Les veuves de la mer

dimanche 11 novembre 2012
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Un pays qui se vide de ses forces vives et en particulier de sa jeunesse.
Des hommes qui risquent leur vie plutôt que de rester dans une contrée où ils ne voient pas d’avenir
Des frontières qui se ferment au Nord qui en toute tranquillité décide de ce qu’il peut piller en Afrique sans aucune contrepartie...
Un des résultats de cette situation, c’est le constat impitoyable que fait cet article.

Victimes oubliées de l’émigration clandestine, les épouses de ceux qui ont pris la mer connaissent l’attente, puis l’angoisse quand l’époux ne donne pas signe de vie. Bien souvent, elles hésitent à refaire leur vie ou ne le peuvent plus.

Thiaroye, une ville de pêcheurs dans la banlieue de Dakar, s’était rendue célèbre à cause du massacre des tirailleurs de la Seconde guerre mondiale, qui revendiquaient leurs droits auprès de la France.

Aujourd’hui, Thiaroye vit un autre drame : l’émigration clandestine lui a fait perdre une bonne partie de sa jeunesse dans les eaux profondes de l’océan Atlantique. Beaucoup d’hommes ont disparu, laissant leurs épouses et les familles dans la détresse. Selon les statistiques espagnoles, 31678 clandestins ont atteint les côtes ibériques via la mer ces onze dernières années, et quelque 6648 n’ont jamais donné signe de vie. Nombre d’épouses continuent de vivre dans l’espoir qu’un miracle pourrait ramener leurs maris. Un scénario improbable auquel s’ajoute le poids de la tradition qui les contraint dans les liens de mariage.

“On nous a simplement dit que leur pirogue avait chaviré et qu’il serait mort“. Cette phrase, Mame Bator ne cesse de la râbacher. Cette femme de 35 ans croit encore au miracle. Son mari n’a plus donné signe de vie depuis 2006, après avoir décidé d’affronter les vagues de l’océan Atlantique, via le fameux “Mbeuk mi“ (pirogue). Elle vit avec ce cauchemar et l’espoir de retrouver le père de ses quatre bouts de bois de Dieu.

Lassées d’attendre

Femme au foyer, Mame Bator est désormais obligée de se battre pour nourrir sa famille et veiller à l’éducation de ses enfants. Elle fait le ménage dans certains foyers et vend du poisson et des légumes. Il existe beaucoup de Mame Bator, surtout à Thiaroye, une des villes sénégalaises les plus touchées par le phénomène « Mbeuk Mi ».

Alioune Ndiaye, un jeune qui a été refoulé après avoir passé 13 jours en mer, témoigne : “En 2006, il n’y a pas eu de navétanes [championnat de foot des quartiers] à Thiaroye parce que tout simplement, il n’y avait plus de jeunes. Tout le monde était parti. Alors, quand j’ ai appelé ma maman pour lui dire que j’étais en vie, elle a failli mourir de joie“. Rarissime, ce cas de figure contraint des femmes à rester dans les liens du mariage. Aïssatou Ly est en une. Lasse d’attendre un mari qui pendant six longues années n’avait pas donné signe de vie, elle décide de refaire sa vie.
Mais deux mois après avoir contracté un nouveau mariage, elle apprend que son désormais ex-mari est rentré à Dakar en provenance d’Espagne, raconte-t-elle. “Je suis peut-être fautif, commente son père, “mais je voulais du bien à ma fille. Elle est jeune. Elle est née en 1980 et elle a déjà deux enfants“.

Kiné Mbaye a failli subir le même sort. Amoureuse d’Abdourahmane Niang, elle avait un projet de mariage, mais lui rêvait d’un Eldorado.
Il escomptait ainsi se donner les moyens de fêter son union future avec Kiné, très courtisée. “Sa beauté ne laisse aucun jeune du quartier indifférent“, témoigne Fatou Ndoye Niang, la mère d’Abdourahmane. Malheureusement, il ne reviendra pas de son voyage. “Au début, la fille était désemparée, poursuit Mme Ndoye. “Elle a refusé plusieurs avances de garçons dans l’espoir d’un retour de son Abdourahmane. Mais, avec la pression familiale, elle a fini par céder et se marier. Elle a eu un enfant et elle est à nouveau enceinte“.

Un choc terrible pour cette mère : “Mon fils est peut-être mort, mais le mariage de sa copine fut pesant. C’est égoïste, mais je voyais mon fils à travers cette fille. D’ailleurs, notre relation a été rompue depuis son mariage“. D’autres femmes connaissent d’énormes difficultés à se remarier. “Les enfants constituent un frein. Vous pouvez sortir avec un homme, mais dès qu’il s’agit de mariage, il s’éclipse parce que la plupart des hommes sénégalais ne sont pas prêts à entretenir des enfants qui ne sont pas les leurs“, explique Daba Niang.

Elle dit avoir perdu deux fils dans l’émigration clandestine. Le premier, Youssou, avait deux épouses qui ont eu respectivement cinq et deux enfants. Quant à son second fils, El Hadji, son épouse Daba est mère d’un garçon de trois ans. “Mes ex-belles filles ont regagné leurs familles parce que cela fait plus de sept ans que leurs maris sont partis sans donner signe de vie. On nous a fait savoir que leur pirogue a chaviré. Mais elles ont du mal à se remarier à cause de leurs enfants. C’est une lourde charge“, confie Daba Niang.

Cet argument ne convient pas à son amie qui a assisté à l’entrevue. “C’est du n’importe quoi ! Si elles ne sont pas encore remariées, c’est parce que leurs courtisans ne les aiment pas vraiment. Quand on aime une femme, on doit aussi s’efforcer d’aimer ses enfants“, plaide-t-elle sans convaincre l’assistance qui le lui fait savoir par une bronca.

Une autre dame, Houlimata Niang, évoque les problèmes psychiques que sa belle-fille a traversés après la disparition de son mari. “J’avais cinq garçons. Ils ont tous pris la pirogue pour se rendre en Espagne. Malheureusement, un seul est arrivé à bon port. Les quatre autres sont restés dans l’océan“, confie-t-elle, la gorge nouée par l’émotion.

Par Abdoulaye Thiam source Sud Quotidien le 05/11/2012

Transmis par Linsay



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