« Norteado », un regard neuf sur l’émigration mexicaine

mercredi 21 juillet 2010
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Pour son premier long-métrage de fiction, Norteado, le réalisateur mexicain Rigoberto Perezcano dresse un portrait tragi-comique d’un migrant bloqué à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Sa vision décalée et nuancée d’une question rebattue a convaincu le magazine Letras Libres.

Andrés García arrive à la frontière mexicaine afin de la traverser pour se rendre aux Etats-Unis.
Il serait dommage que quelques préjugés et de mauvaises expériences cinématographiques fassent passer le spectateur à côté de Norteado, de Rigoberto Perezcano [qui sort en France le 21 juillet]. Pour son premier long-métrage de fiction, ce réalisateur mexicain s’est confronté à l’un des défis les plus transgressifs dans le panorama du cinéma mexicain récent : bannir ce ton épique qu’on associe souvent aux dénonciations sociales. Norteado parle de personnages aux qualités en apparence invisibles même s’ils sont les héros d’histoires qui exigent une volonté de fer et qu’ils font preuve d’une résistance presque surnaturelle.

Ce film atypique s’ouvre par des séquences racontant le voyage d’un homme depuis les montagnes de l’Oaxaca [sud du Mexique] jusqu’à la frontière avec la Californie. Le style est minimaliste et habile : de simples références visuelles qui se concluent par une vue aérienne du muro de la tortilla [le mur qui marque la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis], qui obsède les immigrants et que le héros du film parvient à franchir avec l’aide d’un pollero [passeur]. Mais la rencontre avec la mythique patrouille américaine des frontières ne se fait pas attendre. La scène est sans affectation : le policier le voit arriver comme s’il attendait un paquet à une heure et en un lieu précis, avant de le conduire, avec d’autres, dans un centre de détention. Des chaises branlantes, des hommes usés jusqu’à la corde par la fatigue et la chaleur, des portraits souriants de Bush Junior et du gouverneur Schwarzenegger suffisent à caractériser l’endroit. C’est l’enfer sur terre, personne ne peut en douter.

Pourtant, dans le film, ce n’est que l’antichambre de l’histoire que Perezcano a à cœur de raconter : celle de l’homme une fois qu’il est renvoyé au Mexique, dans la ville frontalière de Tijuana. Jusqu’à cet instant du récit, l’immigrant n’avait pas de nom. « Andrés García », répond-il quand une des femmes qui l’a recueilli commence à s’intéresser à lui. Ela, Cata et Asensio [les deux femmes qui l’ont recueilli et un homme proche d’elles] sont à la fois les hôtes et les protecteurs d’Andrés. On ne s’explique pas leur relation, ni la source des tensions. Andrés se contente d’observer, sans poser une question de trop. Il remarque les silences interminables lors des repas et sent des regards lourds qui semblent réclamer quelque chose de lui. Les intentions se révèlent peu à peu, à mots comptés, par des gestes presque invisibles, par des actes insignifiants mais très éloquents pour celui qui sait observer. Les clés de leurs vies apparaissent lors de ces « temps morts » que le cinéma des héros et des victimes préfère éliminer. A un moment du film, l’histoire cesse d’être celle d’Andrés pour devenir celle de Cata et Ela : deux femmes abandonnées par des hommes qui, eux, ont bien franchi le mur. Leur façon de faire face à cette réalité est le terreau du sujet de Norteado, c’est elle qui permet au spectateur, quel qu’il soit, de s’identifier à ce portrait de la migration : la complicité entre des inconnus, les rencontres qui changent un destin, et les vies éphémères vécues entre deux gares.

Andrés trouve un nouveau moyen de passer de Tijuana à San Diego. L’image est à la fois amusante, émouvante et brutale. Elle vient souligner le ton tragi-comique qui règne dans tout le récit et marque la différence entre une réalisation qui cherche à susciter l’empathie de son public et une autre qui ne cherche que la pitié. Norteado porte sur son héros un regard dénué de toute condescendance et rend leur dignité à des personnages généralement montrés dans les moments où ils sont le plus misérables et le plus vulnérables.

Par Fernanda Solórzano dans Letras Libres le 20/07/2010

Transmis par Linsay



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