Regards de pieds noirs progressistes

lundi 17 octobre 2011
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Il aura donc fallu 50 ans pour que la commémoration du 17 octobre devienne enfin une affaire nationale dépassant le cercle des initiés et que cette année soient prévus dans toute la France, à l’initiative d’associations antiracistes et d’organisations politiques progressistes, des rassemblements et initiatives diverses en mémoire de ce jour funeste.

Rassemblements pour le souvenir mais aussi pour que la France rende justice à la mémoire des assassinés et reconnaisse enfin l’ampleur de ce crime qu’elle a toujours nié.

A Marseille, parmi plusieurs initiatives, sont prévus un rassemblement le 17 octobre à 18h30 devant les escaliers de la gare St Charles et le 24 octobre une projection du film documentaire « ICI ON NOIE LES ALGÉRIENS 17 Octobre 1961 » de YASMINA ADI à 20h00 au cinéma Les Variétés en présence de la réalisatrice YASMINA ADI

Rouge Vif 13 est évidemment partie prenante de ces initiatives et il a paru intéressant à Rouge Midi de donner la parole à un acteur encore peu connu et au regard singulier sur cette période, l’ANPNPA, association de pieds noirs qui se distingue par ses prises de position.

Comme hier les blancs de l’ANC des années de l’apartheid en Afrique du sud, comme aujourd’hui l’UJFP en France ou les progressistes israéliens pour la Palestine, l’ANPNPA nous rappelle que dans les pires moments de l’histoire, quand le pouvoir veut dresser des barrières de sang entre les peuples, des deux côtés de celles-ci, il se trouve toujours des hommes et des femmes pour refuser le racisme, la négation du droit et la politique de la haine. Message d’espoir donc que nous délivre ici son président.

RM : Jacques peux tu nous présenter le but de l’association en quelques mots ?

Jacques Pradel : Les principes fondateurs de Association Nationale des Pieds Noirs Progressistes et leurs Amis (ANPNPA) sont détailles dans une déclaration d’intention à consulter sur notre site.
Nous y définissons deux objectifs majeurs.

- Le premier est de contribuer par nos témoignages et nos analyses à l’écriture d’une histoire lucide et dépassionnée de la France en Algérie, de la colonisation et de la libération. Nous nous inscrivons de ce fait en contradiction totale avec les organisations qui regroupent anciens terroristes de l’OAS et pieds noirs nostalgiques bornés de l’Algérie française, ceux qui cultivent la haine et la louange absurde d’un régime colonial révolu. Ces associations se sont toujours rangées derrière le Pen et consorts, bien que toujours si fort courtisées par nombre de responsables politiques de l’UMP, notamment dans notre région, d’Aix à Nice ou Toulon ; c’est donc au double titre de pieds noirs et de citoyens que nous les dénonçons.

- Le second objectif est d’œuvrer au rapprochement entre l’Algérie et la France et à l’amitié des deux peuples, d’affirmer ici notre engagement solidaire avec les immigrés algériens et les franco-algériens vivant en France. Près d’un cinquième des membres de l’association ne sont pas Pieds Noirs mais Amis, soit des français dont l’histoire personnelle a croisé celle de l’Algérie, soit des algériens vivant en France, les uns et les autres se reconnaissant dans nos principes et nos actions. Leur contribution est essentielle.

RM : Vous venez de tenir votre assemblée générale, quel bilan tirez-vous de votre activité ?

J Pradel : ANPNPA a été créée il y a précisément 3 ans, seulement, ce qui est bien tard – à la fois parce que les acteurs vieillissent et parce que toutes les raisons justifiant la création étaient là bien avant 2008. L’association est nationale dans son recrutement, avec des adhérents vivant aux 4 coins de la France, mais, par le hasard des concentrations des militants, notre activité se concentre avant tout dans le sud (PACA, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées) et à Paris. Avec le recul de ces trois ans d’existence, nous mesurons que l’association a maintenant une activité assise, est partenaire reconnue de nombre d’organisations amies partageant certains au moins de nos objectifs, est maintenant régulièrement sollicitée par des historiens, journalistes et enseignants. Ceci nous fait encore plus regretter de ne pas avoir pris plus tôt l’initiative de sa création.

Un pan important de notre activité, que nous avons pu mener à peu près correctement à Marseille, est de contribuer avec d’autres, notamment des associations où militent algériens et franco-algériens - comme Med’in Marseille, l’Espace Franco-Algérien, PIR, etc – et des organisations « démocratiques » (comme LDH, MRAP, partis de gauche de gauche, etc), à la célébration de dates symboliques concernant l’histoire de la guerre d’Algérie : le 8 mai 45 et le massacre de Sétif et Guelma, juillet 1955 dans le constantinois, 17 octobre 61 à Paris, le cessez le feu du 19 mars. Nous y tenons parce qu’il s’agit de notre histoire, de l’histoire de notre peuple – même si l’histoire nous en a exclu, le sentiment reste très fort chez nous d’une appartenance au peuple algérien.

RM : Appartenance au peuple algérien, c’est rare d’entendre cela de la part de pieds noirs...

J Pradel : Nous nous y tenons et c’est dans ce cadre que l’ANPNPA appelle à commémorer le cinquantenaire du 17 octobre 61. Pour résumer le contexte politique qui a conduit ce jour là à Paris au massacre de plusieurs centaines d’algériens par la police française, un objectif important du gouvernement français était, dans le cadre des négociations avec le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne), de réduire l’influence de la très puissante et très organisée fédération de France du FLN. Prenant appui sur une police totalement infiltrée par l’extrême droite et l’OAS, bien en main par son chef Papon et docile pour « casser de l’arabe », le gouvernement, De Gaulle, ordonne une guerre plus efficace contre la fédération de France et décrète un couvre-feu à 18h pour les seuls algériens. La fédération réplique par l’organisation d’une manifestation pacifique « sans le moindre canif » de la population descendant des banlieues de Paris. Couverte par sa hiérarchie, le préfet Papon mais plus en amont le premier ministre Debré et le président De Gaulle, la police se déchaine en une vaste chasse au faciès qui dure la nuit entière et se solde par plusieurs centaines (300 avancent les historiens) de morts, dont beaucoup noyés dans la seine (les archives des services fluviaux, de la seine, couvrant la semaine suivant le 17 octobre ont disparu !).

Le massacre du 17 octobre à Paris a longtemps été occulté, minoré puisqu’il n’y a officiellement toujours que 3 morts [1] dont un français qui passait par là…, jusqu’aux partis de gauche (à l’exception du seul PSU) qui ne se réveillèrent que quelques mois plus tard, après Charonne. Pour nous, pieds noirs vivant alors en Algérie, presse censurée et l’OAS multipliant ses horreurs, rien ne transparut de ces évènements parisiens.

RM : Quel a été le rôle de pieds noirs comme vous dans le processus d’indépendance ? Quels rapports avaient-ils avec le PC (ou plutôt les PC) de l’époque. Certains comme Einaudi [2] soulignent aujourd’hui l’ambiguïté de certaines positions.

J Pradel : Relativement peu de pieds noirs ont lutté au coté du FLN pour l’indépendance de l’Algérie. Une centaine d’entre eux sont morts les armes à la main au maquis, moins de 10 ont été condamnés à mort et exécutés, plusieurs milliers ont été emprisonnés sans jugement pendant des années dans des « camps » de la campagne algérienne. [3] Ceux-la étaient pour l’essentiel des membres du Parti Communiste Algérien (longtemps avant le début de la guerre le PCA a été en difficulté, sinon en dissidence, avec le PCF sur la question de l’indépendance) ainsi que des chrétiens progressistes ; il convient d’ajouter les pieds noirs libéraux, pour beaucoup issus de la bourgeoisie intellectuelle, qui subirent un sort moins dur. Ils deviendront plus tard une cible privilégiée, avec ce qu’il restait des communistes, des tueurs de l’OAS.

Pour ce qui est de notre association, Il est significatif de noter que les adhérents ont emprunté des chemins politiques différents allant de militants qui ont toujours reconnu, soutenu ou participé à la juste lutte de libération du peuple algérien - plusieurs ont été condamnés à mort par l’OAS - à ceux qui reconnaissent simplement qu’ils furent naïvement et jusqu’au bout influencés par cette idée absurde du maintien du régime colonial.

C’est en se re situant dans les contradictions de la société française, et en fonction de leur situation sociale et de leur cheminement politique, que la plupart des membres de l’ANPNPA nous ont rejoints.

RM : Quelles pistes pour l’avenir ?

J Pradel : Comme je te le disais, l’ANPNPA a tenu hier son assemblée générale annuelle, à Septèmes les Vallons. Une cinquantaine de délégués venant des différentes régions de France ont réaffirmé que les axes prioritaires dans notre activité devaient rester ceux définis ci-dessus, au début de l’intervention.

L’AG estime essentiel de préparer l’an prochain en 2012 la célébration du cinquantenaire de l’indépendance, dans l’unité la plus large avec la diversité des organisations démocratiques et antiracistes qui sont attentives aux questions touchant à l’Algérie, à son peuple et son histoire.

Pour en savoir plus sur le 17 octobre on peut consulter le site qui y est consacré.

[1NDLR : En 1997 un rapport officiel du conseiller d’Etat Dieudonné Mandelkern a conclu à un bilan de 32 morts et en 1999,lors du procès en diffamation que Papon perdit contre Jean Luc Einaudi, le magistrat Jean Géronimi parla lui « d’au moins 48 » morts.

[2Jean Luc Einaudi, historien, est l’auteur du livre La bataille de Paris, 17 octobre 1961, ouvrage paru en 1991 (réédité en 2001 sous le titre Massacre de Paris 17 octobre 1961) et qui a largement contribué à la connaissance de ces évènements NDLR

[3NDLR : Il y a eu 12 000 déserteurs et insoumis qui refusèrent de combattre contre les algériens. Beaucoup furent contraints à l’exil et certains sont restés à l’étranger en l’absence d’une assurance d’amnistie, assurance nécessaire quand on sait que nombre d’entre eux ont été emprisonnés à leur retour en France, des années après la fin de la guerre. Voir les travaux de Tramor Quemeneur, chercheur associé à l’IHTP



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