Tous (ou presque) des cadets de Gascogne

Le maïs d’une rive à l’autre (II)
lundi 10 janvier 2011
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Et ces croquettes, il y a quoi dedans ? semble me demander le chat avec inquiétude pendant que je réfléchis qu’il faut en finir avec l’histoire, pourtant inachevée, du maïs en Aquitaine, et de son impact dans notre région.

Je consultais récemment l’ouvrage d’un auteur régional sur « l’Eldorado » que les Aquitains avaient cherché de l’autre côté de l’océan et je me faisais la réflexion que d’autres l’avaient trouvé en Aquitaine. Mais pas tous, bien sûr. Combien ont donc quitté (et il n’y a qu’à considérer le fort contingent d’Aquitains en région parisienne - mais je sais, ce n’est pas spécifique à l’Aquitaine), souvent sans espoir de retour, une terre qui n’offrait pas de réelle perspective.

Des eldorados, combien nous en a-t-on fait miroiter, principalement à partir de l’activité agricole ? Ils n’ont fait que « pousser dehors » ceux que je nomme cadets de Gascogne pour ne pas employer des mots tout aussi justes : déracinés, précaires et que d’autres ont aussi appelé « des canards boiteux ».

Lorsqu’on examine ce mouvement à travers le temps, il est clair qu’il s’agit d’une « évasion » incessante de forces vives. Dans nos sociétés traditionnellement rurales, le fonctionnement de la structure familiale (donc aussi socioéconomique) était simple : l’un (parfois, l’une) assurait la transmission du bien et les autres avaient le choix entre partir vers une espérance d’indépendance et de réussite ou bien une vie de servitude consentie dans la structure ainsi sauvegardée. Il n’y avait pas de place pour un émiettement patrimonial. Il y a X combinaisons possibles, X alliances possibles pour faire perdurer le système. Mais cela a eu, pour l’essentiel, une fin. Le monde rural aux tendances autarciques, anachronique dans la société industrielle segmentée, ne pouvait retenir personne et désormais, la plupart des siens ont dû se résoudre à l’exil, parfois un exil intérieur, mais toujours un exil.

Le grand déménagement

Quid du maïs dans cette démonstration qui va, on peut s’en douter, à contre-courant de l’idéologie dominante sur le sujet ? Car, faut-il le souligner encore, le fonctionnement de notre société est à « flux tendus » autant pour les individus que pour les marchandises, comme si le mouvement était signe de modernité, voire de prospérité. L’immobilité est vite taxée d’immobilisme et sans doute de stagnation. Il faut bouger, être mobile, c’est la clé de la réussite, comme si le déplacement du corps aérait utilement le cerveau et que l’on « brassait des idées » comme on touille un sac de jetons. Le maïs, encore un « eldorado », est donc un bon exemple de ce grand déménagement à l’échelle aquitaine car c’est lui qui a servi de levier pour déstabiliser la société rurale d’après-guerre. Il a eu une action sur le travail, avec la mécanisation (le progrès) et sur le paysage, avec les restructurations foncières (le progrès), l’introduction de produits phytosanitaires (toujours le progrès) et la consommation (le progrès définitif et surtout irréparable) de ressources naturelles comme l’eau et le pétrole. Ces bouleversements dans les pratiques ont entraîné un bouleversement social en profondeur, plus vaste.

L’agriculture étant immobile par définition, il a fallu la faire « bouger » autrement, c’est à dire dans sa pratique, dans sa destination et en finir avec des repères qui rassuraient un peu.
_On a depuis quelques décennies, transformé le maïs « vivrier » sur lequel reposait une économie paysanne en une culture industrielle qui a vidé les campagnes. Les agriculteurs ont - plus ou moins - résisté pendant trente ans, l’espace d’une génération, la génération des utopistes qui rêvaient encore qu’il y avait un espace de liberté dans le travail. Et puis vint la P.A.C. de l’Europe de 1992, moteur très efficace de cette orientation et on ne soulignera jamais assez le rôle néfaste sur les sociétés européennes de cet organisme supranational qui n’est en aucun cas l’émanation de la volonté populaire mais bien l’instrument des puissances financières et de leurs valets. On ne le répétera jamais assez, sur tous les tons, sur tous les modes car ça aussi, on nous l’a présenté comme le progrès. On n’a pas vérifié, on a suivi cette vérité révélée, on a « acheté la tour Eiffel » aux boni menteurs experts (pas tous, c’est vrai !) dans un concert politique où les discours étaient confus (ils le sont restés même après le NON historique au référendum de 2005), mélangeant à dessein les aspects culturels et solidaires au progrès nécessaire pour présenter une union européenne porteuse d’un avenir lumineux pour chacun.

Laboratoire idéal

Et pourtant ! Suite à quarante années d’expérimentation dans le domaine agricole, la P.A.C.était le laboratoire idéal pour aborder une nouvelle phase d’intégration socioéconomique qui finit par concerner tout le monde.
_Le maïs a même été la « tête de pont » de cette agriculture industrielle, permettant dans son sillage, de développer des productions légumières tout aussi industrielles (une politique qui se pratique à l’échelle de la planète), et d’envisager une destination non alimentaire aux productions agricoles, par exemple les oléagineux destinés à la production de carburants, un non-sens de plus dans la gestion des énergies pour le présent, et surtout le futur.
_Un choix a donc été fait, les pouvoirs publics l’ont encadré de mesures propres à le rendre irréversible, les médias professionnels et grand public ont bien relayé « l’information » et chacun est invité à s’y conformer sous peine d’être « largué », passéiste, etc. Et là encore, on ne dira jamais assez à quel point on a fait appel aux comportements-réflexes et non pas à la réflexion propre de chacun. Et ça a marché ! Bien sûr, pas chez tous, mais pour le plus grand nombre.
_La société de consommation s’est mise à fonctionner en parallèle, ainsi, s’est développée une logique à laquelle nul ne pouvait résister. Remettre en question ce fonctionnement paraît complètement farfelu aujourd’hui. Pourtant, il est reconnu qu’il produit un gaspillage extraordinaire et n’assure pas forcément des produits de qualité, ni en quantité suffisante pour nourrir la planète comme on le justifie encore.

Cacophonie productiviste

Je connais des agriculteurs (parmi ceux qui touchent le moins d’aides, parce que les autres …) qui haïssent aujourd’hui le maïs et cette étiquette de « fonctionnaire de Bruxelles », « paysan assisté » etc. Ils ne se reconnaissent plus dans l’image véhiculée par des organismes et des médias trop éloignés des aspirations des individus au travail. Combien attendent la retraite comme une délivrance alors que pour leurs pères, leur métier avait représenté leur raison d’être, difficile à abandonner !
_Et l’extraordinaire aventure de l’apprentissage de techniques nouvelles, de productions nouvelles, d’ouverture sur le monde qui procura tant de frissons et quelque plaisir est soudainement balayée et n’a plus qu’un goût amer, celui de l’inféodation au diktat de l’industrie agroalimentaire. Il reste au paysan un immense sentiment de frustration d’avoir mis dans sa « maîtrise de la production » (sésame de l’agriculture) son intelligence immobile et sa force de travail au service d’un système dont il n’avait pas perçu la volonté hégémonique et mortifère sur le vivant. Il n’y avait d’ailleurs personne d’audible dans la cacophonie productiviste pour le mettre en garde, à peine quelques doux rêveurs que l’on ne voulait pas contrarier ou quelques « fous furieux » que l’on avait envie de contrarier ! Et le temps est passé très vite, d’une saison de maïs à l’autre, d’une assemblée de coopérative enthousiasmée à des printemps pluvieux et un décompte de résultats à pleurer aussi en attendant une prime de Bruxelles…

Certes, les grandes étendues dévoreuses d’énergie et d’espace attestent de la suprématie de la production agricole industrielle portée par des acteurs dévoués, et Bruxelles soutient cette politique par une planification de mise en culture à travers un système de subventions financées par tous les contribuables que l’on n’a pas consultés sur un projet agricole commun qui pourrait être le nouveau P.A.C. C’est évidemment la réflexion qu’il faudra mener, hors de tous les préconçus sur la question et avec en mains les cartes du futur à dessiner.

En conclusion

Ce maïs industriel a provoqué le déclin économique des agriculteurs car les fameuses « aides » européennes ont permis de ramener le cours du maïs au niveau mondial (diktat étasunien, c’est bien comme ceci qu’il faut comprendre « niveau mondial ») de façon drastique mais il a provoqué leur mort sociale en fabriquant un antagonisme à ce jour insurmontable entre les catégories d’individus. On ne « s’entend plus » et ce n’est pas la peine de développer, chacun a un sentiment sur la question et les armées « paysanne » et non paysanne se font face, s’interpellent sans jamais se comprendre ! Et c’est bien pour cela que je parlais de pré-conçus sur la question. Il va falloir se défaire des préjugés pour cultiver son jardin en paix.
_N’oublions pas : diviser pour régner. C’est plus que jamais d’actualité.

Suite et fin à venir…



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