Marseille capitale des bouchons ? Evidemment !

samedi 14 juillet 2012
par  Charles Hoareau
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Certains ont parlé de « coup de com » à propos de l’enquête d’une marque de GPS sur la circulation dans les grandes villes européennes, enquête abondamment relayée dans les médias. Coup de publicité ou pas ce classement n’aura pas surpris les marseillais qui, année après année, ont de plus en plus de mal à circuler dans leur ville.

Il fut un temps pas si ancien que cela où on circulait à Marseille plutôt mieux que dans d’autres grandes villes de France et l’Express pouvait titrer dans les années 80 : « Marseille roule deux fois plus vite que Paris ».

Cela était d’autant plus remarquable que Marseille, telle un amphithéâtre tourné vers la mer, est enserrée de massifs dont les contreforts viennent jusqu’au bord de l’eau tourmenter le relief. Marseille, les cyclistes en savent quelque chose, n’est pas une ville plate, mais une cité dans laquelle il faut sans arrêt monter et descendre. De plus Marseille est une ville aux possibilités de développement urbain limitées, aux nombreuses petites rues et dans laquelle il y a très peu de grands boulevards comme à Paris par exemple. Pour autant on y circulait de manière acceptable jusqu’à ce que la situation se dégrade d’année en année au point qu’aujourd’hui la ville est proche de l’asphyxie. La faute aux travaux actuels et au nombre grandissant de voitures comme le prétendent certains ? Pas seulement.

Ah bon il y a un PDU ?

La loi prévoit pour les villes de plus de 100 000 habitants l’obligation d’avoir un Plan de Déplacements Urbains (ou PDU). Marseille a donc le sien….avec l’efficacité que l’on constate. Face à l’engorgement grandissant des rues de la ville les équipes municipales qui se sont succédé n’ont vraiment pas brillé par leur sagacité et leur esprit d’anticipation, mais surtout, de Deferre à Gaudin en passant par Vigouroux ce qui a primé dans les choix c’est le prestige ou les intérêts privés, plutôt que la réponse aux besoins de la population. Le mal vient donc de loin. Juste quelques exemples :

1977 : le prestige plutôt que la réponse aux besoins.

Ouverture en grandes pompes de la 1re ligne de métro…et malgré les nombreuses actions et manifestations de la population [1] elle n’est pas accessible aux personnes qui en auraient le plus besoin, celles qui circulent en fauteuil roulant par exemple. Par contre la station Vieux Port est décorée pour rappeler le spectacle en surface (galets aux murs, aquariums…) ce qui représente un surcoût supérieur à celui qu’aurait engendré le fait de rendre le métro accessible sur toute la ligne. Solution prônée par la mairie ? La mise en place de minibus spécifiques réservés aux handicapés donc de la circulation et des arrêts forcément pénalisants en surface en surface et de la ghettoïsation.

1984 : Les quartiers Nord parents pauvres de l’extension

Mise en service de la ligne 2. Elle ne dessert que très peu les quartiers Nord (13e, 14e, 15e et 16e arrondissement de Marseille) alors que l’on y trouve ¼ de la population de la ville et que les revenus y sont très bas. Pour éviter d’avoir à prolonger la ligne comme le demandent la CGT de la RTM et les populations concernées, la mairie de l’époque trouve astucieux, pour desservir les quartiers les plus excentrés, de mettre en place des bus articulés qui vont, tant bien que mal, se faufiler un passage dans l’unique avenue pas très large (puisqu’elle ne comporte qu’une voie dans chaque sens) qui remonte vers St Antoine, quartier à la lisière Nord de la ville.

L2, la rocade fantôme

_ Depuis les années 30 (eh oui !) [2] il est question de faire à Marseille une rocade contournant la ville par l’Est. Il était prévu que cette rocade s’ajoute à celle du Jarret qui fut mise en service en 1968. Pas étonnant que les réservations de terrain qui ont été faites dans cette perspective soient aujourd’hui enserrées dans des zones fortement urbanisées ce qui n’est pas sans problème.

Un premier tronçon de la L2 a été réalisé dans les années 80 et depuis 30 ans les automobilistes qui l’empruntent peuvent savourer avec délice le panneau qui indique : « fin provisoire de la voie rapide ». Un provisoire de 30 ans…

Depuis d’autres tronçons sont en cours de réalisation et avancent au rythme des hésitations sur le parcours, des allers et retours sur les parties enterrées ou non selon la vigueur des protestations des riverains et de leur influence sur les équipes municipales…et des crédits disponibles pour ce chantier dont plus personne ne se hasarde à dater la fin avec précision.

Aux dernières nouvelles on parle de 2017 pour cette artère qui, reliant l’autoroute Nord à l’autoroute Est, devrait permettre de désengorger une grande partie de la ville.

1993 : une première dont les marseillais se seraient passés

Cette année-là ouvre le tunnel Prado carénage. Il est non seulement le premier tunnel urbain à péage, mais aussi l’une des chaussées les plus chères de France puisque pour faire les 2,5km de sa traversée il faut débourser 2,70€ soit 1,08€ du kilomètre. Là encore c’est l’argent qui prime sur la réponse aux besoins.

1995 : Une diminution de l’offre de transport collectif

Les bus articulés, qui de toute façon n’étaient qu’un pis-aller, sont abandonnés. Usés jusqu’à la corde ils n’arrivent plus à monter l’avenue de St Antoine et les voies menant aux quartiers situés en haut de l’amphithéâtre marseillais. L’offre de transports en commun ne s’améliore pas.

2004 : la fin du trolley et des dizaines de kilomètres de lignes de bus en moins

Le trolley, moyen de transport pourtant particulièrement pratique dans les petites rues tourmentées de son parcours, car peu encombrant et propre en énergie, est abandonné : trop cher à moderniser selon la mairie ! Un collectif d’habitant-e-s des quartiers, en particulier des Chutes-Lavie tentera, avec le soutien de la CGT RTM de s’opposer à cette suppression, en vain. Outre l’argument du prix, cet abandon rentre en fait dans le plan municipal de suppression de kilomètres de lignes de part et d’autre du futur tramway.

2005 : l’exemple révélateur des horodateurs.

Constatant que les problèmes de stationnement s’aggravent en centre-ville, la municipalité décide la création de milliers d’horodateurs, c’est-à-dire en clair la marchandisation de l’espace public. La bataille des marseillais fera que le nombre de places payantes sera revu à la baisse en particulier dans le 7e arrondissement [3]. Ailleurs, la multiplication de ces machines mangeuses de pièces fera que des marseillais qui naguère laissaient leur voiture la journée au même endroit, seront contraints, pour ne pas payer ce nouvel impôt, d’utiliser leur véhicule pour se rendre au travail…le contraire de l’efficacité et là encore un choix politique qui frappe les plus faibles revenus.

Le chemin d’une idée

_ Dès le 24 janvier 2005, soit près d’un mois après le conseil municipal qui avait décidé la création de 20 000 places de parking payantes, Rouges Vifs 13 lançait une pétition titrée, Halte au racket et qui posait une idée forte : celle de la gratuité. Gratuité des parkings et des transports. Au départ peu, y compris dans l’opposition municipale soutenaient cette idée voire la combattaient ouvertement. Au conseil municipal de décembre, si l’opposition avait voté contre c’était davantage sur les conditions de la mise en œuvre de la mesure que sur le principe même de celle-ci.

Ainsi elle déclarait par la voix des deux présidents de groupe PCF/PS [4] :

Monsieur Robert BRET (PCF). : [...] utiliser prioritairement les parkings pour les véhicules des résidents afin de les retirer du stationnement en voirie, le tout à des prix accessibles pour tous.
Monsieur Michel PEZET (PS) : [...] Sur le principe du stationnement payant, clairement, en ce qui concerne le Groupe Socialiste, nous sommes pour.

Quand la lutte des habitant-e-s se développa et que la pétition de Rouges Vifs 13 fut signée par des milliers de marseillais en quelques jours [5], le débat vint sur la question de la gratuité parmi les organisations qui soutenaient le mouvement. Nos propositions étaient alors à l’époque jugées irréalistes, voire ne permettaient pas « aux usagers de se sentir responsables des transports » ce que seul le fait de payer permettaient (sic !). Pourtant aux municipales qui suivirent en 2008, la liste Marseille contre-attaque à gauche, liste d’union de la LCR et de forces de gauche (y compris des militant-e-s du PCF) qui récusaient une alliance dès le premier tour sous la houlette de Guérini, reprenait cette idée.

Puis en 2009, Aubagne et sa communauté d’agglomération (plus de 100 000 habitant-e-s) mettait en œuvre, après d’autres villes de France [6] cette mesure qui dès la 1re année permettait d’observer une baisse de la fréquentation de 15 à 20% des parkings du centre-ville. Aux régionales la liste Front de Gauche avançait, en matière de transports régionaux, des propositions, en partie reprises par le Conseil Régional élu, allant de la gratuité pour certaines catégories de voyageurs (jeunes, chômeurs..) à de fortes réductions pour tous.

_ La gratuité n’est plus ni une question taboue ni un choix irréaliste. Son avenir dépend des luttes que nous continuerons de mener sur ce point.

2007 : le tramway de tous les délires

Une seule ligne de tramway subsistait à Marseille jusqu’en 2004 année où elle fut fermée en prévision de son extension et de sa modernisation. Las ! Là encore le choix du prestige et les appétits financiers prennent le pas sur l’intérêt collectif. Si les traminots au prix de 46 jours de grève soutenue par une grande partie de la population obtiennent que sa gestion ne soit pas confiée au privé, les marseillais n’ont pu inverser les choix aberrants du tracé qui dans tout le centre-ville recouvre en surface le tracé souterrain du métro. Résultat ? Sur ce tronçon la circulation sur des voies très rétrécies y devient impossible et loin de permettre une alternative au tout voiture, les choix d’aménagements faits autour de la mise en service du tram, font du centre-ville un aspirateur à voitures .

En bref si les travaux actuels et l’augmentation du nombre de voitures n’arrangent rien à la circulation dans la cité phocéenne, ils ne sont pas la principale cause de la situation actuelle. Le mal est plus profond est vient de loin.

Des solutions ? Il y en a !

Les traminots et nombre d’associations, dont Rouges Vifs 13, ont fait de multiples propositions qui sont pour l’instant restées lettre morte.
Sans toutes les énumérer, reprenons quelques-unes des propositions de Rouges Vifs 13 et qui apparaissent dans les articles signalés par les liens de ce texte :

- Extension du métro (et non du tramway dévoreur d’espaces que Marseille n’a pas)

  • A l’Est vers St Loup, Château Gombert et Plan de Cuques
  • Au Nord vers l’Estaque et St Antoine
  • Au Sud vers les hopitaux et Luminy

- Création de grands parkings municipaux gratuits à la périphérie de la ville et aux stations de métro (ceux existants aujourd’hui sont saturés depuis longtemps).

- Extension et ouverture de lignes de bus, séquence plus rapide.

- Augmentation de l’amplitude horaires des transports (actuellement nombre de salarié-e-s travaillant en horaires décalés n’ont pas d’autre solution que de prendre leur voiture pour leur trajet domicile/travail)

- Transports gratuits pour toutes et tous. Gratuité et remunicipalisation des parkings existants.

Quand nous aurons gagné ces mesures, on pourra alors faire sauter les bouchons, dans tous les sens du terme !


[1A l’époque nombres d’associations et organisations de la ville s’étaient regroupées en un comité nommé CAM, Comité pour l’Accessibilité du Métro

[2plan Gréber de 1933

[3plus d’un mois de manifestations quotidiennes

[4PV du conseil municipal de décembre 2004

[57000 la 1re semaine

[6Colomiers (Haute Garonne), Compiègne (Oise), Vitré (Ille-et-Vilaine), Châteauroux et Issoudun (Indre), Mayenne (Mayenne), Gap (Hautes-Alpes), Bar-le-Duc (Meuse), Cluses (Haute-Savoie)…



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