Amina, victime d’un violeur et de la loi

mercredi 11 avril 2012
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« La loi m’a tuer »
« Ce n’est pas la première, Amina doit être la dernière »
La protestation ne faiblit pas au Maroc après le suicide de Amina, cette adolescente victime de la loi. Le ministre de la justice, pris à partie à plusieurs occasions n’a eu comme défense que de dire :« Ce n’est pas mon gouvernement qui l[la loi]’a mise en place »...

Le Maroc est sous le choc. La jeune fille de 16 ans, qui s’est suicidée en ingurgitant de la mort-aux-rats après avoir été contrainte d’épouser son violeur, est devenue le sujet d’un débat national sur la législation marocaine.

Objet de la polémique, le Code pénal écrit en 1962 – en d’autres temps, avant la nouvelle Constitution [1] qui stipule l’égalité devant la loi entre l’homme et la femme. En cause particulièrement, dans le cas d’Amina Filali, l’article 475. Il stipule que “quiconque, sans violences, menaces ou fraudes, enlève ou détourne, ou tente d’enlever ou de détourner, un mineur de moins de 18 ans, est puni de l’emprisonnement d’un à cinq ans”. Sauf que cet article contient un alinéa 2 qui annule les poursuites si le ravisseur épouse sa victime…

Voici résumée la courte vie d’une adolescente. L’indignation autour du cas d’Amina s’est vite propagée. Elle a entraîné des sit-in à Larache, devant le tribunal dont dépend le douar [2] d’origine d’Amina, puis une manifestation devant le Parlement, ponctuée de slogans “Nous sommes toutes des Amina” et agrémentée de pancartes sur lesquelles on lisait “La loi m’a tuer”.

Tout le monde parle désormais d’Amina, passée du jour au lendemain de paysanne lambda à exemple révélateur du véritable statut des femmes au Maroc. “Elle a été victime d’un article de loi qui efface d’un coup de gomme un double crime : le détournement de mineur et le viol. L’article 475 incriminé n’est qu’une des nombreuses dispositions du Code pénal révélant sa philosophie patriarcale et conservatrice. On y réduit les femmes à des corps à surveiller”, explique l’avocate et militante Khadija Rougani.

Le gouvernement, dominé par le Parti de la justice et du développement, [3], souffle le chaud et le froid. “Côté pile, la ministre de la Femme, Bassima Hakkaoui (PJD), et le porte-parole du gouvernement, Mustapha El-Khalfi (PJD), ont fait des déclarations qui laissent espérer une réforme de l’article en cause. Mais, côté face, alors que le père de la victime a clairement parlé de menaces au couteau sur sa fille (de la part de son violeur), le ministre de la Justice, Mustapha Ramid (PJD), a publié un communiqué où il parle de consentement de la part d’Amina et non de viol”, explique, perplexe, Fouzia Assouli, présidente de la Ligue démocratique des droits des femmes (LDDF). L’association s’est portée partie civile pour que le mari d’Amina Filali soit jugé.

La loi aurait donc été respectée au pied de la lettre. Mais l’avocate Khadija Rougani souligne que “le mariage entre une fille mineure et l’homme qui l’a détournée se fait pour une raison essentielle : la crainte de la chouha [4] qui habite la famille de la victime.” En plein dans le mille dans le cas Amina. Son père, Lahcen Filali, a ainsi déclaré qu’il ne voulait pas aller chez le juge pour marier sa fille à son violeur, mais qu’il fallait le faire “pour que les gens arrêtent de se moquer de nous, pour faire taire la honte”.

Le suicide d’Amina a mis en relief une autre disposition de la législation marocaine que les associations féministes combattent aussi. L’article 20 de la Moudawana [5], qui autorise un magistrat à marier une mineure. “Cet article pose des conditions précisant que la décision du juge de la famille doit être soumise, entre autres, à une enquête sociale.

Celle-ci n’a jamais lieu dans l’absolu et n’a pas été menée dans le cas particulier d’Amina”, relève Khadija Rougani. Un magistrat a donc marié Amina sans tenir compte des garde-fous prescrits par la loi, fidèle, en somme, à l’usage. “Le juge a accordé l’autorisation de mariage comme cela se fait dans 85 % des demandes de mariage avec des mineures”, souligne Fouzia Assouli. Ce qui devait donc être une exception est devenu la norme, selon les chiffres publiés par les associations féministes. “Les mariages de mineures n’ont fait qu’augmenter, selon les données en notre possession. Cela, sans tenir compte des mariages selon la Fatiha [6] qui ont encore lieu dans les zones enclavées et que l’on ne retrouve pas dans les statistiques”, ajoute la militante associative.

A l’instar d’autres féministes, Fouzia Assouli milite pour que soit votée une loi-cadre sur la violence à l’encontre des femmes. “Tout l’arsenal juridique devra s’y conformer et notamment le Code pénal, truffé d’articles discriminatoires envers les femmes”, conclut Assouli. Et éviter ainsi que d’autres jeunes filles se retrouvent dans la situation d’Amina Filali.

Hassan Hamdani TelQuel le 03/04/2012

Transmis par Linsay



[1validée par référendum le 1er juillet 2011

[2rassemblement de maisons

[3PJD, conservateur religieux

[4scandale, honte

[5code de la famille, dont la réforme, en 2004, était censée améliorer les droits des femmes

[6mariage “orfi” ou coutumier conclu en prononçant la Fatiha, le verset inaugural du Coran, en présence de témoins, sans acte écrit



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