Néo-développementisme ou alternative au capitalisme

mardi 25 octobre 2011
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La Bolivie est à la croisée des chemins. Dans une phase de transition entre le capitalisme et le socialisme. C’est ce que fait ressortir cet article

En Bolivie les paysans-indigènes qui produisent pour leur auto-consommation mais vendent leurs excédents (qu’ils produisent de manière individuelle ou sous des formes communautaires de différents types), les ouvriers agricoles et les bergers, les petits mineurs privés, les travailleurs des mines salariés, les salariés urbains qui travaillent dans des ateliers semi-artisanaux ou dans les fabriques, dans le petit commerce informel ou formel, dans les organismes d’Etat ou les institutions privées, coexistent avec les indigènes de l’Oriente qui vivent en communautés basées sur l’auto-consommation et qui entretiennent des relations très lâches avec le marché, vendant parfois quelques produits, achetant quelques matières premières et travaillant occasionnellement pour un salaire.

L’influence des idées et valeurs capitalistes dominantes, en général, est plus forte dans les villes que dans les zones rurales, plus forte dans l’altiplano que dans la forêt orientale, plus forte parmi les métis que parmi les indigènes, plus forte parmi les aymaras de El Alto et La Paz que parmi ceux qui vivent encore dans les restes des communautés ayllus proches de la frontière avec le Pérou. En ce qui concerne l’économie de la Bolivie, elle est capitaliste, extractive et dépends, comme le pays, des changements technologiques qui se succèdent dans le capitalisme international, comme cela s’exprime dans les cycles successifs de l’argent, de l’étain, maintenant du pétrole et du gaz, du lithium et des terres rares, outre le soja. Le capital financier international dirige cette économie et est entremêlé avec les grandes bourgeoisies nationales, surtout de l’Oriente. L’Etat, qui est très faible, est confronté à une multitude d’autres pouvoirs en germe, que ce soit les conflits avec les ouvriers et les indigènes-paysans qui le défie pour des motifs corporatifs, que ce soit les luttes avec les tentatives réactionnaires de secteurs capitalistes locaux (propriétaires terriens et industriels) de construire une autonomie régionale semi-séparatiste.

Comme en Bolivie, traditionnellement, les postes publics s’achètent, le gouvernement doit combattre à la fois la tendance à l’usage privé des ressources publiques, à la corruption, aux prébendes et au caudillisme. En même temps, il doit réduire le régionalisme, la vision provinciale et corporative qui superpose les intérêts de chaque corporation ou secteur à ceux de l’ensemble des exploités et opprimés. La faiblesse de l’Etat, et la carence de cadres préparés au gouvernement le conduit, d’autre part, à imposer la dépendance des entreprises et capitaux étrangers ou des ONG qui leur sont liées. Tout cela renforce en son sein le jacobinisme centralisateur et autoritaire, le décisionnisme verticaliste, la concentration du pouvoir et la tendance à tenter d’unifier la population en ayant recours fondamentalement à une rhétorique nationaliste similaire à celle de Bush-Villarroel [1] et du MNR de 1952, que le gouvernement présente et décore comme une salsa indigéniste type new age, en bonne partie inventée, pour tenter de réunir aymaras, quechuas, urus, guaranis et d’autres ethnies du Chaco ou les peuples amazoniques.

Sous le commandement effectif du marché mondial et du capital international et ses impositions, l’Etat bolivien, comme celui d’autres pays dépendants, oppose essentiellement un volontarisme néo-développementiste, cherchant à tout coût des devises fortes pour que la chaîne qui le saisit soit plus légère et plus longue. Comment combiner le développementisme et l’extractivisme hérités et nécessaires dans une première phase de transition vers l’indépendance économique et politique avec le développement de politiques qui favorisent une production et une consommation alternatives à celles du capitalisme ? En premier lieu en ne se donnant pas l’objectif de développer un capitalisme « bon », andino-amazonique, parce que cet animal n’existe pas, et en échange, se créé un monstre. En second lieu, en respectant les formes non nuisibles d’utilisation de la nature (les cultures dans la forêt et la chasse et la pêche dans celle-ci, le petit élevage, la petite industrie minière, l’artisanat traditionnel, l’économie paysanne basée sur la production combinée de céréales, tubercules, fruits, légumes et l’élevage d’animaux d’arrière-cour). En troisième lieu, avec une réforme agraire qui ne destine pas les terres de l’Oriente à la monoculture capitaliste de soja pour l’exportation ou l’exportation de bois précieux, mais l’installation de familles paysannes de l’altiplano qui de toute manière devront partir par suite du manque d’eau. En outre, en développant le coopérativisme, l’esprit de collaboration communautaire ou collective et en respectant la volonté des indigènes, qu’ils soient paysans ou non, et des populations rurales, ainsi les divers types d’autonomies que leur garantissent les lois, au lieu de tout décider depuis La Paz.

Le conflit avec les peuples du Chaco et du Beni, et avec les guaranis, par exemple, est venu d’une violation : il n’y a pas eu de consultation préalable, comme le fixe la Constitution, pour le tracé de la route qui traverserait leur territoire. Et, après les avoir obligés à initier une marche de protestation de 650 kilomètres à pied, de la forêt à l’altiplano, il y a eu une violation encore pire, à savoir les déclarations que la route se fera « de gré ou de force » et la sauvage répression policières et les fausses négociations avec une poignée de gens non représentatifs du TIPNIS [2].

Si maintenant les marcheurs sont reçus en masse à La Paz et si Evo Morales doit négocier avec eux et non avec le TIPNIS, c’est parce qu’il n’y a pas eu de consultation préalable mais une tentative d’imposer, comme dans le cas du gasolinazo (révolte populaire à la suite d’une hausse exorbitante du carburant, Ndt), les décisions sans consultation et arbitraires du gouvernement et du marché. Si un problème technique se transforme en une affaire politique grave c’est parce que le gouvernement ne comprend pas que le caractère pluri-national de l’Etat et la Constitution résultant des luttes ne peuvent être ignorées ni réduites au niveau de la rhétorique et des rites new age, mais sont obligatoires. Les politiques économiques dépendent du consensus et de la stabilité politique, et non celles-ci du succès de celles-là.

Guillermo Almeyra/ y II

Traduit de l’espagnol par Gérard Jugant



[1Présidents de la Bolivie avant la Révolution de 1952 menée par le MNR, Ndt

[2Territoire Indigène et Parc National situé sur les départements du Beni et de Cochabamba, Ndt



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