POURQUOI N’A-T-ON PAS CONSTRUIT UNE SOCIETE SOCIALISTE EN UNION SOVIETIQUE ?

lundi 6 septembre 2010
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Cette fois-ci, c’est Mansoor Hekmat qui pose la question.
8 J’ai déjà consacré trois articles aux réflexions de Mansoor Hekmat [1]. Et bien d’autres textes encore qui se rapportent également à son questionnement.
Un questionnement, une affirmation même, qui se généralisent, et cette généralisation est loin d’être sans intérêt.
Ces jours derniers encore, dans Le Monde, Yvon Quiniou écrivait : « Le renforcement inouï de l’Etat, l’absence de pluralisme idéologique et de liberté politique, le contrôle collectif sur les consciences dans des domaines qui doivent en droit lui échapper comme la religion, l’art ou la science, enfin le recours à la violence meurtrière ( même s’ils n’en furent pas les seuls responsables ) n’ont rien à voir avec le communisme marxien ( et il n’y en a pas d’autres ), mais ils illustrent sa défiguration et l’illusion dans laquelle étaient ceux qui croyaient être sur la voie de sa réalisation. »

UNE GRANDE DIVERSITE D’HYPOTHESES

Certes, les uns et les autres ne prennent pas tous les questionnements par les mêmes bouts, mais l’existence d’une grande diversité d’hypothèses, voire de convictions, permet leur confrontation, met en évidence les contradictions qui à la fois s’opposent et coexistent dans une même réalité dont l’étude concrète devient dès lors possible.

Un article de Wikipédia présente ainsi la réflexion et l’élaboration politique et théorique de Mansoor Hekmat dès février 1992, c’est-à-dire avant même la fin de l’écroulement du socialisme/communisme en URSS :

« Dès cette date, Mansoor Hekmat a donné sa démission du Parti communiste d’Iran et commence à organiser sa fraction communiste ouvrière en un nouveau parti auquel il assigne un programme ambitieux :

« Un(e) véritable communiste aujourd’hui est celui ou celle qui comprend l’urgence de la situation actuelle et la signification de son propre rôle.

« Le communisme aux marges de la société n’est pas le communisme.

« Etre sur la ligne de front de la résistance contre l’offensive mondiale de la bourgeoisie contre les idéaux humains, contre les réalisations sociales, organiser un front social international des travailleurs et des travailleuses dans ce monde en turbulence, et travailler à la victoire du socialisme, voilà ce que c’est être un(e) communiste aujourd’hui.

« Durant soixante dix ans l’opposition ouvrière au capitalisme d’Etat était marginalisée, tandis que le conflit central qui occupait le devant de la scène opposait deux modèles alternatifs de capitalisme, et deux blocs impérialistes.

LE RETOUR DU COMMUNISME OUVRIER

« Avec la disparition du bloc soviétique, le communisme ouvrier revient au-devant de la scène, parce que l’affrontement entre les classes n’a plus d’autre issue possible.

« Qu’est-ce que cela signifie ?

« Tout d’abord qu’il ne faut pas se tromper de programme, ne pas reproduire les erreurs de la révolution russe.

« Le communisme ne peut triompher que s’il transforme les bases économiques de la société, s’il abolit le travail salarié et transforme les moyens de production et de distribution en propriété commune, s’il créée une communauté mondiale, sans classes, sans discriminations, sans pays et sans états. »

Mansoor Hekmat revient régulièrement sur cet axiome du communisme ouvrier : par propriété commune, il n’entend jamais propriété d’Etat. L’étatisme est précisément l’échec de la révolution russe.

L’ETATISME EST L’ECHEC DE LA REVOLUTION RUSSE

A partir de là, il est possible de dégager le marxisme de toutes les adaptations à des fins nationalistes, réformistes, tiers-mondistes, développementalistes et autres.

En 1986, à l’occasion d’une intervention à un séminaire du Parti communiste d’Iran [2], Mansoor Hekmat avait déjà exposé ses réflexions à propos de l’expérience de la révolution ouvrière en Union soviétique.

« Malheureusement, disait-il, aujourd’hui plus que jamais le communisme a pris les traits d’une école de pensée, alors que pendant une bonne partie de son histoire, en pratique comme en théorie, c’était un mouvement social.

« C’est le mouvement d’une classe sociale qui cherche à provoquer des changements réels dans la société.

« Ce point de départ ancré dans une classe sociale, ce n’est pas quelque chose à ne pas prendre en compte que lorsque l’on passe de la théorie marxiste à la pratique politique du parti.

« C’est aussi un concept qui devrait faire partie intégrale de notre perspective théorique globale.

« Dans le soi-disant marxisme radical ésotérique, la classe ouvrière est une catégorie abstraite, tout comme la lutte de classe et le socialisme.

« Au contraire, dans le marxisme réel, c’est-à-dire le communisme ouvrier, il s’agit de relations sociales et historiques concrètes.

UN PROCESSUS HISTORIQUE REEL

« Ma critique de l’expérience de la révolution prolétarienne en Russie est celle d’un processus historique réel, mis en oeuvre par des forces sociales vivantes.

« Elle doit donc commencer par l’examen du dynamisme et du mouvement réel des forces sociales à l’époque.

« Cette expérience est le résultat d’une classe formée de millions d’ouvriers, une classe qui s’y est engagée avec conviction, pour sa propre émancipation...

« Une telle expérience ne peut pas être jugée seulement sur le critère de la pureté idéologique et de l’orthodoxie théorique de ses leaders, comme si chaque défaut suffisait à en invalider l’ensemble...

« Mais il faudrait expliquer pourquoi les plus radicales des critiques démocratiques ne répondent pas à la question essentielle dans la discussion sur l’expérience soviétique : pourquoi n’a-t-on pas construit une société socialiste en Union soviétique ?...

COMMENT S’EST DEVELOPPEE L’ECONOMIE SOVIETIQUE

Mansoor Hekmat interroge : « L’intérêt du matérialisme historique et de la méthodologie marxiste n’est-il pas sa capacité à rechercher les bases matérielles des développements superstructurels, c’est-à-dire intellectuels, politiques, juridiques, administratifs...de la société.

« Lorsqu’une analyse ne montre pas les bases matérielles et économiques de ces développements, elle s’avère déficiente, inadéquate.

« Comment s’est développée l’économie soviétique après la révolution, c’est la question centrale d’une critique socialiste. C’est la quintessence du marxisme, et s’y refuser, c’est tout bonnement adopter un point de vue non-marxiste, et c’est mettre de côté la question elle-même...

Pour Mansoor Hekmat, l’une des raisons les plus importantes de l’incapacité de la classe ouvrière à conclure de façon décisive sa révolution, a été le manque de préparation théorique d’une partie des éléments les plus avancés de cette classe.

« La classe ouvrière russe avait imposé son leadership dans la transformation révolutionnaire de la société. Mais l’ampleur de cette transformation, et la façon dont la société allait évoluer dépendait de ce que, selon les termes de son avant-garde, la classe ouvrière proposerait comme objectif et comme choix à la société. »

L’INSUFFISANCE THEORIQUE FONDAMENTALE

A mon avis, poursuit Mansoor Hekmat, l’insuffisance théorique fondamentale était le manque d’élaboration des objectifs économiques et des méthodes pour le prolétariat socialiste.

« Cette insuffisance avait des raisons historiques... Le modernisme économique de la bourgeoisie russe, l’idée de bâtir une Russie prospère et industrielle était dans l’air depuis longtemps. La question spécifique des rapports de production et des formes économiques à établir en Russie était éclipsée par la critique sur le retard existant.

« L’accent constamment mis par les dirigeants du parti dans la période post-révolutionnaire sur le fait que « nous devons apprendre de la bourgeoisie » témoigne du fait que la question de la transformation économique s’identifiait pour eux à l’aspect quantitatif de la production et à l’amélioration des moyens de production, non avec le fait de révolutionner les moyens de production, c’est-à-dire la sphère dans laquelle il n’y a rien à apprendre de la bourgeoisie et dans laquelle le prolétariat doit tout particulièrement suivre sa propre méthode en opposition avec la pratique économique de la bourgeoisie, tant en Russie qu’en Allemagne.

« Mais les racines de cette vision à court terme dans l’attitude envers les missions économiques du prolétariat ne doivent pas être recherchées en Russie même. »

L’INFLUENCE DE LA DEUXIEME INTERNATIONALE

Pour Mansoor Hekmat, « le facteur le plus important est peut-être l’éducation de la social-démocratie et de la IIe Internationale en ce domaine qui ont durablement influencé la pensée de la social-démocratie russe...

« La rupture des bolchéviks avec l’influence théorique et pratique de la IIe Internationale s’est faite progressivement.

« Cette évolution n’était pas achevée, ni complètement, ni de façon décisive en 1917.

« Par exemple, si l’on considère la conception économique du socialisme et des capitalismes tant de Staline que de Trotsky, c’est-à-dire la conception selon laquelle plus ou moins de capitalisme d’Etat et la propriété d’Etat des moyens de production équivalent à la propriété commune socialiste, alors on mesure l’étendue révélatrice de l’influence intellectuelle de la IIe Internationale...

« D’abord, notons, dit Mansoor Hekmat, une réduction de la théorie prolétarienne en une explication d’un développement gradualiste de la société basé sur le développement des forces productives conçues comme moteur de l’histoire.

« Le social était considéré comme le reflet pur et simple de la croissance, quantitative et qualitative, des moyens de production, faisant du coup abstraction de la lutte des classes et du facteur humain dans le progrès de l’histoire sociale.

« Dans les débats économiques de 1924, l’argument central en faveur de cette thèse était que l’Allemagne avait une économie industrielle avancée, que seule une telle économie pouvait vraiment permettre le socialisme, et que sans son aide la Russie arriérée ne le pouvait...

CE N’EST PAS L’ESPRIT DU MANIFESTE COMMUNISTE

« Dans cette conception, poursuit Mansoor Hekmat, la possibilité d’abolir la propriété bourgeoise et d’établir la propriété commune était finalement liée à un niveau industriel.

« C’est cette vision que contredit l’esprit du Manifeste communiste et de l’Idéologie allemande. Marx y avait établi la faisabilité de la construction du socialisme 60 ans avant qu’elle ne soit niée pour la Russie.

« Cette perspective est du darwinisme social et du déterminisme économique vulgaire qui se refuse à tenir compte de la force réelle du prolétariat révolutionnaire, se préoccupant davantage du niveau des forces productives et du développement industriel. »

L’autre tendance faussée par la pensée de la IIe Internationale, considère Mansoor Hekmat, « c’était la réduction de l’idée de socialisme, c’est-à-dire de la propriété commune et de l’abolition du salariat, à la propriété étatique.

« Cette façon de voir les choses reste toujours dominante, non seulement chez les partis sociaux-démocrates, mais aussi dans une partie importante de la gauche radicale.

« Aujourd’hui, pour savoir si un pays est socialiste, les défenseurs de l’Union soviétique regardent si il y a absence de propriété bourgeoise des moyens de production et prédominance de la propriété d’Etat dans ce pays....

« Réduire le socialisme à la propriété étatique est vraiment une falsification bourgeoise de la théorie marxiste.

L’ESSENCE DU CAPITAL : L’EXPLOITATION DE LA FORCE DE TRAVAIL.

Mansoor Hekmat considère que c’est cette version du socialisme que la bourgeoisie propage à travers le monde. Malheureusement, cette déformation complète de la perspective d’émancipation économique de la classe ouvrière n’a guère rencontré de contradicteurs chez les marxistes...

« Pour Marx, et nous marxistes qui saisissons le fond de la critique marxiste de l’économie politique du capitalisme, il faut comprendre que le capital est défini dans la sphère de production sur la base de son rapport au travail salarié. La concurrence et la fragmentation des capitaux sont la forme dominante du capitalisme jusqu’à présent. C’est la forme actuelle de « l’essence immanente » du capital. Cette essence a un contenu économique donné qui est la force de travail exploitée comme une marchandise. Marx considère la production de plus-value, la détermination du surproduit comme plus-value, comme la base du capitalisme, reconnaît ce processus comme le résultat d’une force de travail devenue marchandise et de la généralisation du salariat.

« Pour nous, conclut Mansoor Hekmat, l’alternative au capitalisme, c’est l’abolition de la propriété privée, l’abolition du salariat, et la création d’une propriété commune des moyens de production. »

Toutefois, il ajoute encore que cet héritage de la IIe Internationale dans la social démocratie russe a réduit la perspective du communisme en Russie, les possibilités de changements économiques après la révolution ouvrière.

« Les débats sur la question du « socialisme dans un seul pays », qui étaient des débats sur l’avenir économique de la révolution, mais entre 1924 et 1928, ont été victimes de l’étroitesse de cette perspective et de l’impréparation du parti d’avant-garde quant à cette nécessaire transformation fondamentale pour poursuivre la révolution.

LENINE OUBLIE ?

C’est ce que pense Mansoor Hekmat : « Ce contre quoi le léninisme avait lutté pendant des années, dans la réalité économique, se retrouvait avec de nouveaux protagonistes.

« Non seulement la société russe n’avançait plus dans l’intérêt de la révolution prolétarienne, mais même l’Internationale communiste, fondée par le léninisme en opposition à la social-démocratie, était devenue elle-même un instrument de réalisation des intérêts et perspectives de la bourgeoisie dans un pays donné. »


[1« Une nouvelle génération de partis communistes » ;
« Une société de classe ne peut être une société libre » ;
« Peu importent les marteaux et les faucilles ».

[2Publié par « La Bataille socialiste » sous le titre : « L’expérience de la révolution ouvrière en Union soviétique. »



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