« Ils veulent uniquement nous mettre à genoux, mais ils n’y parviendront pas. »

vendredi 23 novembre 2012
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En pleines négociations historiques sur un processus de paix, Miguel Pascuas, commandant fondateur des FARC a accepté de donner une interview pour la première fois de sa vie ...

Il est arrivé, m’a serré la main et s’est assis à côté de moi. Il a commencé à boire un jus de fruits, levant parfois les yeux pour me regarder. Chacun de ses mouvements était silencieux. Je venais de terminer l’interview de Ricardo Tellez, plus connu sous le nom de Rodrigo Granda, l’un des chefs de la délégation des FARC dans les négociations avec le gouvernement colombien à La Havane. J’avais proposé à Tellez de m’aider à le convaincre de faire une interview. « Je vous le présente, et c’est qui lui décidera. Il n’a jamais donné d’interview de sa vie, et je crois qu’il n’a jamais été pris en photo », m’avait-il dit.

Je lui demande comment il se sent. « Bien, même si ma terre, ma forêt me manquent », me répond-il, ouvrant à peine la bouche, et il se remet à savourer son jus de fruits. Vraiment, cet homme est un paysan typique : réservé et avare de paroles devant les étrangers.

Miguel Angel Pascuas est né le 20 novembre 1940 dans la ville de Neiva, au sud du pays. Dès les débuts des années soixante, il entra dans la lutte guérillera. Il fut parmi les 52 hommes et les trois femmes qui, dans la région de Marquetalia au sud-ouest du pays, firent front à l’attaque de seize mille soldats assistés par des spécialistes étasuniens. Le 27 mai 1964, en plein assaut militaire, il fit partie des fondateurs des FARC, même si c’est seulement deux ans après qu’elles prendraient ce nom. « On dit que je suis le dernier membre des fondateurs qui reste en activité, mais il y a aussi Jaime Bustos. Il existe d’autres marquetaliens, mais ils se sont retirés pour cause de vieillesse ou de maladie. »

La république de Marquetalia

La République de Marquetalia est une zone autonome constituée en 1958 en Colombie. Cette zone vit en marge du pouvoir central colombien entre 1958 et 1964, à tel point qu’elle a parfois été décrite comme une « République indépendante », une appellation récusée par ses dirigeants, qui préfèrent parler de « groupe d’autodéfense » ou de « zone organisée du mouvement paysan ». Elle fut utilisée comme refuge par des populations fuyant la violence des zones voisines, avant d’être reprise par l’armée colombienne le 22 juin 1964.

La plupart des guérilleros parviennent à quitter la zone, et forment le noyau initial des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), qui sont fondées officiellement deux ans plus tard. La résistance opposée par les guérilleros à l’offensive militaire contre Marquetalia constitue un évènement fondamental pour les FARC, qui considèrent le 27 mai 1964, date du premier choc important entre l’armée et les guérilleros, comme leur date anniversaire.(Wikipedia)

Cela fait 25 ans qu’il dirige le Sixième Front des FARC, l’un des plus actifs et des plus stratégiques. Il tient en échec les puissantes Forces Armées officielles, car il a réussi à porter la confrontation tout près de Cali, la troisième ville du pays.

Pour essayer de rompre son apparente indifférence, je lui dis que c’est la première fois de ma vie qu’il y a autant de dollars autour de moi. Les personnes présentes me regardent, intriguées. « Le gouvernement colombien offre plusieurs millions de dollars pour la tête de Tellez. Pour Pascuas, le Département d’ État des États-Unis donne 2,5 millions, et le gouvernement colombien, un million ». Je remarque que Pascuas préfère regarder son jus de fruits et le remuer.

Je lui propose de l’interviewer. Avec une incroyable économie de mots, il me dit qu’il n’a pas grand-chose à raconter. J’insiste. Il accepte, mais à une seule condition : que ça se passe dans un lieu ouvert. Il ne veut pas s’enfermer dans un salon. « Je ne réussis toujours pas à m’habituer à dormir dans une chambre, ni dans ce lit. J’ai l’oreille très sensible, habituée aux bruits de la montagne. A l’aube, je n’entends pas le bruit des petits animaux de la forêt, seulement celui des voitures qui passent, et ça me perturbe. Quand je suis dans le paramo [plaine d’altitude], je me couche sur les feuilles du frailejón [plante à feuilles velues poussant dans le paramo] et sur d’autres herbes. Et si c’est dans une zone chaude, j’utilise un hamac et une moustiquaire. Toujours en plein air. Vous ne pouvez pas imaginer la tranquillité qui règne dans la forêt, dans la campagne ».

Je lui réponds que je ne peux l’imaginer, et que les moustiques me font paniquer, même si j’ai été élevé dans un quartier très pauvre qui en était infesté. J’arrive à lui tirer un sourire avec ça, même si je crois plutôt qu’il se moque de moi. En tout cas, il en résulte qu’il accepte de parler avec moi quelques jours plus tard.

« Je lutterai et lutterai pour la prise du pouvoir, tant que la santé et la vie me le permettront. Nous voulions que ce soit par la voie politique, et c’est pour cela que nous avons insisté pour dialoguer avec le gouvernement. Si seulement nous avions pu former un parti politique sans qu’ils nous tuent, comme ils l’ont fait avec l’Union Patriotique...

Rappelez-vous qu’ils ont assas novembre siné environ cinq mille de nos compañeros et compañeras. Alors nous avons dû renforcer le côté militaire.

Dans les négociations actuelles, nous ne pouvons refaire les erreurs que nous avons commises durant celles menées dans la région du Caguan, au sud de la Colombie [entre 1998 et 2002]. Notre élan militaire était fort avant le Caguan, et nous avions réussi à occasionner de grandes défaites à l’ennemi. Lors de ces dialogues, nous avons fait confiance, et quand ils ont été rompus, l’ennemi a lancé l’assaut avec une grande force puisqu’il s’était préparé à la guerre. C’était au moment de ce qu’on a appelé le Plan Colombie, dirigé et armé par les gringos sous le prétexte de la guerre au narcotrafic, mais pour en finir avec nous, en fait. Mais on s’adapte aux nouvelles tactiques et aux stratégies de l’ennemi. Après chaque combat ou bombardement nous en faisons l’analyse pour décider de la façon de répondre et d’avancer.

Colombie  : le processus de paix lancé à La Havane

Les discussions entre le gouvernement colombien et la guérilla des Farc, destinées à mettre fin à un conflit vieux de cinquante ans, ont débuté hier[19 novembre NDLR] dans la capitale cubaine.

Les négociations entre le gouvernement colombien et la guérilla des Farc abordent un nouveau rivage à Cuba, pays garant des pourparlers de paix pour tenter de mettre fin à un conflit vieux de cinquante ans en Colombie. Initialement prévues jeudi 15 novembre, elles ont été reportées de quelques jours, le temps de permettre la participation de la société civile aux discussions. Après un coup d’envoi donné le 18 octobre dernier en Norvège, autre pays garant, les émissaires des deux parties devaient donc se retrouver hier à La Havane pour entrer dans le vif du sujet. Depuis des mois, Cuba a œuvré, dans la plus grande discrétion, au rapprochement des deux camps.

Après quatre vaines tentatives depuis les années 1980, l’issue reste incertaine. À Oslo, les négociateurs ont laissé apparaître de fortes tensions. L’ancien vice-président colombien Humberto de la Calle, affirmant sa volonté de ne pas être «  otage  » du processus de paix, a appelé la guérilla à «  déposer les armes  » tandis que le numéro deux des Farc, Ivan Marquez, a mis en cause le modèle économique colombien, le qualifiant de capitalisme «  assassin  ». Il a critiqué la subordination de Bogota aux États-Unis, notamment dans le domaine militaire avec le «  plan Colombie  » censé lutter contre le trafic de drogue. Hors sujet, a sèchement répliqué Humberto de la Calle. Le président colombien Juan Manuel Santos, a d’autre part fixé à «  quelques mois  » la durée des pourparlers, quand les Farc mettent en garde contre l’illusion d’une «  paix express  ».

Le calendrier arrêté pour les débats doit porter en premier lieu sur le développement rural, thème crucial dans un pays où la concentration des terres aux mains de l’oligarchie est à l’origine de la fondation des Farc en 1964. Quatre autres points fondamentaux y figurent  : la participation des guérilleros à la vie citoyenne, la fin du conflit armé, la lutte contre le trafic de drogue et le droit des victimes ayant subi des exactions de la part de la guérilla, de l’armée et des paramilitaires d’extrême droite, partiellement démobilisés, mais dont beaucoup de membres ont rejoint des gangs criminels. Le conflit a fait plusieurs centaines de milliers de morts et près de 4 millions de déplacés, selon l’ONU.

Au pouvoir depuis 2010, le président Santos a appelé les Colombiens à «  cicatriser les blessures  », mais refuse de relâcher la pression sur la guérilla qui, malgré les sévères coups subis, reste toujours opérationnelle dans les régions rurales. Pour les Farc, la paix, loin de se réduire au silence des armes, ne peut résulter que de «  la justice sociale  ».

Bernard Duraud L’Humanité 20 novembre 2012

« Qu’est-ce-que je ressens à être l’un des hommes les plus pourchassés ? Je me sens très bien. Je n’ai pas peur, parce que je suis déjà habitué. Parfois, à cause de l’âge, ma santé me contrarie, mais pour diriger je n’ai pas de problème. Je n’ai jamais été blessé, c’est pour ça que je me considère très chanceux car j’ai participé à beaucoup de combats et de prises de villes. J’ai vu mourir des compañeros et des compañeras. J’ai dû les porter et les enterrer pour que l’ennemi ne s’empare pas des cadavres et ne fasse la fête, ni de la publicité avec. Parfois, j’ai dû dormir à leur côté jusqu’à ce que l’ennemi s’éloigne. En plusieurs occasions, j’ai dû rester caché plusieurs jours, alors que l’armée était très proche, tout en cherchant comment sortir de l’encerclement avec ma troupe.

« Quand j’entends qu’on nous traite de terroristes, ça ne me fait rien, parce qu’on sait que nous sommes en lutte pour une cause juste. Il est certain que la population civile souffre de cette guerre, même si nous essayons de la protéger. L’armée dit que nous nous abritons parmi la population civile, mais si seulement ils disaient la vérité : quand nous les harcelons, ils se cachent dans les écoles, les maisons et les hôpitaux. Ce sont des lâches. Ce n’est pas nous qui construisons les postes de police et militaires à l’intérieur des villages.

« Malheureusement, la guerre se rapproche chaque jour des zones très peuplées, des villes. L’armée exerce sa répression et tue les habitants parce qu’elle dit qu’ils collaborent avec nous. Les gens voient notre arrivée d’un bon œil, oui, mais ils craignent la répression de l’armée. En vérité, si nous avons réussi à arriver aussi près des grandes villes, comme Cali, c’est parce que nous ne sommes pas des terroristes ; c’est parce qu’une partie importante de la population est de notre côté, sans être combattante. Il est impossible d’avancer dans la guerre révolutionnaire sans le travail politique avec la population, sans la maîtrise du terrain.

« Une semaine avant de partir à la Havane, l’armée m’a assiégé pour tenter de me capturer ou de me tuer. C’était dans la zone où je devais rencontrer les représentants de Cuba et de la Croix Rouge Internationale qui allaient me transférer. Quand l’hélicoptère est arrivé avec eux, nous avons pris toutes les précautions, car l’armée pouvait de nouveau imiter les emblèmes de la Croix Rouge, comme elle l’a déjà fait pour récupérer Ingrid Betancourt, même si c’est considéré comme un crime de guerre. Cet État ne peut pas agir proprement, bien que d’autres pays soient garants.

« Figurez-vous que pour sortir du pays vers Cuba et aller ensuite à Oslo entamer les discussions, le gouvernement a demandé à Interpol de retirer les mandats d’arrêts internationaux qui pèsent sur plusieurs d’entre nous. Au retour d’Oslo, le gouvernement a demandé à nouveau notre capture : il n’y a qu’à Cuba et en Norvège que ça n’est pas effectif. Est-ce que c’est logique ? Est-ce-que c’est honnête face aux pays garants de ce processus ?

« Je connais bien l’ennemi et son maître, les États-Unis. Ils veulent uniquement nous mettre à genoux, mais ils n’y parviendront pas. Nous sommes ici afin de négocier une autre Colombie pour le plus grand nombre, pas pour nous rendre ou nous vendre. Soyez sûr qu’ils n’y arriveront pas. Pourvu que les intentions du gouvernement soient sincères et que nous puissions parvenir à des accords nous mettant sur le chemin d’un dialogue pour la paix et la justice sociale. »

Interview réalisée par Hernando Calvo Ospina

Traduction : Hélène Vaucelle



En médaillon, deux membres de la délégation des FARC (photo REUTERS/Enrique De La Osa)



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