Réflexions sur l’impérialisme en Libye...

...et ailleurs
lundi 15 août 2011
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Les événements qui parcourent depuis six mois la Libye, le Maghreb, le Machreq et les pays du Golfe arabique ont déjà ébranlé bien des certitudes antérieures, politiques et géostratégiques. Ils sont encore en cours, du Yémen au Maroc, de Syrie au Maroc et Palestine : on ne peut donc tirer aucun bilan définitif, savoir aujourd’hui si les peuples, palestinien ou égyptien, en tireront des bénéficies bien réels ou de nouvelles déconvenues. Mais on peut tout au moins repérer deux dimensions nouvelles de la situation créée ces derniers mois au sud et à l’est de la Méditerranée.

SARKOZY ET SES BUTS DE GUERRE.

D’abord, la nouvelle posture du pouvoir français, fer de lance avec Sarkozy des volontés guerrières de l’OTAN en Libye, à l’opposé des réticences chiraquiennes face à l’invasion de l’IRAK. Cette attitude théâtrale de chef des croisés d’Occident contre un Kadhafi assimilé au mal quelques mois après les embrassades parisiennes, prêterait à sourire s’il n’y avait des mots au bout. La volteface ne peut étonner, quand on sait la propension du président français au spectacle télévisuel en guise de réflexion politique. Tous les observateurs avertis l’ont noté : l’aventure guerrière en Libye, née de conseillers retords et d’hurluberlus « philosophes » d’alcôve et de salon comme Bernard Henri Lévy, est d’abord destinée à regonfler une popularité défunte en jouant des nostalgies coloniales de l’opinion française : les échéances électorales de 2012 s’approchent, quoi de mieux que de se poser en héraut du monde à reconstruire, quand même les dirigeants de la gauche française avouent leur goût pour le droit d’ingérence ; le succès est pourtant limité, les sondages l’attestent.

La France, marchand d’armes, ne cesse depuis quelques mois de faire la démonstration ( ?) de la valeur et l’efficacité de ses bombardiers et hélicoptères de combat, que l’on sait si difficiles à vendre. Ils ont, certes, détruit les capacités aériennes et en partie au sol de l’armée nationale libyenne, mais ont pour l’instant échoué à en tuer le chef ; seule une partie de sa famille en est morte, avec quelques milliers d’autres militaires ou civils : les éventuels acheteurs jugeront du bilan…

Le rôle moteur de la France au sein de la coalition, refusant avec Obama toute issue négociée proposée par Chavez ou l’Union africaine, exigeant le seul départ de Kadhafi au profit des insurgés de Cyrénaïque, ne peut que susciter quelques autres hypothèses.

1°- Kadhafi, quelque soit son passé, était depuis longtemps aligné sur les désirs occidentaux ; le pétrole libyen est depuis des années confiée à des compagnies privées anglo-saxonnes ou ouest européennes. Ce n’est donc pas pour obtenir ces avantages que Washington et Paris mènent la guerre ; mais Kadhafi est un partenaire imprévisible prêt à s’acoquiner avec des concurrents à des conditions plus avantageuse, venus des pays « émergents » comme le Brésil, l’Inde ou la Chine : cela ne sera pas si un régime pro-occidental est en place à Tripoli ou à Benghazi (où arrivent aujourd’hui l’essentiel des pipe-lines venus des champs pétrolifères du sud-libyen.

2°- Mais surtout, le moindre coup d’œil à la carte du nord de l’Afrique fait naître d’autres hypothèses incontournables.

Le désert saharien, partagé entre de nombreux états non industriels du fait de leur commun héritage colonial, possède de multiples ressources minières et énergétiques, largement inexploitées encore, et que lorgnent les multinationales d’Occident. Le pétrole et le gaz déjà exportés vers l’Europe par l’Algérie, la Libye, ne sont qu’un avant goût des réserves encore endormies dans le désert, au Niger, au Tchad et au Mali. Toujours en matière énergétique, c’est la société pour l’essentiel française Areva qui exploite aujourd’hui le minerai d’uranium du Niger, qui nécessite absolument les centrales nucléaires françaises. (Les ¾ de l’électricité de l’hexagone). D’autres gisements de pechblende attendent, que guignent bien des amateurs extérieurs, notamment asiatiques. Enfin, et cela ne relève plus de la science fiction mais de prospective boursière, un énorme projet de production d’électricité en couvrant le désert de panneaux solaires et d’éoliennes a vu le jour en Europe occidentale en 2009, sous le nom de Desertec.

Desertec ambitionne de fournir à terme 15 à 20% de l’électricité nécessaire aux industries européennes. Ses concepteurs et financiers sont allemands, banquiers et industriels, comme la Deutsche Bak, EON, RWE et Siemens. On parle d’investir à cet effet 400 milliards d’euros sur quarante ans au siège du consortium Desertec à Munich, qui négocie depuis deux ans avec les gouvernements africains du Maghreb, avec quelque succès semble-t-il au Maroc et en Algérie (EL Watan titrait le 23 juin « l’Algérie décide de coopérer avec l’initiative allemande Desertec »).

Dans le contexte ouvert par les « révolutions arabes », les promoteurs germaniques de Desertec continuent leurs approches, notamment auprès du nouveau gouvernement tunisien. Existe-t-il un lien entre ces contacts déjà engagés et la réticence allemande au sein de l’OTAN à engager ses troupes contre Kadhafi ? Rien ne permet de l’affirmer.

Il est vrai en tout cas que des financiers français ont eux aussi un projet de type Desertec, notamment ceux d’entre eux participant maintenant au capital d’EDF, et d’AREVA (projet Transgreen, devenu Medgrid).
Il est évident que la mise en place en Libye, et même dans un état séparatiste de Cyrénaïque, d’un régime « ami » contrôlé par ces fiers démocrates du « gouvernement provisoire » de Benghazi (l’ex-ministre la justice de Kadhafi, qui organisa la détention et la torture d’infirmières bulgares, des chefs intégristes et tribaux) présenterait quelques avantages pour exploiter les richesses sahariennes. Car ces pétroles, gaz, électricité, minerais extraits du grand désert, ne peuvent être exportés vers l’Europe qu’en arrivant aux ports de Méditerranée. Un simple regard sur la carte suffit à constater que la Cyrénaïque, fief des insurgés libyens choyés au Quai d’Orsay, est le chemin terrestre le plus court vers les richesses sahariennes dont est friande l’industrie d’Europe occidentale.

Ce ne sont la, certes, qu’hypothèses : les secrets des dieux du capital ne nous seront pas révélés de sitôt. Hypothèses plausibles toutefois, si l’on en juge par les résultats de l’intervention française en Côte d’Ivoire : à l’intronisation de Ouattara, seul chef d’état occident présent, Sarkozy, tous sourires déployés, était accompagne de Bouygues et Bolloré, qui ne craignent plus de perdre leurs marchés au profit de quelque financier asiate…

UNE NOUVELLE STRATEGIE ARABE DES USA ?

Le discours impérial de Bush et ses amis « néoconservateurs » était quasiment religieux, « croisade contre l’intégrisme musulman ». Quand Obama lui succéda, son discours « humaniste » fit oublier quelque temps que l’impérialiste US n’avait rien perdu de sa virulence. En fait, Obama a renforcé la présence nord américaine en Afghanistan et renforcé le blocus contre Cuba. Mieux, adossé à l’OTAN, il est de plus en plus présent en Méditerranée et en Afrique, avec un discours plus lénifiant, expurgé des diatribes antimusulmanes de l’équipe Bush. Depuis quelques mois, profitant de la déstabilisation de nombreux états du Maghreb et du Moyen Orient, les Etats-Unis agissent en fonction d’une stratégie nouvelle au service de l’impérialisme continué. Ils n’hésitent pas à reprendre hypocritement à leur compte les critiques populaires contre les chefs d’état autoritaires et corrompus qu’ils avaient pourtant mis en place et soutenus, Moubarak l’égyptien, Bel Ali le tunisien.

Les services nord-américains ont même poussé les chefs des armées de Tunis et du Caire, formés aux USA et financés par Washington, à débarquer les « dictateurs » et à se proclamer garants et protecteurs du nouveau régime « révolutionnaire ». Les généraux qui, depuis la chute de Moubarak, assument le pouvoir « de transition » au Caire ont une tâche unique : étouffer par la ruse ou la force, les velléités populaires de réformes démocratiques et sociales, empêcher les grèves et museler les syndicalistes, préparer des élections sans risque en interdisant les partis trop critiques ; les communistes égyptiens, par exemple, si longtemps interdits et massacrés, ne pourront s’exprimer légalement s’ils ne publient la liste de milliers de militants, dans chaque région du pays ! A l’inverse, « le pouvoir de transition » pro-américain aide à s’implanter les « grands partis » d’inspiration libérale et conservatrice (y compris les cadres du régime Moubarak reconvertis) et les intégristes Frères Musulmans. En Tunisie, certains dirigeants de « la transition » poursuivent le même objectif, en faveur des intégristes d’Ennahda et des conservateurs fraîchement convertis aux vertus de « la révolution ».

L’objectif, conçu à Washington est clair : aboutir à un régime nouveau, plus consensuel, aligné sur les désirs de l’Occident par des dirigeants fermement attachés au capitalisme mondialiste, fidèles d’un « libéralisme » à l’occidentale, mâtiné du cache sexe du pluripartisme. Dans ce dispositif, les chefs militaires, fidélisés par leurs prébendes à Washington, jouent et joueront un rôle essentiel de contrôle des masses (les armées des pays dominés ne sont guère destinées à la défense nationale).

Mais, fait nouveau par rapport à la doctrine Bush, cette nouvelle ossature politique pro-occidentale inclut les mouvements intégristes, baptisés « modérés » parce que d’inspiration « libérale » et pro-occidentale. Peu importe, à Washington, que ces courants prônent une régression terrifiante des mœurs et des lois, la haine des minorités religieuses ou philosophiques, émeutes anti-coptes en Egypte, (pogroms contre les prostituées en Tunisie). Cette insertion des mouvements intégristes dans des pouvoirs pro-occidentaux ne fait, après tout, que reproduire un modèle déjà ancien : la meilleure alliée régionale des USA, l’Arabie Saoudite, propage grâce à ses pétrodollars, jusqu’en Afrique noire, l’idéologie intégriste. Israël, autre allié indéfectible de Washington, est aussi un état religieux affirmé.

La visée stratégique est claire, elle se met en place en Tunisie, en Egypte, et menace tout l’espace arabo-musulman, sous couvert de « révolutions démocratiques ». Elle devra compter avec les mouvements populaires, les aspirations fortes à la démocratise, aux mieux être, à l’indépendance nationale. Du Caire à Tunis ou Alger, rien n’est joué dans ce combat.

UN NOUVEAU YALTA ?

Face aux stratégies de l’impérialisme occidental, les peuples ont leur mot à dire. Mais il est vrai aussi que l’issue dépend en partie des relations entre grandes puissances.

Le temps n’est plus où l’URSS et ses alliés, cahin caha malgré tous leurs défauts et leurs erreurs, permettaient par leur existence même le développement des luttes de libération nationale. Quand, en 1956, les colonialistes français (le gouvernement socialiste Guy Mollet) ont envahi l’Egypte de Nasser avec les Britanniques en espérant stopper de ce fait l’insurrection algérienne, il a suffi au gouvernement soviétique de menacer d’intervention pour faire retourner les paras français dans leurs casernes. En 2011, les bombardements de l’OTAN en Libye ont été déclenchés et poursuivis avec l’accord tacite de la Chine et de la Russie, qui n’ont pas au Conseil de Sécurité de l’ONU employé le droit de veto dont ces pays disposent. Début juin encore, après plusieurs semaines de frappes aériennes, Poutine a approuvé les objectifs de guerre de l’OTAN, chasser Khadafi du pouvoir, et Pékin se tait. Par contre, le même pouvoir russe s’oppose à l’ONU à une condamnation du régime syrien, qui relève de sa zone d’influence depuis longtemps.

Tout se passe ces temps derniers, entre ces grandes puissances et l’impérialisme occidental, comme si un nouvel accord de Yalta régissait les relations internationales ; en dehors de toute considération de morale internationale, de tout respect des principes affirmés par la charte de l’ONU (égalité entre les nations, non ingérence), le monde est partagé en chasses gardées.

En vertu du modus-vivendi conclu par Staline, Roosevelt et Churchill à Yalta, la Résistance grecque fut écrasée par les royalistes avec le soutien britannique, et la Pologne eut un gouvernement communiste en 1946 au détriment de la droite polonaise, assez influente pour mener des actions de guérilla durant plusieurs années. Depuis la visite du président chinois aux USA et les accords tacites qui en ont résulté, les campagnes de subversion occidentale (par le biais d’internet notamment) contre la Chin au Sin-Kiang, au Tibet, et à propos de la Corés, se sont mises en sommeil. Et, parallèlement, les provocations pro-américaines contre la Russie en Géorgie, en Ukraine, ont pour l’instant cessé…

Il serait temps d’en revenir aux idéaux de la charte de l’ONU de 1945, qui n’ont plus guère cours au sein de l’ONU.

Francis Arzalier



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