Reconstruire le parti communiste, unir la gauche, battre les droites

jeudi 3 novembre 2011
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Du 28 au 30 octobre se tenait à Rimini le 6e congrès du PDCI, le parti des communistes italiens. Domenico Losurdo y prononçait cette intervention

Je suis heureux de participer à ce qui pourrait être une relance voire un nouveau début de la présence communiste dans notre pays. Quand, il y a vingt ans fut créé Rifondazione Comunista, le climat idéologique était bien différent de celui d’aujourd’hui. Il y a vingt ans à Washington les idéologues les plus emphatiques proclamaient que l’histoire était finie : en tous cas le capitalisme avait triomphé et les communistes avaient eu le tort de se tenir du mauvais côté, et même du côté criminel de l’histoire. Nous savons aujourd’hui que ces certitudes et ses mythologies avaient fait brèche même dans le groupe dirigeant de Rifondazione Comunista. On a ainsi assisté au spectacle grotesque dans lequel un leader de tout premier plan [1] a déployé tout son talent oratoire pour démontrer que les communistes avaient toujours eu tort et avaient toujours provoqué des catastrophes en Russie comme en Italie ; et continuaient à avoir tort en Chine comme au Vietnam et, en dernière analyse même à Cuba ; on comprend bien l’enthousiasme de la presse bourgeoise pour ce prophète, pour ce don venu du Ciel. Mais nous connaissons tous le résultat final.

Ça a été un désastre : pour la première fois dans l’histoire de notre république les communistes sont sans représentation au parlement. Pire. Priver les classes laborieuses de leur histoire signifiait les priver aussi de leur capacité à s’orienter dans le présent. Les classes laborieuses peinent aujourd’hui à organiser une résistance efficace à un moment où la République fondée sur le travail [2] se transforme en république fondée sur le licenciement arbitraire, sur le privilège de la richesse, sur la corruption, sur la vénalité des charges publiques. Et, malheureusement, quasiment inexistante a été jusqu’ici la résistance opposée au processus par lequel la République qui répudie la guerre [3] se transforme en république qui participe aux plus infâmes guerres coloniales. C’est avec ce désastre derrière nous que nous nous engageons aujourd’hui dans la relance du projet communiste.

De cela il y a un besoin urgent Et ce n’est pas un besoin éprouvé seulement par les communistes. Nous voyons ce qu’il arrive aujourd’hui dans le pays qui, il y a à peine plus de vingt ans, avait vu la proclamation de la fin de l’histoire. Les rues sont pleines de manifestants qui crient leur indignation contre Wall Street. Les pancartes ne se bornent pas à dénoncer les conséquences de la crise, c’est-à-dire le chômage, la précarité, la faim, la polarisation croissante de richesse et pauvreté. Ces pancartes vont au-delà : elles dénoncent le poids décisif de la richesse dans la vie politique étasunienne, et démasquent de fait le mythe de la démocratie américaine. Ce qui dicte la loi dans la république nord-américaine est en réalité la grande finance, c’est Wall Street ; voilà ce que crient les manifestants. Et certaines pancartes vont au-delà, et hurlent la rage non seulement contre Wall Street mais aussi contre War Street. C’est-à-dire que le quartier de la haute finance est identifié comme étant en même temps le quartier de la guerre et du déchaînement de la guerre. Emerge ainsi ou commence à émerger la conscience du rapport entre capitalisme et impérialisme.

Oui, le capitalisme porte en même temps des crises économiques dévastatrices et des guerres infâmes. Une fois de plus les masses populaires et les communistes se trouvent en devoir d’affronter la crise du capitalisme et sa politique de guerre. Pour des raisons de temps je ne m’arrêterai que sur ce deuxième point. La fin de l’engagement de l’OTAN en Libye n’est pas la fin de la guerre au Moyen-Orient. Les guerres contre la Syrie et l’Iran sont déjà en préparation. Ces guerres, même, ont de fait déjà commencé. La puissance de feu multimédiatique avec laquelle l’Occident essaie d’isoler, de criminaliser, d’étrangler et de déstabiliser ces deux pays est prête à se transformer en une puissance de feu véritable, à base de missiles et de bombes. Et nous communistes devons dès à présent faire entendre notre voix. Si nous attendions le déclenchement des hostilités nous ne serions à la hauteur ni du mouvement communiste ni du mouvement antimilitariste, et nous ne serions pas les héritiers de Lénine et de Liebknecht. Nous devons dès à présent organiser des manifestations contre la guerre et contre les préparatifs de guerre ; dès à présent nous devons clarifier le fait que la position à l’égard de la guerre est un critère essentiel pour définir la discrimination entre alliés potentiels et adversaires irréductibles.

Pour ce qui concerne la Chine, Washington, oui, transfère en Asie le gros de son dispositif militaire, mais n’agite pour le moment de façon explicite que la menace de la guerre commerciale. Mais, comme il est notoire, on sait comment commencent les guerres commerciales mais on ne sait pas comment elles finissent. Ils feraient bien de réfléchir sur ce point ceux qui, même à gauche, se mettent en rang pour la campagne anti-chinoise : ils tournent ainsi le dos à la lutte pour la paix.

C’est une attitude d’autant plus déconcertante que la Chine a été protagoniste d’une des plus grandes révolutions de l’histoire universelle. Evidemment, il convient de garder à l’esprit les problèmes, les défis, les contradictions même graves qui caractérisent le grand pays asiatique. Mais clarifions d’abord le cadre historique. Au début du 20e siècle la Chine était une partie intégrante de ce monde colonial qui a pu briser ses chaînes grâce à la gigantesque vague de la révolution anticolonialiste déclenchée en octobre 1917. Voyons comment l’histoire s’est ensuite développée. En Italie, en Allemagne, au Japon, le fascisme et le nazisme ont été la tentative de revitaliser le colonialisme. En particulier, la guerre déchaînée par l’impérialisme hitlérien et par l’impérialisme japonais respectivement contre l’Union soviétique et contre la Chine ont été les plus grandes guerres coloniales de l’histoire. Et donc Stalingrad en Union Soviétique et la Longue Marche et la guerre de résistance anti-japonaise en Chine ont été deux grandioses luttes de classe, celles qui ont empêché l’impérialisme le plus barbare de réaliser une division du travail fondée sur le réduction de grands peuples à une masse d’esclaves ou semi-esclaves au service de la présumée race des seigneurs.

Mais qu’arrive-t-il aujourd’hui ? Comme je l’ai déjà dit, les USA sont en train de transférer le gros de leur dispositif militaire en Asie. Je lis sur des dépêches d’hier (vendredi 28 octobre 2011) de l’agence Reuters qu’une des accusations adressées aux dirigeants de Pékin est celle de promouvoir ou de vouloir imposer le transfert de technologie de l’Occident en Chine. Les USA auraient voulu garder le monopole de la technologie pour continuer à exercer aussi une domination néo-coloniale ; la lutte pour l’indépendance se manifeste aussi sur le plan économique. Et donc : révolutionnaire n’est pas seulement la longue lutte par laquelle le peuple chinois a mis fin au siècle des humiliations et a fondé la république populaire ; ni seulement l’édification économique et sociale par laquelle le Parti communiste chinois a libéré de la faim des centaines de millions d’hommes et de femmes ; même la lutte pour casser le monopole impérialiste de la technologie est une lutte révolutionnaire. Marx nous l’a enseigné. Oui, la lutte pour modifier la division internationale du travail imposée par le capitalisme et par l’impérialisme est elle-même une lutte de classe. Du point de vue de Marx, la lutte pour dépasser dans le cadre de la famille la division patriarcale du travail est déjà une lutte d’émancipation ; il serait bien étrange que ne fut pas une lutte d’émancipation la lutte pour mettre fin au niveau international à la division du travail imposée par le capitalisme et par l’impérialisme, la lutte pour liquider définitivement ce monopole occidental de la technologie qui n’est pas une donnée naturelle mais le résultat de siècles de domination et d’oppression !

Je conclus. Nous voyons de nos jours le pays-guide du capitalisme plongé dans une profonde crise économique et de plus en plus discrédité au niveau international ; en même temps, il continue à s’accrocher à la prétention d’être le peuple élu par Dieu et à accroître fébrilement son appareil de guerre déjà monstrueux, et à étendre son réseau de bases militaires dans tous les coins du monde. Tout cela ne promet rien de bon. C’est la concomitance de perspectives prometteuses et de menaces terribles qui rend urgents la construction et le renforcement des partis communistes. J’espère vivement que le parti que nous construisons aujourd’hui sera à la hauteur de ses devoirs.

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio


[1Fausto Bertinotti, longtemps secrétaire général du Partito della Rifondazione Comunista (NdT)

[2Article 1 de la Constitution italienne : « L’Italie est une république fondée sur le travail »

[3Article 11 de la Constitution italienne : « L’Italie répudie la guerre comme instrument d’offense à la liberté des autres peuples et comme moyen de résolution des controverses internationales »



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