Haro sur les biens de consommation.

mercredi 28 juin 2006
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La Chine s’est installée à Dakar avec la bénédiction du gouvernement.
Mais la corne d’abondance « made in China » s’est vite transformée en cauchemar pour l’économie locale.

- Non, l’altermondialisme prolétarien n’est pas mort !

Le 10 août 2004, Dakar en connait une version plutôt singulière
Aux alentours des bureaux de la Radio-Télévision sénégalaise, plusieurs centaines de personnes avaient répondu à l’appel de l’Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen) de Momar Ndao.

Certains protestataires brandissaient des banderoles ou l’on lisait en wolof « Bayyi les Chinois yii » (« Laissez les Chinois en paix ») et d’autres, en français, ressemblant fort à des réclames pour « le prix chinois » : « Avec 1 000F CFA, j’habille mon enfant », soit 1,50€.

Ce défilé avait été organisé pour soutenir les commerçants chinois des allées du Centenaire, en bordure du boulevard de Gaulle, du rond-point Faidherbe et des « Parcelles assainies », cibles depuis quelque temps des attaques violentes de l’Union nationale des commerçants et indusriels du Sénégal (Unacois), présidée par Ousmane Sy Ndiaye.

Dans plusieurs interviews celui-ci avait dénoncé le dumping pratiqué par ces marchands chinois, allant parfois jusqu’à réclamer leur expulsion.

"Les chinois se positionnent sur les mêmes créneaux que les Sénégalais et proposent des produits de moins bonne qualité à des prix inférieurs à ceux pratiqués normalement.

Ils ne respectent pas la législation douanière et fiscale du Sénégal.

Pour payer des taxes réduites, ils déclarent des importations de conteneurs de pièces détachées. Or, les pièces sont prêtes à être emboîtées à une demi-heure de là pour donner des produits finis".

- Face à ce patriotisme économique, les « Goorgolu » (Sénégalais ordinaires) n’ont pas hésité un seul instant. A quelques semaines d’une rentrée scolaire qui grève lourdement le budget des familles, celles-ci se pressent plus volontiers dans les échoppes des allées du Centenaire qu’au Prisunic de la tue Sarrault ou chez les commerçants sénégalais et libanais.
Cartables, cahiers, jouets ou vêtements y sont vendus cinq fois moins cher !

Soby, Billips, Bike, Abibas...

- En fait, les protestations des commerçants sénégalais et libanais sont bien tardives.

Depuis 2001/2002, le paysage urbain et commercial de Dakar s’est transformé en Chinatown, avec l’arrivée d’environ 150 familles chinoises.

Disposant de moyens financiers importants, elles ont loué à prix d’or les rez-de-chaussée des maisons occupées par des Sénégalais pour y ouvrir des magasins ressemblant à autant de cavernes d’Ali Baba.
On y trouve de tout, Yo-Yo, téléviseurs, radios, magnétoscopes, lecteurs de DVD Soby ou Billips..., téléphones portables, cuvettes aux couleurs criardes, appareils électroménagers, horloges ornées de saint-sulpiciennes photos de la Kaâba ou d’Al Aqsa. Sans compter les vêtements et les chaussures bon marché, estampillées de griffes fantaisistes comme Bike ou Abibas.

- Tout comme les épiciers mauritaniens d’antan, chassés par les sanglantes émeutes de la fin des années 80, les commerçants vivent désormais en vase clos, retranchés derrière les grilles de la boutique.

A leurs côtés, des interprètes Wolof-chinois, le plus souvent des étudiants boursiers qui, après avoir étudié à Pékin, Shanghaï ou Canton, sont revenus au pays nantis de diplômes. Ils n’ont pu trouver place dans une administration contrainte au « dégraissage » par les diktats de la Banque mondiale et du FMI.

- Conséquence innatendue de la percée chinoise, des dizaines d’Africains licenciés en mathématiques, en biologie ou en histoire gagnent leur vie comme interprètes et employés pour un salaire de 40 000F CFA (environ 60ââ€Å¡¬).

Une aubaine dans un pays ou la « DQ » (dépense quotidienne), la somme quotidienne nécessaire à l’achat du riz, du poisson ou des « sauces » (condiments) pour nourrir la famille tourne autour de 500F CFA (0,75ââ€Å¡¬).

- Voilà comment la Chine s’est installée à Dakar, la porte de l’Afrique.
De son port surchargé partent une noria de camions qui alimentent les pays de l’Hinterland (Mali, Burkina ou Niger), submergés eux aussi par l’afflux de produits chinois.

Pour s’en convaincre, il suffit de faire un tour sur le célèbre marché de Bamako.

- Des chinois, il y en a eu à Dakar, dès les années 70, après l’établissement de relations diplomatiques entre le Sénégal et Pékin en novembre 1973.
Il s’agissait surtout de diplomates, portant costume Mao, cloîtrés dans leur ambassade et auxquels il arrivait parfois de recevoir les leaders des différents groupuscules maoïste locaux qui prônaient l’alliance entre la classe ouvrière et la paysannerie sénégalaises pour renverser le régime « compradore » du paisible Léopold Senghor.

L’un de leurs dirigeants, sans rien renier de ses convictions gauchistes, fut ministre de l’ultralibéral Abdoulaye Wade.
C’était un peu comme si Olivier Besancenot avait accepté un porte-feuille dans le gouvernement d’Alain Madelin !
Il y avait aussi et surtout les coopérants techniques. On leur devait le développement de la riziculture en Casamance, le grenier du pays, la construction de barrages et d’hôpitaux modernes comme le fameux « Hôpital silence » de Ziguinchor qui attirait une clientèle venue de Gambie, de Guinée et du Mali.

Ces « médecins aux pieds nus » ne frayaient pas avec les locaux en dehors des salles de consultation et s’étonneraient de voir aujourd’hui leurs enfants ou petits-enfants fréquenter les boîtes de la Corniche et faire l’objet d’une cour assidue de la part des « gazelles » ou « boutique-mon-cul », ces créatures nocturnes spécialisées dans les relations amoureuses tarifées.

- En 1995, la reconnaissance de Taïwan par Abdou Diouf sonna le glas de ces relations. Confronté à des difficultés budgétaires, le gouvernement eut, pour boucler ses fins de mois, recours au sport national pratiqué à l’échelle du continent noir par ses homologues, toutes tendances confondues : mettre en concurrence les deux Chines et faire les yeux doux à la plus généreuse.

- Taïwan a versé beaucoup d’argent mais n’a guère envoyé de techniciens. Résultat, les rizières de Casamance ont été envahies par le sel marin et abandonnées.
Et l’« Hôpital silence », lui, n’est plus qu’une carcasse vide ou des margouillats (gros lézards multicolores NDLR)ont élu domicile.

LA REVANCHE DE PEKIN.

Pékin a patienté en attendant l’heure de sa revanche. De fait, Abdoulaye Wade, qui s’est fait élire sur le thème du sopy (« changement » en Wolof), a déçu ses partisans dont le niveau de vie a chuté.

- Le cours de l’arachide a baissé tout comme les recettes du tourisme. Celà n’empêche pas le « président maquette », comme l’a baptisé la rue dakaroise, de multiplier les projets pharaoniques : autoroute payante pour relier Dakar à la Petite Côte où se trouvent les hôtels, construction d’un aéroport international près de Thiès, création d’une université du savoir africain, travaux à la Haussman pour faire surgir de terre le « Dakar 2020 », ect.

Or, ces projets coûteux nécessitent des financements que rechignent à fournir ses partenaires européens, qui préfèrent des microprojets supervisés par des ONG.

- Résultat : le 22 octobre 2005, le chef de l’Etat a annoncé la rupture des relations avec Taïwan et la reprise de celles avec Pékin.

Début janvier 2006, le ministre chinois des Affaires étrangères a fait escale à Dakar à l’issue d’une longue tournée africaine et a sorti de sa hotte, outre l’annulation de la dette publique sénégalaise envers Pékin, d’innombrables projets de financement ainsi que la promesse d’une exemption de droits de douane pour les produits sénégalais.(Lesquels ???)

- Seule condition : une intensification du partenariat économique sino-sénégalais.
En fait celà profitera aux grossistes installés dans les Chungking Mansions de Hongkong, ces entrepôts où s’entassent tous les produits fabriqués en Chine pour le marché africain et que l’on retrouvera dans les boutiques des Allées du Centenaire ou colportés dans les rues de Dakar par les bana bana.

- Un signe ne trompe pas : certains pagnes, qui servent à confectionner les tenues chatoyantes des signares (femmes de condition aisée NDLR), ne proviennent plus des Pays-Bas mais sont signés made in China.

Article de : « Patrick Girard », trouvé dans « Marianne », par Linsay.



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