La rigueur, les grecs et nous

lundi 10 mai 2010
par  Charles Hoareau
popularité : 4%

On veut changer de société ? Alors ne fuyons pas le débat !

Le recul social que le capitalisme tant national qu’international veut imposer au peuple grec, avant de l’imposer à l’ensemble des peuples, est tellement grand qu’il suscite non seulement le rejet dans le monde du travail mais aussi jusque dans les rangs du PASOK au pouvoir. Ainsi dans le journal Ethnos, normalement supporter du gouvernement actuel, l’éditorialiste Georges Delastik, dans un article intitulé : « L’Etat est sauvé, pas le peuple », appelle les grecs à refuser ce plan :

« … les Grecs, eux, vont faire faillite, s’appauvrir à cause des mesures exigées par l’UE et le FMI, en contrepartie de l’aide octroyée à leur pays. (…) ils devront payer le prix fort pour le gaspillage de fonds publics, la corruption et la destruction de l’Etat. (...)Le gouvernement a livré notre pays au FMI et à l’UE. (…)Les salariés sont légitimement fondés à refuser d’être les victimes d’une crise dont ils ne sont pas responsables. Le gouvernement ne peut décemment pas prétendre faire accepter à la population des mesures comme celles qui sont annoncées, les plus antisociales jamais prises dans le pays. Seuls ceux qui lutteront contre ces mesures pourront espérer sauver leurs droits. »

Et de détailler nombre de mesures parmi lesquelles :

- « Fonction publique : Gel des salaires jusqu’en 2014, suppression ou plafonnement des primes, réduction de 8 % des diverses indemnités (après une baisse de 12 % en mars).
-  Secteur privé : Levée de l’interdiction faite aux entreprises de licencier plus de 2 % de leurs effectifs, relèvement de l’âge légal de départ en retraite et allongement à 40 annuités (contre 37) de la durée de cotisation
-  Fiscalité Relèvement de la TVA à 23 % »

Des questions propres à la Grèce..

…Dont on ne parle pas beaucoup.

Bien sûr pour une part la cause de cette situation vient de spécificités propres à la politique mise en œuvre par les gouvernements grecs qui se sont succédés. Pour autant les raisons de cette crise de la dette « publique » ne sont pas dans le coût des salaires ou des services publics qu’il faudrait maintenant comprimer. Les raisons sont ailleurs et on en entend peu parler.

-  En Grèce le coût du service de la dette était de 14% du PIB en 1993, il est maintenant de 6%...il a donc proportionnellement baissé ! Les choix européens fait en particulier depuis le sommet de Lisbonne en 2000 montrent là toute leur nocivité.

-  Près de 30 milliards d’euros soit presque 10% de la dette représentent le coût des derniers JO, « investissements tout à fait contre-productifs. Athènes est maintenant plein d’énormes stades fermés que personne n’utilise... [1]

-  La Grèce est depuis plusieurs années l’un des plus importants importateurs d’armes en Europe. C’est même le pays d’Europe qui a consacré la plus grosse part de son PIB (2,8%) au budget de défense. [2]

-  La Grèce est aussi le numéro 1 mondial des flottes commerciales avec plus de 4 000 navires qui ponctionnent chaque année l’État grec de près de 6 milliards d’euros de TVA grâce à des mécanismes avantageux. [3] Curieusement on n’a pas beaucoup entendu parler de la possibilité de les taxer davantage…ni même de prendre des mesures contre les gros employeurs qui ont transféré leurs actifs dans des sociétés off-shore chypriotes où ils n’y sont imposés qu’au taux de 10%.

-  Il y aurait pourtant là de quoi récupérer une large partie des sommes nécessaires à combler la dette, de même auprès des banques qui ont reçu 28 milliards d’argent public et maintenant spéculent…

D’autres raisons liées au système…

…dont il faudrait parler.

Beaucoup de choses ont déjà été dites et écrites [4] sur cette crise et ses répercussions. Juste pêle-mêle quelques remarques complémentaires à celles développées par les adversaires du plan d’austérité :

-  Si la dette de la Grèce est effectivement de plus de 300 milliards de dollars, le pays le plus endetté du monde est les Etats Unis dont la dette atteignait le 30 septembre 2009 la somme de 11 776 milliards de dollars, soit environ 84 % de son PIB. Cette question de la dette est d’ailleurs essentiellement un problème des pays riches comme le montre la carte ci-dessous. Autrement dit plus le capital se développe plus il pompe la richesse des états-nations.

Dette « publique » par pays

-  C’est un drôle de tour de passe-passe de qualifier de dette « publique » ce qui est au départ une dette privée que les états ont choisi de financer comme ce fut le cas encore récemment pour les banques. Choix aggravé par une politique fiscale qui épargne les profits et les hauts revenus… La dette est privée…

Et ce sont les états-nations – donc vous et moi à travers nos impôts et la réduction des services publics - qui la financent ce qu’indiquent clairement les 2 graphiques

.

-  Cette crise montre aussi que le sommet de Lisbonne de mars 2000 [5]qui prétendait faire de l’UE, grâce à l’euro, la première puissance économique mondiale non seulement était une aberration sociale mais s’avère 10 ans plus tard être aussi une aberration économique. En Grèce le coût du service de la dette était de 14% du PIB en 1993, il est maintenant de 6%...il a donc proportionnellement baissé ! En Grèce comme ailleurs, les choix européens montrent là toute leur nocivité et l’euro censé nous protéger…nous a protégés de rien du tout…

dette en pourcentage du PIB de la zone euro

On pourrait même dire au contraire ! L’euro ayant été introduit en 2001 c’est à partir de cette année là que la dette s’envole dans la zone euro

La Grèce n’est pas la seule

De plus comme le montrent le tableau et le graphique ci-après la Grèce est loin d’être le pays le plus endetté de la zone euro.

Pays 2007 2008 2009* 2010** Progression depuis 2007
Autriche 59.4 62.5 70.4 75.2 26,6%
Belgique 84.0 89.6 95.7 100.9 20,1%
Finlande NC 33.4 39.7 45.7 36,8%
France 63.8 68.0 75.2 81.5 27,7%
Allemagne 65.1 65.9 73.4 78.7 20,9%
Grèce 94.8 97.6 103.4 115.0 21,3%
Irlande 25.0 43.2 61.2 79.7 218,8%
Italie 103.5 105.8 113.0 116.0 12,2%
Pays Bas 45.6 58.2 57.0 63.1 38,4%
Portugal 63.5 66.4 75.4 81.5 28,3%
Espagne 36.2 39.5 50.8 62.3 72,1%
Zone Euro 66.0 69.3 77.7 83.6 26,0%

*Estimation ; ** Prevision ; Source : Eurostat repris par CADTM

Et que donc l’effet domino dont on nous parle à propos d’une dette qui ne représente que 2,3% du PIB de la zone euro [6] est un nuage de fumée destiné à nous cacher l’essentiel : ce n’est pas la Grèce qui met en danger la zone euro, mais la zone euro qui met en danger de formidable recul social les peuples qui y sont soumis et par voie de conséquence nombres d’échanges internationaux sur la planète.

C’était prévu mais ils n’ont pas de solution…

…puisqu’ils ne veulent pas changer de système.

-  Depuis plusieurs mois nombre d’économistes, y compris dans les rangs des partisans du système capitaliste alertent sur ce qui va arriver, en vain. [7]. L’huma du 20 10 2009 avait d’ailleurs publié un graphique qui se passe de commentaires.

-  Comme, en conformité avec les choix européens, le gouvernement grec ne s’attaque (évidemment), ni à l’armement, ni à la fiscalité, ni au grand capital, ni aux banques, mais uniquement aux salarié-e-s, son plan est un remède qui va être pire que le mal. Déjà alors qu’il était prévu une baisse de 0,9% du PIB avant le plan, la prévision passe à moins 4% à cause du plan. Sans augmentation des salaires, ce qui relancerait la demande intérieure, sans réduction massive du temps de travail tenant compte ainsi des gigantesques gains de productivité, privé de souveraineté monétaire, il ne peut que constater la casse… Pourtant comme le souligne avec juste raison Pascal Franchet déjà cité « Le gouvernement grec a aussi toute latitude de procéder à une réforme en profondeur de la fiscalité pour abolir les cadeaux fiscaux et sociaux faits aux classes aisées et aux entreprises, imposer les revenus du capital et de la rente, bref d’augmenter ses recettes fiscales pour supprimer son déficit budgétaire. C’est bien une question de choix politique que le PASOK (Parti socialiste en Grèce) choisit de ne pas faire parce qu’il est d’accord sur l’essentiel du néolibéralisme : le monde grec est et doit rester dans une économie néolibérale de marché ! »

-  Comme dans ce système fou on n’est pas à une aberration près, la « solution » que nos génies de l’Europe ont trouvée c’est l’emprunt !...tout en respectant les traités de Maastricht à Lisbonne. Ainsi alors que la Banque centrale européenne a prêté massivement aux banques privées en 2008-2009, l’article 123 du Traité de Lisbonne lui interdit de le faire auprès des Etats. Donc, la Grèce emprunte au taux de 6,5% à des banques privées qui ont récemment emprunté à la BCE au taux de 1% ! Et si elle emprunte à un autre état « généreux » comme la France ou l’Allemagne, elle ne peut le faire qu’à des taux du marché sous peine que les états prêteurs ne soient en contradiction avec les règles de l’UE et assimilés à des « subventionneurs »…Et c’est comme ça que le prêt que la France fait à la Grèce rapportera à notre pays 150 millions d’euros…

- Cette "solution" n’en est d’autant moins une qu’elle a déjà été essayée au cours de l’histoire, il y a 117 ans exactement, et que le journal La Tribune, que l’on ne peut guère qualifier de gauchiste, nous apprend que ce fut un échec dont le peuple grec paya le prix fort...

Aider les grecs oui mais comment..?

débattons en…enfin

Devant l’avalanche de mauvais coups qui s’abat sur les grecs et les peuples d’Europe la question de la riposte est posée.

-  Au plan syndical la riposte s’est d’abord construite en Grèce dès le mois de décembre. D’abord avec le seul PAME, puis peu à peu avec l’ADEDY (fonctionnaires) et la GSEE(privé) [8]. Mais cela ne peut suffire et à juste titre Spyros Papaspyrou, président de l’ADEDY, réclame depuis plus d’un mois à la CES une plus grande mobilisation européenne. Et il rajoute : « il est l’heure de passer par des actes plus conséquents. » [9]. Force est de constater que pour l’instant la CES n’a pas bougé. Il est aussi regrettable, que les syndicats français, (même si la CGT a envoyé une délégation à Athènes le 5 mai) n’aient pas jugé utile de faire plus. [10]

-  Au plan politique outre les socialistes qui sans surprise n’ont rien d’autre à proposer que ce que la droite met en œuvre, reproduisant ainsi le consensus qui sévit à l’assemblée grecque, il y a à gauche deux positions qui mériteraient débat…ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Revendiquer l’Union Européenne sociale ?...

Le Parti de la gauche européenne (PGE), auquel appartient le PCF, en France, et Syriza, en Grèce, appelle à la construction 
d’« un front solidaire européen » pour que les peuples ne soient pas écrasés « par la finance ». Le PGE constate que « la Banque centrale européenne (BCE) peut mobiliser des dizaines de milliards pour le sauvetage des banques, mais non pour le sauvetage d’un État  ! » Le parti appelle à « stopper la vague de spéculation », « arrêter les privatisations », à « se doter d’un véritable budget européen ». Donc d’avancer vers une Union fédérale

Dans cette lignée le PCF rajoute :« cette tragédie risque de se retourner contre l’idée européenne elle-même. Voilà pourquoi il est indispensable que les populations, les salariés, les organisations sociales et syndicales, les forces progressistes agissent pour obtenir une initiative politique européenne, de grande ampleur. Il est absolument nécessaire d’engager désormais des réformes structurelles progressistes de l’Union européenne.. Curieusement, alors que les députés communistes ont voté à juste titre contre le prêt de la France à la Grèce, il se prononce pour la création « d’un fonds européen de solidarité et d’entraide entre pays » : le même que celui que viennent de décider les chefs d’états européens ?.. Il se prononce aussi pour des programmes de relance et la création d’un mécanisme de taxation des transactions financières.
Encore plus curieusement sa déclaration se conclut par « L’Union européenne et tous les Etats membres doivent donc se mobiliser pour préserver les chances d’une Europe des peuples. » C’est de la naïveté ?...

Le Syriza, par la voix de chef de groupe parlementaire, Alekos ALAVANOS va plus loin quand il déclare : « Dans ces conditions, je pense qu’il est très dangereux pour un pays périphérique comme le nôtre de rester dans la zone euro. ». Et s’il ne trancha pas la question au moins il la pose : être ou ne pas être dans la zone euro

Ou sortir de cette Union-là !

Le KKE lui est plus tranché. Eliseos Vagenas, toujours dans l’Huma du 5 mai, déclare : « Notre parti croit que Lénine avait raison quand il écrivait, en 1915, dans son article sur « Le mot d’ordre des États-Unis de l’Europe », qu’une telle union serait soit impossible à réaliser, soit réactionnaire. En effet, la Communauté économique européenne (CEE) et ensuite l’Union européenne (UE), avec le traité de Maastricht (pour lequel ont voté pour tous les partis en Grèce sauf le KKE), ont prouvé qu’elle est une union du capital, qui a pour but d’attaquer les droits des travailleurs et de préserver les profits des capitalistes  ! Un de ses outils est aussi la Banque centrale européenne. Nous ne sommes pas censés cultiver l’illusion chez les travailleurs que la nature impérialiste de l’UE peut changer. Encore moins que nous puissions mettre « les gens avant les profits ». En réalité, ce qui compte, c’est de créer un système où il n’existera pas de profits capitalistes  ! C’est pour cela que notre parti insiste à la sortie de notre pays de l’Otan et de l’UE et appelle à la constitution en Grèce d’un front de lutte pour le pouvoir populaire, l’économie populaire, le socialisme.

Le KKE propose des mesures particulières dans la situation actuelle de crise capitaliste. Des mesures qui ont pour but de soulager les travailleurs et les chômeurs, comme la taxation du grand capital avec une taxation à 45 % au lieu de 20% aujourd’hui. Nous proposons un faisceau complet de revendications basées sur les besoins modernes des travailleurs. Pourtant, dans le système capitaliste, il peut y avoir quelques conquêtes seulement à travers le développement de la lutte des classes. (…)Nous soutenons le Pame (Front syndical de lutte), qui englobe tous les syndicats de classe de Grèce.

De plus, nous posons au peuple ouvertement notre proposition alternative, celle d’une économie de socialisation des moyens de production, de planification centrale et de contrôle ouvrier, avec un système de santé exclusivement public, avec un système d’éducation, de santé et de sécurité sociale, qui sera unifié et gratuit pour tous. Une économie qui sera basée sur un autre pouvoir, qui renversera le pouvoir des monopoles et construira des institutions populaires neuves. »

Changer l’UE ou en sortir un débat qu’il faudra bien avoir.

C’est sans doute bien cette différence d’analyse qui explique, qu’une fois de plus, le PCF n’ait pas cru devoir signer la déclaration des partis communistes et ouvriers d’Europe sur ce sujet. Cela n’aurait il pas mérité débat au sein du mouvement communiste français aujourd’hui dispersé ?

Nous pensons que oui.

A Rouge Vif nous pensons que l’UE n’est ni une nation, ni un contrepoids aux USA, ni une garantie pour la paix, ni un outil de conquête sociale, mais une puissance impérialiste en construction qui met des barbelés à ses frontières pour ne pas accueillir les déportés économiques des pays du sud qu’elle pille. Croire que l’on peut changer cette machine de 27 pays sans avoir besoin de s’appuyer sur l’étape nationale nous semble relever soit de la naïveté, soit de l’acceptation de la victoire du capitalisme.

Remettre en cause le système ne peut passer par des mesurettes d’aménagement des institutions existantes. La BCE, parce qu’elle échappe à tout contrôle ne peut être un outil de progrès et de justice.

La démocratie, le changement de société, supposent que le peuple puisse exercer sa souveraineté sur les choix de production et de services, sur sa monnaie et sa finance. La Grèce mise sous tutelle du FMI vient nous le rappeler avec force.

Sinon, comme dirait Mikis Théodorakis, cela revient à "nous supprimer comme peuple."


[1Pascal Franchet CADTM

[3A comparer avec les économies du programme de stabilité estimées à moins de 5 milliards

[5cf L’Europe, la gauche, le syndicalisme et Bokelstein http://www.rougemidi.org/spip.php?article52

[6le déficit public grec représentant lui à peine 0,036% du PIB de la zone euro

[7On peut relire l’article de Conolly paru en avril 2009 zone euro l’analyse qui donne froid dans le dos.

[8article déjà cité

[9L’humanité 5 mai 2010.

[10Un appel syndical européen a été lancé et signé en France par Sud et la CNT



Documents joints

Déclaration des partis communistes et ouvriers (...)
PDF - 191.1 ko

Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur