La grande arnaque du lait

Comment l’agrobusiness vole aux pauvres leurs moyens de subsistance et une source d’alimentation vitale
mercredi 18 janvier 2012
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Un nouveau rapport de GRAIN* met en évidence l’importance du lait pour les moyens de subsistance et la santé des pauvres dans de nombreux pays de l’hémisphère Sud. La plupart des marchés laitiers sont alimentés par des petits vendeurs qui collectent le lait chez des petits agriculteurs et des petits éleveurs. Mais ils sont actuellement menacés par des entreprises laitières comme Nestlé, ou d’autres acteurs comme PepsiCo et Cargill, qui s’efforcent de s’emparer des secteurs laitiers de ces pays, depuis les fermes jusqu’aux marchés. Ci-dessous une synthèse du rapport dont on trouvera le lien en fin d’article.

Le « lait populaire » concerne des centaines de millions de personnes à travers le monde, qu’il s’agisse de petits agriculteurs et d’éleveurs nomade ou de fromagers et vendeurs de lait frais locaux. Ils fournissent un lait sans risque, nourrissant et abordable, à des centaines de millions de familles pauvres.

- Quatre-vingt pour cent des marchés laitiers dans les pays en développement sont alimentés par ces systèmes de « lait populaire », souvent appelés le « secteur informel »
- Quinze pour cent de la population mondiale participent à la production laitière
- Les systèmes laitiers à petite échelle dans le Sud créent 200 emplois ruraux par million de litres de lait et par an à comparer à 5 emplois ruraux par million de litres de lait par an dans les systèmes de production laitière industrielle du Nord
- Au Pakistan, au Kenya et en Colombie, le lait frais populaire se vend à la moitié du prix du lait conditionné dans les supermarchés.

Des petits agriculteurs, éleveurs et vendeurs font un travail formidable pour alimenter les marchés de produits laitiers en pleine croissance dans les pays du Sud. Le problème est que de grandes entreprises s’intéressent à ces mêmes marchés et qu’elles utilisent la manière forte pour les voler aux pauvres, avec le soutien des gouvernements.

- Des accords commerciaux bilatéraux permettent à des sociétés multinationales laitières de pratiquer périodiquement un dumping avec du lait en poudre subventionné et de casser les prix par rapport aux producteurs locaux
- Des règlementations et des normes privées sont orientées en faveur des grandes entreprises et ferment les marchés au lait du peuple.

Des investisseurs financiers et des grandes entreprises laitières unissent leurs forces pour mettre en place des méga-fermes laitières dans tout les pays du Sud. Le fonds d’investissements spéculatifs de Cargill consacre actuellement 300 millions de dollars à des fermes laitières industrielles en Chine et en Inde. La plus grande coopérative laitière du monde, Fonterra, construit des fermes en Chine, en Inde et au Brésil à une échelle qu’elle n’aurait jamais pu se permettre dans son pays d’origine, la Nouvelle-Zélande. Au Vietnam, une banque est en train de faire construire une ferme de 137 000 vaches. Ce sont là des catastrophes écologiques et sociales, sources de difficultés pour des millions de personnes.

L’élevage laitier industriel se mondialise

_ Au Vietnam, le marché des produits laitiers est en plein essor, mais les producteurs laitiers du pays, dont 90 % sont en contrat avec des transformateurs, ont récemment été obligés de réduire leurs troupeaux car les transformateurs les obligent à accepter des prix inférieurs à leurs coûts de production. Pour répondre à la croissance de la demande, les transformateurs importent du lait en poudre et investissent dans leurs propres fermes. TH Milk, une société récemment créée par la femme d’affaires vietnamienne Thai Huong, directrice de l’une des plus importantes banques privées du pays, est en train de construire la plus grande ferme laitière en Asie, dans le district de Nghia Dan, au Vietnam. Déjà 12 000 vaches ont été importées de la Nouvelle-Zélande, et tous les 50 jours, 1000 vaches supplémentaires arrivent. D’ici 2012, la société vise à avoir 45 000 vaches et une capacité de production de 500 millions de litres de lait par an. Son objectif pour 2017 est d’avoir 137 000 vaches dans sa ferme et d’assurer 30 % de la consommation nationale de lait. L’ensemble de l’opération est mise en œuvre et gérée par la société israélienne Afimilk.

_ Le principal concurrent de TH Milk dans le pays, Vinamilk, possède lui-même cinq grandes exploitations, avec un total de 6 000 vaches. Mais la société prévoit que la plus grande partie de son approvisionnement continuera de provenir de l’étranger. Pour cette raison, Vinamilk a commencé à investir dans des activités de transformation et de production à l’étranger et a acquis une participation de 19 % dans l’entreprise laitière Miraka à Taupo, dans le nord de la Nouvelle-Zélande. Vinamilk est coté à la bourse Hô Chi Minh et est contrôlée à 49 % par des investisseurs étrangers.

_ Au Pakistan, beaucoup des familles les plus riches du pays se sont récemment lancées dans des grandes exploitations laitières, avec l’appui de divers programmes gouvernementaux d’agriculture industrielle et des principaux transformateurs laitiers, comme Nestlé, ainsi que des entreprises de conditionnement.64 Des investisseurs étrangers, particulièrement des pays du Golfe, ont également manifesté leur intérêt, comme l’Emirates Investment Group.65 Tout comme les transformateurs. Engro Foods, la société leader du lait conditionné au Pakistan, une filiale du géant pakistanais des engrais, Engro Corporation, a lancé sa propre ferme-usine de production laitière dans le district de Sukkur, en 2008. La ferme a commencé avec 2 200 vaches importées d’Australie, et l’entreprise prévoit de porter le troupeau « à 150 000 vaches dans les années qui viennent afin de pouvoir contrôler sa propre chaîne d’approvisionnement. »66 Engro, qui développe ses activités agroalimentaires à l’étranger, veut à terme exporter des produits laitiers à partir du Pakistan.

_ En Égypte, la plus grande ferme laitière du pays est la propriété de Dina Farms, une entreprise de produits laitiers créée par l’une des principales sociétés de capital-investissement de la région, Citadel Capital. L’installation est située dans le désert, près de la route principale entre Le Caire et Alexandrie. Elle possède 7 000 vaches laitières, mais Citadelle veut en disposer de 12 000 en 2012. D’autres gros investisseurs du secteur laitier affluent aussi en ce moment vers le désert. Danone est en train d’y construire une méga-ferme, sa deuxième grande exploitation agricole, après la construction d’une autre dans le désert en Arabie saoudite. « Notre participation à l’organisation de grandes exploitations laitières représente une nouvelle orientation pour nous », explique le directeur de Danone, Jean-Christophe Laugée. C’est aussi nouveau pour PepsiCo, qui a engagé des initiatives importantes dans les produits laitiers ces dernières années. Une filiale de PepsiCo, International Dairy and Juice Ltd (IDJ), a acheté la société égyptienne Beyti en 2010, et pris ainsi le contrôle de sa grande exploitation de production laitière. PepsiCo détient conjointement IDJ avec le géant saoudien des produits laitiers, Almarai, qui gère six méga-fermes dans le désert saoudien. Ces dernières regroupent 100 000 vaches, soit les deux tiers du cheptel laitier du pays, ainsi qu’une ferme laitière en Jordanie qui fait maintenant partie d’IDJ.

_ Il semble complètement fou de construire au milieu du désert égyptien des fermes laitières très gourmandes en eau. D’autant plus quand les fermes prévoient de couvrir leurs futurs besoins en eau en puisant dans le Nil, qui est déjà une source de tensions entre les différents pays et communautés qui dépendent de lui pour leur production alimentaire. « Je ne suis pas préoccupé par un risque de pénurie d’eau du Nil », explique le Dr Mohamed Waeed, un dirigeant de Dina Farms. « Je sais que les Éthiopiens veulent utiliser plus d’eau du Nil. Mais ça ne marchera pas pour eux. J’ai été là-bas, c’est un pays montagneux, il n’y a pas suffisamment d’espace pour une agriculture extensive [...] Non, l’avenir de l’agriculture en Afrique du Nord est dans le désert égyptien. Qui sait, nous allons peut-être devenir de gros exportateurs de produits agricoles et laitiers dans la région. »

_ En Uruguay, les investissements étrangers dans la transformation laitière et les fermes laitières sont en plein boom. Parmi les principaux investisseurs figurent Bom Gosto du Brésil, le fournisseur mondial de chaînes de fast-food Schreiber Foods des États-Unis, Cresud de l’Argentine, Inlacsa du Mexique, et le Grupo Maldonado du Venezuela, qui est un partenaire de Fonterra et Nestlé. Bom Gosto et Schreiber gèrent maintenant à eux seuls un quart de la production de lait de l’Uruguay. La hausse des investissements étrangers a transformé l’Uruguay en un important centre pour les exportations de produits laitiers. Aujourd’hui, les deux tiers des produits laitiers uruguayens sont exportés, principalement au Brésil, au Venezuela et au Mexique. Mais si la production est en hausse, le nombre d’exploitations et la superficie consacrée à l’élevage laitier sont en déclin rapide, ce qui conduit à une plus grande concentration. Les exploitations de plus de 500 hectares représentent désormais 5 % du secteur laitier et 28 % de l’approvisionnement national en lait. Beaucoup de ces grandes exploitations sont entre les mains d’investisseurs étrangers, comme New Zealand Farming Systems Uruguay, qui a été monté par des investisseurs néo-zélandais jusqu’à une reprise par le groupe Olam de Singapour en 2011. Les 31 fermes laitières de l’entreprise produisent environ 70 millions de litres de lait par an, mais cette dernière envisage d’acquérir plus de fermes et de porter la production à 300 millions de litres dans les prochaines années, soit environ 20 % de la production totale de lait de l’Uruguay !

Plusieurs actions et mesures sont suggérées pour arrêter l’appropriation des marchés laitiers par les grandes entreprises :
- Des tarifs douaniers élevés, généralisés pour empêcher le dumping périodique de lait en poudre importé et de produits laitiers bon marché
- Une réorientation de la production laitière vers les marchés nationaux dans les pays exportateurs, avec des programmes de type gestion de l’offre
- Des systèmes de sécurité alimentaire adaptés aux besoins des populations, pas aux résultats financiers des entreprises
- Le boycott des grandes entreprises laitières et des supermarchés
- Des campagnes de désinvestissement ciblées sur les fonds qui investissent dans la production laitière industrielle dans les pays du Sud
- Une solidarité à l’intérieur et à l’extérieur des frontières entre les producteurs laitiers, les petits vendeurs et transformateurs, les consommateurs et les travailleurs de l’industrie laitière.

Des luttes quotidiennes sont menées contre les multinationales du lait, non sans résultat.

Le secret de la réussite de la résistance aux Géants laitiers en Colombie

_ L’attaque frontale des Géants laitiers contre le lait populaire est toujours camouflée dans les discours positifs de ses promoteurs. Elle est généralement décrite comme une modernisation : une voie vers des exploitations plus productives et des produits laitiers plus sûrs. Les slogans sont répétés par des représentants du gouvernement et même adoptés par certaines ONG et bailleurs de fonds qui recherchent des opportunités de « réduction de la pauvreté » dans une mer de destruction des moyens de subsistance. La rhétorique peut créer la confusion et compliquer la résistance populaire si elle n’est pas soigneusement déconstruite. En Colombie, par exemple, la confrontation claire avec les mythes mis en avant par l’industrie a joué un rôle clé dans le succès du mouvement en faveur du lait populaire.

_ Pour Aurelio Suárez Montoya, le directeur exécutif de l’Asociación Nacional por la Agropecuaria Salvación, la lutte en faveur du lait populaire en Colombie s’est concentrée sur trois arguments principaux pour affronter directement les allégations du gouvernement et des Géants laitiers sur le fait que le libre échange et le passage au « secteur formel » permettraient d’accroître la production laitière, de créer des emplois et de fournir du lait moins cher et plus sûr (d’un point de vue sanitaire) :

_ 1. Realismo. Le système du lait populaire fournit 83 % du lait dans le pays, ce qui fait que la Colombie est auto-suffisante en produits laitiers. Les grandes sociétés laitières n’ont pas la capacité de collecter et de transformer la majorité de cette production de lait, et vont donc recourir aux importations. Si le système du lait populaire est évincé, la production laitière nationale va diminuer et que pays ne sera plus auto-suffisant.

_ 2. Practica. Le système du lait populaire assure un moyen d’existence à des millions de Colombiens, qu’il s’agisse d’agriculteurs, de vendeurs ou de petites entreprises de transformation laitière. Ces moyens de subsistance ne peuvent pas être remplacés par les gros transformateurs. Le lait populaire fournit aussi du lait frais à un prix abordable à des millions de Colombiens pauvres qui n’achètent pas le lait plus cher traité par les grandes entreprises laitières. Le lait populaire est vendu 0,55 USD le litre ; le lait pasteurisé dans les supermarchés américains se vend 1,40 USD le litre.

_ 3. No mala. Le système du lait populaire fournit un lait nutritif, frais et sain. La confiance dans le système, et la pratique courante de le faire chauffer à forte température pendant environ 10 minutes avant la consommation, assurent sa sécurité sanitaire. Il n’existe aucune preuve que le système du lait populaire facilite les épidémies ou encourage la falsification du lait.

Le lait du peuple fait face à des forces puissantes. Mais l’expérience en Colombie et ailleurs montre qu’il peut l’emporter parce qu’un très grand nombre de gens en dépendent de pour leur subsistance et le bien-être de leurs familles. C’est précisément le type de systèmes alimentaires dont le monde a besoin pour traiter la pauvreté, la faim et le changement climatique et nous devrions tous les soutenir.

Par Grain source Grain.org le 16/12/2011

Transmis par Linsay

Le rapport complet, avec les tableaux chiffrés, La grande arnaque du lait : Comment l’agrobusiness vole aux pauvres leurs moyens de subsistance et une source d’alimentation vitale, est disponible ici :



*GRAIN se définit comme une petite organisation internationale qui soutient la lutte des paysans et des mouvements sociaux pour renforcer le contrôle des communautés sur des systèmes alimentaires fondés sur la biodiversité.



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