Tout a commencé en Grèce et tout finira t-il en Grèce ?

mardi 31 janvier 2012
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Notre civilisation occidentale, aujourd’hui mondialisée, a son origine dans la Grèce du VIe siècle avant notre ère. Le monde du mythe et de la religion, qui était l’axe organisateur de la société, s’écroula. Pour mettre de l’ordre dans ce moment critique, se réalisa, dans un laps de temps de moins de 50 ans, une des plus grandes créations intellectuelles de l’humanité. Surgit l’ère de la raison critique, qui s’exprima par la philosophie, par la démocratie, par le théâtre, par la poésie et par l’esthétique. Le figures paradigmatiques furent Socrate, Platon, Aristote et les sophistes, qui conçurent l’architecture du savoir, sous-jacente à notre paradigme de civilisation ; ce fut Périclès, comme gouvernant à la tête de la démocratie ; ce fut Phidias, à l’esthétique élégante ; ce furent les grands auteurs des tragédies, comme Sophocle, Euripide et Eschyle ; ce furent le jeux olympiques et autres manifestations culturelles qu’ici il n’y a pas lieu de raconter.

Le nouveau paradigme se caractérise par la prédominance de la raison qui laisse derrière la perception du Tout, le sens de l’unité de la réalité qui caractérisait les penseurs appelés présocratiques, les porteurs de la pensée originaire. A ce moment là s’introduisit les fameux dualismes : monde-Dieu, homme-nature, raison-sensibilité, théorie-pratique. La raison créa la métaphysique, qui dans la compréhension de Heidegger fait objet de tout et s’instaure comme instance de pouvoir sur cet objet. L’être humain cesse de se sentir partie de la nature pour se situer face à elle et la soumettre au projet de sa volonté.

Ce paradigme atteint son expression la plus achevée mille ans plus tard, au XVIe siècle, avec les fondateurs du paradigme moderne, Descartes, Newton, Bacon et autres. Avec eux se consacra la cosmovision mécaniste et dualiste : la nature d’un côté et l’être humain de l’autre, en face et au-dessus d’elle comme son « maître et propriétaire » (Descartes), sommet de la création en fonction duquel tout existe. S’élabora l’idéal du progrès illimité, que suppose la domination de la nature, dans l’hypothèse que ce progrès pourrait avancer infiniment vers le futur. Dans les ultimes décennies, la cupidité d’accumuler a transformé tout en marchandise à négocier et consommer. Nous avons oublié que les biens et services de la nature sont pour tous et ne peuvent être l’appropriation de quelques-uns seulement.

Après quatre siècles de validité de cette métaphysique, à savoir, de ce mode d’être et de voir, nous vérifions que la nature a dû payer un prix élevé pour financer ce modèle de croissance-développement. Aujourd’hui nous atteignons les limites de ses possibilités. La civilisation scientifique-technique a atteint un point dans lequel elle peut causer elle-même sa propre fin, dégrader profondément la nature, éliminer une grande partie du système-vie et, éventuellement, éradiquer l’espèce humaine. Ce serait la réalisation d’un armaggedon écologico-social.

Tout a commencé en Grèce il y a des millénaires. Et maintenant tout parait se terminer en Grèce, un des premières victimes de l’horreur économique, dont les banquiers, pour sauver leurs profits, ont poussé toute une société à la désespérance. Cela est arrivé en Irlande, au Portugal, en Italie, peut s’étendre à l’Espagne et à la France, et peut-être à tout le système mondial.

Nous sommes en train d’assister à l’agonie d’un paradigme millénaire qui apparemment termine sa trajectoire historique. Elle peut être retardée encore des dizaines d’années, comme un moribond qui résiste, mais dont la fin est prévisible. Avec ses ressources internes il n’a pas les conditions de se reproduire. Nous devons trouver un autre type de relation avec la nature, une autre forme de produire et consommer, développant un sens général de dépendance devant la communauté de vie et de responsabilité collective pour notre futur commun. A ne pas initier cette conversion, nous dicterons pour nous même la sentence de disparition. Ou nous nous transformons ou nous disparaissons.

Je fais miens les mots de Celso Furtado, économiste-penseur : « Les gens de ma génération ont démontré qu’il est à la portée de l’ingéniosité humaine de conduire l’humanité au suicide. J’espère que la nouvelle génération constatera qu’il est aussi à la portée de l’être humain d’ouvrir le chemin d’accès à un monde dans lequel prévalent la compassion, le bonheur, la beauté et la solidarité ». Tant que nous changerons de paradigme.

Leonardo Boff

Leonardo Boff et théologien et philosophe.

Source ; revista Amauta

Traduit de l’espagnol par Gérard Jugant



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