chacune et chacun d’être un acteur autonome et conscient de son destin doit être valorisé par la puissance publique. Le droit à l’apprentissage de la langue nationale comme à celui des autres langues de France est une pièce décisive de l’équilibre démocratique. La France a besoin de valoriser sa diversité. L’Europe aussi à condition qu’elle ne soit pas corsetée par le carcan libéral qui fait primer la finance sur le développement humain. L’Europe de la diversité linguistique est d’ailleurs contradictoire avec le traité de Lisbonne, les politiques d’austérité et le technocratisme antidémocratique rejetant la souveraineté des peuples et des nations qui la composent. Notre soutien à la charte européenne des langues régionales et minoritaires est indissociable de notre combat pour une réorientation progressiste de l’Europe.

Notre position favorable à la ratification de la charte est conforme aux différents projets de loi sur les langues et les cultures de France que nous avons proposée dès les années 80, le dernier en date en 2008, défendu en leur temps par Guy Hermier et Michel Vaxes. Marie-George Buffet l’a rappelé en 2013 lors du débat sur la loi de refondation de l’école.
C’est pourquoi nous approuvons la proposition du Premier Ministre d’engager le processus législatif en vue de la ratification par la France de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires même si nous considérons que cette charte est incomplète, en particulier en ce qui concerne les langues issues des immigrations.

La proposition de loi doit venir en débat le 22 janvier. Cette étape constitutionnelle doit à notre sens, être suivie par l’adoption d’une loi-cadre garantissant un statut pour les langues et cultures de France.
Comment revendiquer la diversité culturelle et linguistique dans le monde, face l’hégémonie de l’anglo-américain, et la refuser à l’intérieur des frontières de notre pays. Comment ne pas voir que la valorisation de la richesse linguistique en France et dans le monde participe à la défense de la langue française, langue de la République et de la résistance au rouleau compresseur d’une monoculture liée à un impérialisme économique, culturel et consumériste ?

La question des langues et cultures de France contribue également à l’enrichissement de la dimension du fait régional en permettant une conception différente de la décentralisation. On voudrait nous faire oublier que la seule conception possible de cette décentralisation serait celle qui conduit à réduire l’Etat « au minimum » en transférant une « gouvernance locale » aux collectivités territoriales, qui assumeraient les coûts et les responsabilités politiques, pendant que l’Union Européenne serait chargée de faire respecter par tous, y compris les collectivités territoriales, la loi généralisée de la concurrence.

Nous avions proposé au nom du Front de Gauche lors de la campagne présidentielle qu’une nouvelle loi mette à jour la loi Deixonne de 1951,
« Une nouvelle loi mettra à jour la loi Deixonne de 1951, autorisant l’apprentissage des langues régionales dans l’enseignement public, et le Front de Gauche s’engage d’ores et déjà pour en rédiger le projet, en s’adressant aux différents partenaires et associations linguistiques et culturels.

Le Front de Gauche, dans sa volonté de refonder une Europe au service des peuples, intègrera les langues et cultures de France comme moyens d’ouverture sur nos voisins européens, en proposant de réviser tant sa constitution que la charte européenne des langues, pour en permettre sa signature. »

Cet engagement d’hier demeure le fil conducteur de notre engagement, le groupe GUE/NGL au Parlement s’est inscrit positivement dans cette démarche et nos actes au Parlement et au sénat traduiront cette volonté.

http://www.pcf.fr/49500

[1fondée en 1949 et présidée par l’autonomiste Joseph Martray, puis par le séparatiste breton Pierre Lemoine,

[2Yvonne Bollmann, La Bataille des langues en Europe, Bartillat, 2001 (et aussi, La Tentation allemande, Michalon, 1998, et Ce que veut l’Allemagne, Bartillat, 2003).

[3Dans ce sens, la carte des minorités ethniques européennes élaborée par le Conseil de l’Europe semble programmatique.

[4Le Nouvel Observateur, 1er juillet 1999.

[5Présentant la France comme une aberrante exception (alors que 14 pays ont refusé à ce jour de signer la charte et 7 de la ratifier), A. Jung et J.-J. Urvoas (président de la Commission des lois à l’Assemblée nationale), présentent la France comme coupable et mise au ban des nations par des autorités internationales — ainsi Alvaro Gil-Roblès, voix du Conseil de l’Europe, et Gay McDougall, « experte » auprès de l’ONU, laquelle « invite abruptement le gouvernement français à une reconnaissance de la réalité », à savoir « reconnaître l’existence de minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques sur le territoire français », signer la Convention cadre pour la protection des minorités nationales et, bien sûr, ratifier la Charte (p. 131) … La confusion la plus totale est entretenue sur les notions, elles-mêmes on ne peut plus confuses, de « groupes », d’« ethnies » et de « minorités ».

[6Pierre Bourdieu, « L’identité et la représentation, éléments pour une réflexion critique sur l’idée de région », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 35, novembre 1980, p. 64.

[7Intervention de Dick Veerman prônant, contre les États et surtout la France, « une fédération de tribus européennes dont la tribu bretonne », université d’été de l’Institut de Locarn, 2012



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