Comptes et mécomptes de Pôle Emploi (III)

lundi 16 mai 2011
par  Charles Hoareau
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Au moment où un ministre en mission commandée assimile les salarié-e-s sans emploi, contraints de survivre avec le RSA, à des délinquants puisqu’il propose de leur faire faire des travaux d’intérêts général activité jusque là réservée à des personnes condamnées par la justice, nous poursuivons notre série consacrée à Pôle emploi. Concernant le RSA, l’internaute peut lire un des articles que nous avons consacré au sujet avec en particulier le tableau donnant les montants que perçoivent réellement les allocataires.

Après avoir vu l’historique de l’évolution du service public de l’emploi et de l’assurance chômage et ses conséquences sur les droits des chômeurs regardons les conséquences pour les personnels.

II-3 Du côté des personnels

II-3-1 Les attaques sur les salaires

Les évolutions successives de l’ASSEDIC et de l’ANPE, puis leur fusion n’ont pas été sans conséquences sur les missions, le statut, le contenu et les conditions de travail des personnels.

Comme dans l’industrie ou le commerce, à l’image de ce qu’ont chiffré les ouvriers de FRALIB, les salarié-e-s ex ANPE ou ASSEDIC/UNEDIC ont connu une baisse relative de leur salaires depuis ces deux dernières décennies. Ainsi, alors qu’en 1986 le coefficient 150 qui représente le coefficient d’un agent d’accueil était à 126% du smic, en 2010 il n’est plus qu’à 106%. La CGT de Pôle Emploi a calculé que pour ne serait ce que rattraper niveau des salaires des années 90, il faudrait augmenter les salaires actuels de 24%. On s’en doutait déjà, mais les chiffres le prouvent : ce ne sont pas les salaires qui ont pu mettre en déficit l’assurance chômage.

II-3-2 Des réductions d’effectifs…

En 2008, avant la fusion il y avait 15 000 salarié-e-s à l’UNEDIC et 28 000 salarié-e-s à l’ANPE auxquels il faut rajouter depuis février 2010 près d’un millier de salarié-e-s de l’AFPA, principalement des psychologues du travail soit en tout environ 45 000 personnes. Avec 47 000 salarié-e-s [1] on pourrait penser qu’aujourd’hui Pôle Emploi a un effectif suffisant. Sauf que ce n’est pas le cas pour au moins deux raisons : ce ne sont pas les mêmes métiers, on ne peut donc pas les additionner et l’augmentation de la charge de travail justifierait au contraire une augmentation des effectifs, ce que demandent toutes les organisations syndicales de l’institution.

Pour ne prendre qu’un exemple, il y avait à l’UNEDIC environ 9000 liquidateurs chargés de calculer l’indemnisation, ce nombre n’a pas bougé malgré la complexité et le nombre croissant de demandeurs d’emploi d’où le retard et les erreurs, d’où aussi les mouvements de colères dans les lieux d’accueil du public.
Et ce n’est pas près de s’arranger ! Avant fin 2011 il est prévu la suppression de 1800 emplois (1500 CDD et 300 départs non remplacés) ce qui fait que Pôle Emploi pour la 2e année consécutive, finira l’année avec moins de salarié-e-s que l’année précédente [2] alors que dans le même temps le gouvernement multiplie les annonces sur l’augmentation du service à rendre aux chômeurs.

Ainsi, lors de la création de Pôle Emploi, il avait été annoncé que chaque agent s’occuperait de 60 personnes. En fait le chiffre est nettement plus élevé et des documents confidentiels ont montré que ce nombre est en réalité supérieur à 300 [3]. La situation est telle que même le patronat a signé une lettre paritaire au gouvernement constatant qu’un agent de Pôle emploi suit aujourd’hui un nombre trop important de demandeurs d’emploi et a donc "des difficultés pour répondre correctement à la demande, tant au regard du retour à l’emploi que de l’indemnisation". [4]. Pour essayer de compenser la baisse d’effectifs dans un contexte de montée de la charge de travail, la direction pensait avoir trouvé le remède miracle : la polyvalence ! Le matin le salarié est liquidateur, l’après-midi, conseiller professionnel ! Le seul énoncé des métiers de l’institution (agent d’accueil, conseiller d’orientation, agent de prestations, agent administratif…) montre le caractère totalement irréaliste d’un tel choix. Dans un contexte économique aggravé par la précarité, la polyvalence supposerait des années de formation et Pôle Emploi avait prévu des stages de…3 à 7 jours ! Elle a dû se rendre à l’évidence et faire machine arrière et officiellement en tous cas le remède magique n’est plus à l’ordre du jour. Au lieu d’un grand bazar où les demandeurs d’emploi seraient reçus par des salarié-e-s non armés pour leur répondre, on en reviendrait donc à des sites mixtes où des salarié-e-s exerceraient des missions différentes….exactement la proposition de la CGT à l’origine !! Proposition qui suppose des effectifs en nombre suffisant.

II-3-3 …qui ne font pas faire des économies !

Une étude attentive du budget fait apparaître une constatation surprenante : alors qu’il y a eu baisse d’effectifs (- 700 en 2009) il y a augmentation de 20% de la masse salariale. Cette augmentation est essentiellement due au droit d’option des ex agents ANPE qui ont pu quitter le statut de fonctionnaire pour celui d’agent du privé afin de rattraper ainsi le salaire de leurs collègues ex-UNEDIC. Vu ce qui précède sur la baisse relative des salaires on comprend que 60% d’entre eux aient fait ce choix-là !

Au passage notons que cela a permis à l’Etat de se désengager du salaire des fonctionnaires afin d’en faire porter le coût à Pôle Emploi…et donc à nos cotisations. La part prise sur les cotisations pour le fonctionnement est passée de 8,5 à 10% : autant de moins pour les prestations.

Ce que fait apparaître aussi le budget c’est une montée en flèche des services sous traités. Dans le secteur Informatique (1400 salarié-e-s) il y a plus de prestation sous-traitée que de personnel organique. Certains salarié-e-s travaillent à l’UNEDIC depuis plusieurs années, parfois plus de 10 ans, et sont de fait des employés UNEDIC déguisés. L’exemple le plus criant est Cap Gémini [5] qui coûte une fortune par rapport à du personnel interne. La CGT qui en 2007 avait déposé plainte pour délit de marchandage (un comble pour l’UNEDIC !), déplore n’avoir aucune vision sur ces effectifs et explique que désormais pour éviter les poursuites l’UNEDIC les font travailler en dehors de ses locaux.

Il y a aussi le placement payé par l’ASSEDIC, les bilans, le suivi, bref un ensemble de mission relevant du service public, confiées désormais à des officines privées qui transforment le demandeur d’emploi en client à rentabiliser…

II-3-4 Un statut explosé

Pôle Emploi est née d’une volonté de prise en main par l’Etat (nous y reviendrons dans un prochain article). Ce projet, bricolé dans l’urgence pour suivre l’agitation présidentielle, a fait exploser les statuts. Dans un établissement où se côtoient des salariés du public et du privé, à la formation et à l’histoire différentes, les problèmes posés par la mise en place d’une convention collective les unifiant s’apparentent à un casse tête. Le centre national de formation n’est plus opérationnel et la commission formation est cassée, 3 ans après la fusion, la question des cotisations aux différentes caisses et organismes (formation, retraite complémentaire, logement…) n’est toujours pas réglée…Pour s’en sortir la direction de Pôle Emploi a essayé de faire signer ses textes d’accord par la CGC non représentative et bien sûr la CFDT qui n’a rien renié de l’épisode Notat. Cela n’a en rien empêché la mobilisation du personnel

Le cas particulier de la mutuelle…

|Pôle Emploi, compte 50.000 employés. La Sécurité Sociale, comprenant l’Assurance Maladie, l’Assurance Vieillesse et les URSSAF compte 120.000 employés. Ces deux organismes ont été concernés par une réforme récente concernant les Complémentaires Santé. Ainsi, depuis le 1er janvier 2009, 170.000 employés ont été contraints de résilier leurs contrats avec leurs mutuelles pour adhérer à une « mutuelle employeur obligatoire ». Ceux qui ont des enfants ont également été obligés d’inscrire ces derniers sur le nouveau contrat (sauf s’ils étaient déjà ayant-droits sur le compte du conjoint via une mutuelle employeur obligatoire). On peut appeler ça du passage en force. C’est une conséquence de la loi Fillon de 2003.

Ce qui est encore plus étonnant, c’est de constater que c’est le même organisme qui a remporté les deux marchés. c’est le groupe Malakoff-Médéric qui a raflé la mise, obtenant d’un coup, d’un seul, 170.000 adhérents supplémentaires, sans compter les ayant-droits. Malakoff-Médéric sur le marché français est le n°1 des groupes paritaires de protection sociale, n°2 de la retraite complémentaire et n°3 en santé collective (classement Argus de l’Assurance). Le groupe est né de la fusion de Malakoff et Médéric (d’où son nom) le 30 juin 2008, soit 6 mois avant la mise en place du dispositif « mutuelle obligatoire employeur » pour la Sécurité Sociale et Pôle Emploi. Ainsi, dès le 1er Juillet, le président de Médéric cède sa place pour laisser seul au commande du groupe, le président de Malakoff Guillaume Sarkozy, le frère de l’autre qui a été au Medef de 2000 à 2006 et vice-président de la CNAM de 2004 à 2005.|

II-3-5 Des missions niées

Dans cette situation pas étonnant que les salarié-e-s estiment que leurs missions sont niées. Pas le temps pour un suivi, pas le temps et les moyens de renseigner correctement sur le montant des allocations, des erreurs qui se multiplient, des offres d’emplois qui n’arrivent pas, des radiations qui continuent à grimper en flèche, une direction qui demande du chiffre et évidemment des victimes qui ne peuvent s’adresser qu’à eux et non à ceux qui organisent la désorganisation !!

Ils voulaient travailler dans le social ou dans l’aide à la recherche d’emploi, ils se retrouvent contre leur gré agents de la police des chômeurs.

C’est bien le contenu de leur travail, leur rapport à des personnes vues comme des usagers d’un droit et non comme des clients d’une agence qui est au centre de leur action depuis des mois.


[1en équivalents temps plein, 52 292 en tout

[247983 en 2009, 47222 en 2010 auxquels il faudra donc enlever 1800 emplois en 2011

[3« Tableau noir du Pôle emploi », Le Canard enchaîné, 10 février 2010, p. 3.

[4La CGT n’a pas signé la lettre jugeant les demandes insuffisantes et exprimant sa méfiance face à une lettre demandant une meilleure adéquation entre l’offre et la demande, quelques jours après que le ministre de l’Emploi Xavier Bertrand a appelé à « l’application de la loi » qui prévoit la suspension des allocations après deux refus « d’offres raisonnables d’emploi » : on la comprend !

[5Si on en croit sa publicité Capgemini participe à la performance économique de ses clients grâce à ses missions de conseil, de construction ou d’optimisation de systèmes d’information.



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