Une action militaire des Etats-Unis en Amérique du Sud ?

jeudi 3 janvier 2013
popularité : 3%

L’ultime édition de La Revue d’Anticipation Politique-MAP, publiée par Le Laboratoire Européen d’Anticipation Politique (Leap), est en grande partie consacrée à l’analyse des tendances régionales en Amérique du Sud entre 2012 et 2016. Le chapitre consacré au sujet a un titre suggestif : Incertitude entre domination étatsunienne et indépendance régionale.

La publication soutient que l’actuel scénario régional et international présente des conditions exceptionnelles pour que l’Amérique du Sud se constitue en une région géopolitiquement souveraine à la suite de l’échec du Consensus de Washington et de la stratégie d’intégration orientée par les Etats-Unis à travers de l’ALCA. Elle analyse brièvement la politique étatsunienne de construire une alliance avec ses alliés du Pacifique, avec pour objectif de créer une barrière qui rendra difficiles les relations commerciales entre l’Asie et les pays de la zone de l’Atlantique.

Le point culminant de l’analyse est le militaire. Les analystes du Leap soutiennent que l’Amérique du Sud doit se préparer à une possible action militaire étatsunienne, pays qui est en train de militariser le territoire latino-américain pour renforcer sa position de domination. Le think tank géopolitique européen, proche du président François Hollande, s’attarde sur la présence militaire croissante du Commando Sud dans la région et conclut qu’avec le succès du coup institutionnel au Paraguay contre Fernando Lugo, les Etats-Unis ont consolidé leur pouvoir militaire au cœur des pays de l’Unasur.

La conviction que la super-puissance en décadence prétend recoloniser la région en recourant à des actions militaires n’est pas nouvelle, sauf par le fait de provenir d’un important centre européen, et pour conduire les analyses jusqu’aux ultimes conséquences. L’homme a toujours utilisé les armes qu’il a développées, et le monde est accoutumé à sortir des crises systémiques avec une grande guerre, après laquelle se font les conditions pour le nouvel ordre, sont deux des idées- phare de cette analyse.

Deux questions surgissent immédiatement.
- Cette région est-elle préparée pour affronter une action militaire recolonisatrice du Pentagone ?
- Comment l’imaginons nous et comment nous préparons nous pour la transition vers un monde nouveau, peut-être multipolaire, et espérons le aussi socialiste ?

La première réponse est que ne sont pas encore remplies les conditions pour affronter, comme région, les Etats-Unis. Seulement le Brésil et le Venezuela ont conscience des difficultés qui viendront dans le futur immédiat et se préparent pour cela selon les capacités de chacun. Le Brésil s’est doté d’une Stratégie Nationale de Défense sous le second gouvernement de Lula ; il est en train de revitaliser son industrie militaire et de construire les moyens nécessaires pour sa défense, incluant, comme nous l’avons déjà dit dans ces colonnes, la construction de sous-marins nucléaires.

Néanmoins, il a buté sur quelques difficultés et limitations. Le nouveau report de l’achat d’avions de chasse de dernière génération, processus qui a déjà deux décennies, et surtout la récente inclination pour les F-18 de Boeing au lieu des français Rafale, révèle comment les pressions de La Maison Blanche obtiennent des résultats dans des pays qui paraissent fermes dans leurs décisions.

Comme on le sait, le Venezuela a aussi fait des pas importants pour se défendre d’éventuelles actions militaires mais continue d’être dans l’œil du cyclone déstabilisateur de Washington et des droites régionales. Dans les autres pays prédomine ou bien un clair alignement sur la politique du Pentagone (cas du Chili, de la Colombie, du Pérou et désormais aussi du Paraguay) ou des positions ambigües comme celles de l’Uruguay. En tous cas, dans la majeure partie des gouvernements de la région prévaut la conviction qu’il n’y aura pas lieu d’affronter des situations extrêmes.

La seconde question requiert un débat stratégique sur la façon dont nous prévoyons l’arrivée des changements et comment nous nous préparons pour en faire une réalité. Sur ce point s’impose une réflexion latérale : les changements véritables, ceux qui ont pour objet d’ouvrir le scénario politique à de nouvelles relations sociales, à de nouvelles formes de pouvoir et par là-même à une nouvelle société, ne viendront pas des gouvernements mais de ceux d’en-bas, des gens ordinaires organisés en mouvements.

Le contraire ne peut être autre chose que la continuité de l’oppression sous d’autres formes. Avons-nous appris quelque chose des révolutions indépendantistes qui ont seulement changé les élites et n’ont pas changé les relations sociales et de pouvoir ? Dans un texte lumineux, « El problema primario del Peru » , José Carlos Mariategui soutenait : la république a signifié pour les indiens l’ascension d’une nouvelle classe dominante qui s’est appropriée systématiquement ses terres. Il alla plus loin et assura que la vice-royauté fut moins coupable de la situation de l’indien que les républicains qui les endormirent en inscrivant démagogiquement leurs exigences dans un programme que jamais il n’accomplirent.

Ainsi survient le troisième problème : nous préparer pour un futur de guerres et de confrontations imposées par l’empire et les classes dominantes suppose, en premier lieu construire la conviction subjective de l’inévitabilité de ces scénarios. Une analyse qui inclut comme axe central la préparation de force pour cette éventualité, qui ne se réduit pas à une question militaire seulement, mais implique quelque chose de plus profond et préalable : la disposition qui passe par une éthique de ne pas s’impliquer avec ceux d’en haut, qu’il s’agisse de la bourgeoisie, de l’Etat, des moyens de la droite ou des ONG.

De ce point de vue, en Amérique du Sud nous sommes encore très loin. Dans la mesure où nous n’avons pas de recettes rapides pour savoir comment faire et quelles directions prendre, les exemples et références peuvent être d’une aide énorme. Ces hommes, ces femmes et ces enfants qui le 21 décembres levèrent le poing en silence dans cinq villes du Chiapas nous montrent l’état d’esprit et l’organisation nécessaires pour affronter cette période historique.

Raul Zibechi

Source : La Jornada (Mexique)

Traduit de l’espagnol par Gérard Jugant



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur