Tunisie, rouge est désormais le Jasmin !

vendredi 21 janvier 2011
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La Tunisie petit pays aux apparences paisible et prospère est en train de vivre une nouvelle ère.

En moins d’un mois, son peuple habituellement connu pour sa douceur et son pacifisme, en contraignant, le dictateur Ben-Ali à quitter le pouvoir, a forcé dans la douleur et le sang son destin. Les évènements qui se sont succédés dans une rapidité inouïe ont pris de court le monde entier, politiques et médias compris. L’histoire dans ces cas là n’attend pas et les tunisiens l’ont compris, presque instinctivement.

De la tragique étincelle allumée dans le désespoir, sans calcul ni désir d’héroïsme le 17 décembre dernier par le jeune vendeur de fruits et légumes à la sauvette, Mohamed Bouazizi bafoué dans sa dignité, s’en est suivi un soulèvement populaire sans précédent.

Les tunisiens, au-delà des seules couches les plus pauvres qui ont le plus souffert de la dictature, excédés dans leur ensemble par vingt trois années de règne sans partage, conduites dans la répression la plus sévère, la corruption, le népotisme [1] et la censure, ont trouvé là l’occasion de ne plus se taire mais aussi et surtout le sens de la lutte.

Une lutte sans organisation préalable, sans théorème ni paradigme [2] ou grand discours portés par la voix de quelques leaders charismatiques ni partis politiques (les vrais partis d’opposition étant interdits). Concernant les syndicats, la force du mouvement a été telle qu’elle a contraint l’UGTT, hier encore syndicat officiel et relais du pouvoir, à prendre sa place et les unions locales à devenir des lieux de résistance et de combat pour la liberté. Mais c’est avant tout le peuple qui a parlé et il l’a fait d’une seule et même voix. Phénomène quasi miraculeux quand on sait que l’on peine parfois à s’entendre sur la couleur d’une banderole ou le slogan d’une manif.

Ici et là de Sidi Bouzid, Tunis, Bizerte, Gafsa, Gabès, Kasserine, Sfax ou Thala, ils ont avancé d’un même pas. Résolus, intrépides, sans négociations ni compromis. La rage au ventre et la soif de justice ont accompagné la marche en avant de ces hommes et femmes qui malgré l’horreur et le sang versé ont su rester debout jusqu’au bout.

Au bout de ces nuits sans sommeil, de ces tirs sur la foule à balles réelles, de ces assauts - des campagnes jusque dans la capitale - de milices cruelles, violant, tuant dans un déferlement de violence et de haine insensé ;
au bout de l’horreur et de la peur

un seul mot remplissait les poitrines pour lequel le sang des innocents n’aura pas été versé en vain.

Ce mot qui de l’autre côté de la Méditerranée, là où souvent l’on observe paisiblement, l’on réfléchit longuement, l’on ne parle que prudemment, ce mot se susurre encore, se murmure à peine, ne se dit pas ! Les faits sont pourtant bel et bien là.
Émeutes du pain ?
Révoltes contre la cherté de la vie et le chômage ?
Révolution du jasmin ?
Non point ! Révolution…tout simplement !

Une révolution qui mérite déjà son nom - et bien qu’on en soit qu’à mi-chemin comme le dit Hamma Hammami - un dossier spécial à paraître dans Rouge Midi.

Contre toute attente, contre les sceptiques de la première à la dernière heure, les cyniques que tout indiffère, les allégations des politiques amers et les propos des médias trompeurs, les manifestations sans relâche, les rassemblements spontanés à Tunis comme à Paris, Lyon, Marseille, Genève ou Montréal ont eu raison des traîtres et des tortionnaires. Parmi les slogans qui apparaissaient ça et là dans les cortèges de manifestants à travers le monde, du « Ben-ali assasin » au « RCD [3] dégage », les tunisiens ont aussi désormais conscience de s’être enfin réappropriés leur drapeau. Un drapeau rouge orné en son milieu d’un disque blanc où figure un croissant rouge entourant une étoile à cinq branches de la même couleur. Le blanc pour la paix, le rouge à l’image du sang des martyrs qui se comptent pour le funeste épisode que la Tunisie vient de connaître, à plus d’une centaine en seulement cinq semaines, selon l’ONU.

Relayés par l’hymne tunisien qui prône bravoure et détermination jusque dans le sang face à l’oppresseur mais pacifisme face à ceux qui veulent la paix, ces couleurs et ces symboles prennent aux yeux du peuple tunisien, aujourd’hui tout leur sens. Et le jasmin, petite fleur fragile à l’odeur enivrante et tenace qui embaume les rues et les jardins des demeures tunisiennes, autre symbole de ce « paisible » pays, que Ben Ali s’est hélas approprié comme tout le reste dès son arrivée au pouvoir, le 7 novembre 1987 pour en faire un exemple de révolution non violente. Ce jasmin, désormais a perdu de son innocente blancheur immaculée.

Dès le 17 décembre 2010 c’est de rouge pourpre qu’il s’est teinté. C’était donc cela le prix à payer, c’était donc cela la révolution. Les tunisiennes et les tunisiens ont donné ainsi les fleurs de leur jeunesse et ne l’oublieront pas. Malgré les nombreux remaniements du « nouveau » gouvernement, les propos rassurants sur les aspirations à la liberté entendues, les différentes concessions opérées pour tenter de calmer les foules et recouvrer la tranquillité, le peuple continue de dire NON !

Ce faisant il rejoint les organisations politiques [4] qui, au côté du PCOT, réclament l’élection d’une assemblée constituante et refusent de participer à ce gouvernement qui ne représente pas la rue.

Le peuple clame haut et fort qu’il faut que soit éradiqué le mal à la racine, que les traîtres et les fuyards rendent comptent de leurs actes, pour qu’enfin repoussent le jasmin et l’olivier.

Les partis en Tunisie…

...à l’heure où est écrit cet article : les choses vont si vite…

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Majorité gouvernementale et nombre de députés élus


- Rassemblement constitutionnel démocratique RCD socialiste 152
-  Mouvement des démocrates socialistes MDS social-démocrate 14
-  Parti de l’unité populaire PUP socialiste 11
-  Union démocratique unioniste UDU nationaliste arabe 7
-  Mouvement Ettajdid 3 centre gauche
-  Parti social-libéral PSL (ex-PSP) libéral 1
-  Parti des verts pour le progrès

Les étiquettes sont celles que l’on peut lire dans la presse : donc officiellement c’est la gauche que les tunisiens ont renversée ! Une gôche qui après avoir été un « modèle » pour certains n’est plus du tout présentable. La preuve le RCD vient de se faire exclure le 18 janvier 2011 de l’internationale socialiste.

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_ Opposition reconnue avant le 17 janvier


- Parti démocrate progressiste (PDP) (ex-Rassemblement socialiste progressiste) ;
- Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL).

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Trois partis politiques non reconnus sous le régime de Ben Ali sont légalisés à la suite de la révolution


- Tunisie verte (TV), le 17 janvier ;
- Parti socialiste de gauche (PSG), le 17 janvier ;
- Parti du travail patriotique et démocratique tunisien (PTPDT), le 19 janvier ;

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3 partis restent encore illégaux


- Ennahda parti religieux ;
- Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) ;
- Congrès pour la république (CPR).

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A noter que le 18 octobre 2005 le PCOT, le PDP, le FDTL et Ennahda ont constitué le Front démocratique, pour les droits et les libertés, plus connu sous le nom de coalition du 18 octobre.

Lire notre dossier spécial Tunisie


Explication Photo : En Tunisie le chiffre 7 est associé à la présidence de Ben-Ali. Ce chiffre qui se réfère avant tout à la date du 7 Novembre 1987, prise de pouvoir du dictateur déchu était omniprésent dans le pays. On pouvait par exemple le retrouver dans les médias, à travers l’ex chaîne de télévision nationale : « Canal 7 », ou encore sur des écriteaux de rue ou grand boulevard comme il est présenté sur la photo ci-dessus.


[1le mot népotisme est employé pour qualifier le fait d’un président qui favorise sa famille grâce à son pouvoir et afin de la rapprocher du sommet de celui-ci

[2Un paradigme est une représentation du monde, une manière de voir les choses

[3partie du président déchu dont il vient d’être congédié par ses anciens camarades qui tiennent encore les manettes du pouvoir ndlr

[4C’est le cas en particulier de la Coalition du 18-Octobre pour les libertés qui réunit le CPR, Ennahda, le Parti démocrate progressiste et le Parti communiste des ouvriers de Tunisie.



Commentaires

vendredi 21 janvier 2011 à 18h56

Bravo pour cet article et les autres sur ce sujet !
Merci