Roissy sélectionne sur fiches policières.

mercredi 28 juin 2006
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L’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle (Seine-Saint-Denis), licencie ou refuse d’embaucher les jeunes du département « connus des services de police », même s’ils n’ont jamais été condamnés.

Perçu comme une mine d’emplois par les habitants de Seine-Saint-Denis, l’aéroport Roissy-Charles-de Gaulle et ses 80 000 emplois directs se ferment aux jeunes du département « connus des services de police ».

- Sans qu’ils aient jamais été condamnés par la justce, cetains d’entre eux se voient interdire tout recrutement dans les zones réservées en application du « principe de précaution » contre la délinquance.
Leur présence sur des fichiers de la police (STIC, système de traitement des infractions constatées) ou de la gendarmerie (Judex, système judiciaire de documentation et d’exploitation), malgré l’absence de poursuite ou l’obtention d’une relaxe, met à mal leur « moralité » aux yeux de l’administration.

Après enquête, celle-ci refuse donc de leur accorder l’agrément nécessaire pour exercer dans les « zones réservées » de l’aéroport ou assurer des fonctions liées à la sécurité, soit 80% des emplois sur la plate-forme.

Quantitativement, le nombre de refus demeure limité : sur les 65 643 dossiers examinés en 2005, 5,4% des demandes d’agrément ou d’habilitation ont été rejetées par la préfecture après consultation des casiers judiciaires ou des fichiers policiers.

Mais cette statitisque ne rend pas compte de l’ampleur du phénomène : beaucoup de jeunes, déjà condamnés ou conscients d’apparaître dans les fichiers policiers, ne se présentent plus pour les emplois sur l’aéroport, de nombreuses entreprises, ainsi que les services spécialisés dans l’aide à la recherche d’emploi, effectuent aussi un tri préalable dans les dossiers des demandeurs.

- « L’autocensure est évidente. Comme ce serait un échec de plus pour ces jeunes qui ont eu des problèmes avec la police, on préfère ne pas les présenter », explique ainsi Nathalie Royer, responsable de la mission locale de Rosny-sous-Bois.

« Aujourd’hui, trouver un jeune sans casier ou qui n’apparaît pas sur les fichiers policiers est difficile », ajoute-t-elle.
« Roissy recrute beaucoup. Mais cela crée des faux espoirs pour ceux qui se présentent mais apprennent que, pour une vieille histoire, ils ne peuvent y travailler », relève Michel Bonnet, directeur de la mission locale d’Epinay-sur-Seine.

Le durcissement des conditions d’accès à l’aéroport est une conséquence du 11 septembre. Immédiatement après les attentats, le pofil de tous les personnels a été soigneusement examiné. Cette opération ponctuelle, qui s’intégrait dans la lutte contre le terrorisme, s’est inscrite dans la durée, pour lutter contre la délinquance traditionnelle, comme les vols dans les bagages ou les colis, qui affectaient sérieusement l’image de l’aéroport à l’étranger, au risque d’avoir un impact négatif sur la fréquentation.

« Le secteur de l’aérien est ultraconcurrentiel », souligne le sous-préfet chargé des aéroports Charles-de Gaulle et du Bourget, Jacques Lebrot, en décrivant « la guerre » que se livrent les grands aéroports de la planète : « Un million de passagers en plus, c’est 1 000 emplois créés. »

« Risques graves d’exclusion ».

La préfecture récuse ainsi les personnes mises en cause, dans les cinq années précédentes, pour des affaires de vol, la consommation ou la vente de stupéfiants des outrages ou des violences.

- « Ce qui était toléré ily a quelques années ne l’est plus aujourd’hui », affirme M. Frédéric Gabet,bâtonnier de l’ordre des avocats de Seine-Saint-Denis.
La volonté de l’Etat de contrôler le profil des employés de l’aéroport n’est pas contestée sur le principe. Ce sont les moyens utilisés et les erreurs commises qui suscitent la colère d’élus locaux, des responsables associatifs, de syndicalistes et des personnes concernées.

« Les fichiers qui sont consultés recèlent de nombreuses erreurs, dénonce M. Gabet. Et les vérifications nécessaires ne sont pas toujours faîtes ».
Dans certains cas, les refus d’habilitation s’appuient sur des raisons très vagues.

Ainsi en février 2002, une demande de renouvellement d’agrément déposée pour une jeune femme a été rejetée au seul prétexte que celle-ci était « connue des services de police ».
Dans un jugement rendu le 9 mai 2006, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cette décision, estimant qu’elle était « insuffisamment motivée ».

Dans son dernier rapport annuel, la Commission nationale de l’Informatique et des libertés (CNIL) avait « solennellement » attiré l’attention du gouvernement sur « les risques graves et réels d’exclusion ou d’injustice sociale qu’ils comportent du fait des nombreux dysfonctionnements constatés et sur la quasi-impossibilité pour les personnes de faire valoir, en pratique, leurs droits. »

Lors de son enquête la CNIL avait découvert des erreurs dans un quart des dossiers examinés.

« Le risque du chômage à cause d’une erreur dans le STIC pourrait déboucher sur une énorme affaire judiciaire ou la personne injustement mise en cause se retournerait contre l’Etat pour faute adminisrative », explique Alex Turk, président de la CNIL.

Tout individu dispose d’un droit d’accès aux fichiers par l’intermédiaire de la CNIL.
Mais les moyens pour traiter les demandes, et rectifier les informations erronées, sont dérisoires.
« En théorie, les délais sont de quatre mois, mais en réalité ils atteignent dix-huit mois. Cela ne sert à rien de mettre dans la loi des délais qui ne sont pas respectés », note le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye.

La consultation du fichier perd alors de son intérêt pour les personnes concernées, certaines de perdre leur emploi dans cet intervalle.

Pour le médiateur, l’application de fait du « principe de précaution » n’est légitime qu’à condition de s’accompagner d’une plus grande rigueur dans la tenue et l’actualisation des fichiers.
Sur ce point, le médiateur et la CNIL font état d’avancées, une partie des 24 millions d’informations du fichier STIC ayant été révisées récemment.

Bien que très critiques, les opposants au dispositif infirment les rumeurs qui circulent sur des pratiques discriminatoires.

"Les refus d’habilitation ne doivent pas être assimilés à des pratiques discriminatoires, même si elles sont souvent ressenties comme telles, explique Stéphane Girard, directeur de la maison de l’entreprise d’Aulnay-sous-Bois.

Les effectifs employés sur la zone aéroportuaire sont représentatifs de la population qui vit aux alentours.

MOUSSA,49 ANS, LICENCIE MAIS PAS COUPABLE.

LA SENTENCE est tombée sur Moussa en novembre 2001, quelques mois après son embauche en tant qu’agent de sûreté dans la zone réservée de l’aéroport Charles-de-Gaulle.

Pour exercer cette mission, il avait besoin d’une habilitation de la préfecture.

Demande rejetée, au prétexte que sa « moralité » et son « comportement » s’avéraient « incompatibles » avec la fonction qu’il entendait occuper.

Moussa dit avoir été « abasourdi » : « Depuis que je me suis installé en France au début des années 1980, je n’ai jamais eu de problèmes ni avec la police ni avec la justice », assure cet homme de 49 ans, qui témoigne sous un prénom d’emprunt.

Malgré la décision négative des services de l’Etat, Moussa a continué à travailler sur Roissy, mais à un poste soumis à des règles moins contraignantes que celles qui encadrent le métier d’agent de sûreté à l’intérieur de l’aéroport.

"Le directeur m’a gardé, car il estimait que j’étais l’un de ses meilleurs éléments, affirme-t-il.

Il m’a dit : « Allez-y, battez-vous, essayez de voir ce que l’on vous reproche ».
Après plusieurs mois de démarches, Moussa a su que le refus d’agrément avait été motivé par une affaire de chèque volé, survenue au milieu des années 1990.

Accusations inexactes, d’après lui.

Du coup, il s’est tourné vers la jusice avec succès.

Dans un jugement rendu le 23 mars 2004, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a estimé que le préfet avait commis « une erreur d’appréciation » en rejetant la demande d’habilitation de Moussa.

Certes, ce dernier a « par imprudence encaissé sur son compte bancaire un chèque dont il s’est avéré qu’il était volé », a relevé le juge. Mais compte tenu de « l’absence d’intention frauduleuse », « du caractère isolé » de ce fait et de « l’absence de toute précision quand a d’autres faits évoqués », le refus de l’Etat n’était pas fondé.

Le 10 novembre 2005, la cour administrative d’appel de Versailes a confirmé la décision de première instance.

Mince consololation. Car entre-temps, Moussa a perdu son job, faute d’avoir obtenu le précieux sésame pour accéder à la zone réservée de Roissy.

« Vous êtes (...) dans l’impossibilité de respecter vos obligations contractuelles », lui a reproché son employeur dans une lettre en date du 25 août 2004.

- RESULTAT : « LICENCIEMENT POUR FAUTE GRAVE ».
Depuis, Moussa n’a décroché qu’un CDD de six mois, dans une autre société de sécurité en région parisienne.
Aujourd’hui il dit ressentir de la colère et de la déception.
« J’ai montré toutes les preuves de bonne volonté pour m’insérer, et on veut m’empêcher de travailler, s’indigne-t-il. Si je n’avais pas le niveau, je comprendrais. Mais là, ce n’est pas le cas ».

Article de « Bertrand Bissuel » et « Luc Bronner », trouvé dans « Le Monde », par Linsay.



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