La zone euro dévalue l’Europe

vendredi 14 septembre 2012
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Quand les doutes sur l’UE et l’euro gagnent les rangs de la social démocraties...

Et si nous nous éloignions de la dure réalité des 11,88 milliards d’euros d’économies budgétaires [que le gouvernement tente de trouver et faire approuver par la troïka] ? Mettons de côté les sujets tels que les erreurs commises et l’absence de système politique, le fardeau inhumain qui pèse sur les citoyens, les coupes et les sacrifices qu’exige la troïka, les sujets qui, par la pléthore d’analyses d’éditorialistes et universitaires, sont devenus des évidences.

Parlons un peu de la substance, et la substance c’est l’entité qui s’appelle « Europe ». Je crains que nous, les Européens, ne nous soyons laissés contaminer par les politiques et ayons commis une erreur fatale : nous avons mis l’Europe et l’euro dans le même panier. Ceux qui suivent de près l’actualité, non seulement grecque mais aussi européenne, ont l’impression, surtout depuis le début de la crise, que l’Europe n’existe pas sans l’euro. Dans l’esprit des Européens, est ancrée la certitude quasi-absolue que celui qui n’est pas membre de la zone euro n’est pas considéré comme européen.

L’exemple le plus frappant de cette mentalité se retrouve dans les médias grecs. Ces derniers mois, je suis au quotidien le psychodrame avec l’Allemagne, si elle veut nous renvoyer ou nous garder dans la zone euro. Jusqu’à la visite du Premier ministre grec Antonis Samaras chez madame Merkel [le 24 août], le sentiment général était que celle-ci voulait nous pousser dehors. Aujourd’hui, la perspective est plus rassurante, c’est 50-50.

Tant que durait la première partie du psychodrame, l’angoisse ne se limitait pas seulement aux conséquences désastreuses de la sortie pour l’économie grecque et la vie des citoyens grecs, mais sur le fait que la Grèce deviendrait une sorte d’Etat paria.

Une spirale dont nous ne savons pas comment sortir

La réciproque était vraie pour les Allemands, mais en sens inverse. L’argument des citoyens allemands, qui veulent nous éjecter, ne se base pas seulement sur le fait que la Grèce ne s’en sort pas dans l’euro, mais qu’il faut en même temps la punir pour son manque de ponctualité, la clouer au pilori ou du moins, la mettre dans un camp pour délinquants.

Et moi je me demande : les Etats qui appartiennent à l’UE mais en dehors de la zone euro sont-ils tous des parias ? Le Royaume-Uni, le Danemark, la Suède, la Tchéquie, la Hongrie, la Pologne vivent-ils dans des colonies pour délinquants ? L’Allemagne, qui a détruit deux fois l’Europe, serait-elle plus européenne que le Royaume-Uni qui l’a sauvée autant de fois ? Le Royaume-Uni a peut-être des milliers de particularités, mais il était toujours là quand l’Europe a eu besoin de lui.

Je crains que nous ne soyons entrés dans une spirale dont nous ne savons pas comment sortir. Je dis cela parce que depuis le début de la crise, j’ai rarement lu, dans la presse européenne, un article qui se préoccupait des pays extérieurs à la zone euro, à l’exception du Royaume-Uni. Et dans ce cas-là, l’intérêt s’explique par les complications provoquées par la politique de Londres au sein de la zone euro.

Comme je risque d’être mal compris, je préfère mettre les choses au clair : je ne fais pas partie de ceux qui prônent un retour à la drachme. Je n’ai pas non plus d’objection à échanger en euro, à condition de ne pas oublier que l’euro est une monnaie parmi des milliers d’autres. Il n’est pas la pierre angulaire de notre existence. Il existait une Europe unie avant l’euro, même si elle ne s’appelait pas comme cela. La différence entre l’Europe d’avant l’euro et l’Europe de l’euro ne s’arrête pas à la monnaie commune.

La monnaie unique a dévoré les valeurs communes

Avant l’euro, l’Europe n’était pas seulement une communauté économique. Elle était aussi la vision des pères de l’intégration européenne. Des pays dotés de langues, d’histoires, de cultures et de traditions différentes voulaient les réunir sous le toit des valeurs européennes communes.

Il suffit de se rappeler que les pays de l’ancien bloc socialiste n’ont pas adhéré à l’Europe seulement pour le marché commun et la perspective d’un meilleur train de vie, mais aussi parce qu’ils ont été privés, pendant 45 ans, des valeurs européennes communes et qu’ils les réclamaient. Le dernier à faire référence à ces sujets là fut Jacques Delors. Après lui, le débat autour de cet ambitieux projet est tombé en désuétude jusqu’à l’introduction de l’euro. Et la monnaie unique a dévoré les valeurs communes.

L’unité de l’UE a été remplacée par l’unité de la zone euro. Aujourd’hui, nous vivons dans une Europe où seuls les politiques et les économistes ont la parole. C’est la raison pour laquelle le débat est peu profond, comme la plupart des dirigeants européens, et unidimensionnel, comme le discours traditionnel des économistes. Il manque un regard global sur l’Europe, parce que les écrivains, les artistes et les intellectuels s’expriment rarement.

Le dilemme euro ou drachme ne se pose pas à moi mais plutôt cette question : « Quelle Europe ? Il y avait une Europe avant l’euro. Y aura t-il une Europe après l’euro s’il s’effondre demain ? »

Sentiment de colère

En Europe centrale et du Nord, se propage un mouvement populaire contestataire, qui ne veut plus donner d’argent aux Européens du Sud, inutiles et gaspilleurs. Cela nous met peut-être en colère, mais nous ne devons pas les blâmer. Nous aurions pensé la même chose à leur place, tout comme les Espagnols, les Italiens, ou les Portugais. Connaissez-vous un riche qui partage son argent avec les pauvres ?

Au même moment, dans les pays du Sud, se développe un sentiment de colère contre les pays riches de l’Europe, venant des peuples qui souffrent et voient leur niveau de vie se dégrader un peu plus chaque jour. Nous ne sommes pas les seuls. Le même sentiment anime les Espagnols, les Italiens et les Portugais. Personne non plus ne peut les blâmer, et c’est précisément là le problème. Parce que si l’euro ne tient pas, il n’est pas assuré que l’Europe continue après lui.

Le plus probable est que nous aurons une Europe coupée en deux, avec une partie qui rendra l’autre responsable de l’échec de l’euro. Un camp qui détestera et méprisera l’autre.

Je ne dis pas qu’il faut sortir de la zone euro. Mais il faut évaluer si la monnaie unique vaut la peine de diviser l’Europe en deux camps adverses. Si elle mérite qu’on détruise ce que l’Europe a construit depuis 1957, dans des conditions parfois pénibles. Nous pourchassons les chiffres et nous perdons les êtres humains, c’est ça le drame. J’espère avoir tort, mais nous courons vers une guerre civile européenne.

Par Pétros Márkarissource Ta Nea Athènes le 11/09/2012
Traduction : Alexia Kefalas

Transmis par Linsay



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