En France, « certains n’ont toujours pas accepté la décolonisation »

lundi 31 mai 2010
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Deux rassemblements ont eu lieu à Cannes en marge du festival. L’un, « en hommage aux victimes françaises de la guerre d’Algérie » était organisé par la mairie de Cannes, l’autre par le Front national. En avril, le député UMP des Alpes-Maritimes Lionnel Luca, qui n’avait pas vu le film, avait accusé M. Bouchareb de « falsifier » l’histoire et de « raviver les blessures » de manière « irresponsable ».

Le film raconte le parcours de trois frères dont la famille a survécu aux massacres de Sétif, répression sanglante par les Français d’émeutes nationalistes en 1945. Benjamin Stora, historien spécialiste de l’Algérie et auteur de l’ouvrage La Gangrène et l’Oubli (La Découverte), n’a pas encore vu le film, qui sortira en salles le 22 septembre. Mais il revient sur le contexte de cet événement qui débuta le 8 mai 1945 et dura trois semaines.

Dans quel contexte historique a lieu le massacre de Sétif ?

Dès 1940, l’Algérie voit la France vaincue. Quelques mois avant les événements, l’Algérie est en proie à une famine. Le 23 avril 1945, Messali Hadj, grand leader algérien, est arrêté et déporté à Brazzaville, au Congo. Cette arrestation suscite une grande émotion dans les rangs des nationalistes algériens. Le 1er mai ou le 8 mai sont l’occasion pour un certain nombre d’Algériens nationalistes de demander la libération de Messali. Les plus radicaux demandent l’indépendance par la lutte armée.

Quel a été le bilan des victimes de ces événements ?

Du côté européen, il n’existe aucun doute : il y a eu cent trois morts. En ce qui concerne le nombre de morts algériens, les historiens européens s’accordent à compter entre huit mille et quinze mille morts à partir des archives militaires. Quels que soient les chiffres, la proportion est énorme. Les Algériens ont avancé dès l’été 1945 le chiffre de quarante-cinq mille morts pour des besoins politiques. Ce chiffre existe encore en Algérie.

Quelles ont été les conséquences en Algérie des massacres de Sétif ?

Les événements du mois de mai 1945 ont poussé à une radicalisation du mouvement. Les autonomistes sont devenus indépendantistes. La lutte armée devient un principe politique central. Cela ouvre ce que l’on appellera neuf ans plus tard la guerre d’Algérie. La question de la violence va se développer dans les deux communautés. Sétif marque le coup d’envoi d’une nouvelle période, qui est celle de la décolonisation. En 1946, c’est la guerre d’Indochine. En 1947, la révolte de Madagascar. En 1952, le soulèvement de la Tunisie et en 1953, celui du Maroc. La défaite de Diên Biên Phu sonne le glas de l’empire colonial en mai 1954.

Le 8 mai est devenu fête nationale en Algérie. Chaque année, il y a des marches et des colloques d’organisés. Depuis quarante ans, cette date figure dans tous les manuels scolaires. C’est un moment fondateur de la guerre d’indépendance algérienne. Sétif reste ancrée dans la mémoire collective comme une grande blessure.

Pensez-vous qu’un jour, l’histoire franco-algérienne pourra dépasser ces débats ?

Que ce soit dans un documentaire ou dans un film, ce qui compte c’est la figuration d’un événement. Or, c’est la première fois que l’on présente Sétif dans un film de fiction. En Algérie, c’est un fait admis. En France, il semble que certains n’aient toujours pas accepté la décolonisation. Dès qu’il est question de la guerre d’Algérie, il y a des batailles de mémoires. Il faut rappeler qu’il y a eu des victimes européennes et aussi mesurer l’ampleur de la tragédie algérienne.

Propos recueillis par Caroline Venaille Le Monde le 21/05/2010

Transmis par Linsay



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