« On l’asseoit sur un couteau » ...

vendredi 9 avril 2010
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… Désigne, en Afrique, en langue Bambara « l’excisée ». La vie de Waris Dirie, actuellement sur les écrans dans « Fleur du désert », film de Sherry Hormann, éclaire le sujet, avec la violence qu’il faut. Si le film m’est apparu inégal et très moyen, son propos est fort !

Enfuie de Somalie, pour échapper à un mariage forcé, excisée à 3 ans, la scène porte le film, Waris émigre en Angleterre, vit comme la plus pauvre des pauvres, devient mannequin (ici, c’est le côté Cendrillon), révèle son histoire avant de se faire, aux Nations Unies, la porte-parole des luttes contre de telles « traditions ».

Je reviens, pour ma part, du Mali, avec dans mes bagages, le chagrin des filles d’Afrique, car, dans ce pays, encore - aujourd’hui comme hier, l’excision porte beau…

150 millions de femmes, dont une grande partie en Afrique de l’Ouest, en sont actuellement victimes (une fille sur deux en Côte-d’Ivoire, par exemple). Les couteaux de l’exciseuse continuent de rôder, et pas seulement dans les villages reculés ! On mesure mal — semble-t-il — l’évolution de la pratique, puisque l’Afrique, schizophrène, oscille sans cesse entre les législations fermes des institutions (beaucoup de femmes sont au nombre des parlementaires) et le poids — lourd — des traditions.

L’Égypte punit l’excision, « sauf nécessité médicale » ; en Ouganda, un médecin qui s’y livre sera interdit d’exercice ; elle est sévèrement pénalisée au Burkina, au point que les fillettes sont « exportées » en pays Dogon, au Mali, où les lois plus floues ou plus laxistes s’appliquent mal. On vient donc, à dos d’âne ou en moto, faire exciser sa fille dans le pays voisin, comme chez nous, avant l’I.V.G., quand on allait en Suisse… !

Ablation du clitoris, des petites et des grandes lèvres ; atroce introcision qui élargit l’orifice vaginal avec un silex, replie le clitoris à l’intérieur et recoud…, scène insoutenable de la petite fille, hurlant, dans « Fleur du désert ». Conséquences terribles, en termes de douleurs, maladies, mort parfois, difficultés lors des accouchements ; quid du plaisir sexuel évidemment ! Regard sur soi, femme à jamais rabattue, figée…, petite fille terrorisée autour de la puberté, avant le mariage précoce et souvent arrangé…

Tradition venue des tréfonds du monde, « justifiée » par le mythe du « vagin denté » (le clitoris serait la dernière dent…) ; histoire volant, dans toute l’Afrique, des murs de Djenné au pied du mont Kenya. Pratique éminemment plus culturelle que religieuse (comme d’autres coutumes, d’ailleurs). J’en veux pour preuves un symposium récent à Abidjan, consacré aux mutilations génitales féminines, au cours duquel les dignitaires religieux, d’un seul élan, ont stigmatisé cette pratique. Rite « de passage », évidemment, entre enfance et âge adulte ; argumentaire à manier avec les plus grandes précautions, cependant, quand on sait que certaines intellectuelles africaines s’en saisissent pour cautionner — sous prétexte d’initiation — la coutume… (L’excision n’est donc pas synonyme d’analphabétisme, dans tous les cas).

De même que chez nous — mais c’est daté — (surtout la période « tiers-mondiste » des soixante-huitards), des voix se sont tues devant ces « traditions » « intouchables », parce que partie intégrante d’une culture qu’on voulait respecter à tout prix ! Je le dis d’autant que j’en ai connu plus d’un pour penser ainsi, il y a bien 30 ans, et que sans doute, j’hésitais alors, dans d’infinis palabres, entre étudiants ou enseignants, buvant notre thé à la menthe, à l’abri de nos foulards indiens… La crainte de jouer au donneur de leçon blanc hantait nos mentalités ; mais, c’était il y a longtemps… ; le monde a grandi !

Depuis, les femmes — elles, surtout —, mais aussi tant d’hommes, ont, en Afrique, « marché » et lutté, depuis plus longtemps qu’on ne le croit — l’après-guerre et la décolonisation par exemple. La Somalie du film reste encore farouchement « excisionniste », mais, ailleurs, ça bouge ! Au Kenya, l’ethnie « Meru » n’est-elle pas allée jusqu’à substituer « une excision par la parole » à l’opération ? (Cependant, contenu du discours à méditer, sans doute !).

Des femmes de 60 villages (Sénégal, Mali) viennent d’abolir l’excision, soutenues par l’Unicef ; une O.N.G. Tostan ») annonce que sur 5.000 communautés la pratiquant en Afrique de l’Ouest, en 1997, un tiers l’a abandonnée 10 ans plus tard. Une charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant suit son chemin, parallèlement aux progrès de la scolarisation des filles. J’ai vu, dans les classes, en effet, pas mal de « petites », dans mon périple en pays Dogon de cet hiver. Mais aussi, pensons à l’école pour les garçons eux-mêmes, qui sont légion à fréquenter des « non excisées » ; limite des fausses « bonnes nouvelles », l’excision étant souvent vue comme la garantie de la fidélité et une protection contre le Sida…

C’est là que j’en vois qui sourient à me lire, un peu condescendant : « Quelle naïveté ! Les institutions ! Les religieux ! Les textes ! » « Elle prend tout au pied de la lettre, elle fait confiance ! Tous ces leurres ! » et, de secouer la tête, un rien agacée. C’est peut-être, en effet, cette si longue fréquentation — par mon métier — des enfants ; mais, je crédite beaucoup — notamment — les signaux, les symboles, et là, ce n’est pas ce qui manque !

Une nouvelle génération se lève ; de l’espoir, donc ; elle est instruite, lectrice des grands textes universels — Convention des droits de l’enfant, en 1989, seulement ! Écrits posant la femme, ses droits, sa dignité. En miroir me vient la comparaison avec notre Déclaration des droits de l’homme de 1789, semée, partout dans l’Europe archaïque et enchaînée, par les armées napoléoniennes ; lu ; comme le principe « du droit des peuples à disposer d’eux- mêmes », qui a fait éclore le printemps de 1848 et les révoltes des nationalités… Qui « sème le grain récolte aussi la liberté » (encore en miroir dans la Déclaration Universelle de 1948).

Il y a fort à penser, donc, que l’excision sera peu à peu abandonnée par les Africains eux — mêmes, sous les pressions croisées et complexes des influences interrégionales, internationales aussi, des déplacements de plus en plus fréquents des Africains sous d’autres latitudes, des imprégnations, échanges, qui sont la face claire de la mondialisation, du tourisme solidaire et de tout l’humanitaire ; bref, de tout ce qui nous fait marcher vers l’« ensemble ». Et, s’il est vrai que la rapidité — parfois brutale, avec laquelle, nous, occidentaux, avons pu projeter nos points de vue pour régler leurs comptes aux traditions africaines — a été souvent contre-productive, il n’empêche que demeurer dans « la béatitude du Bobo. » peut l’être autant, sinon davantage.

Voulez-vous — qu’en guise de conclusion - on écoute Élisabeth Badinter, posant une problématique toute simple, et pourtant si riche : quand une tradition rencontre l’obstacle des droits universels de l’Homme, le chemin est-il le soutien de ce qui nous rassemble — tous et toutes — ou bien faut-il laisser la préséance aux particularismes — qui plus est — barbares ? Pour la petite fille malienne qui doit danser, folle de douleur après l’opération, mais aussi pour le jeune garçon, circoncis à 15 ans dans la grotte de Songho, dansant, lui aussi, en transes, sous l’effet de l’alcool et de la musique obsédante des percussions réservées à cet usage…, pour eux - et pour nous tous - le chemin est-il encore long ?

Par Martine L. Petauton, Voyageuse dans LE MONDE DU 06/04/2010

Transmis par Linsay


Mon propos s’est limité à l’Afrique, mais un excellent site — T AFRIK.COM — donne, à l’article « excision », des renseignements, notamment sur la situation en France (50.000 filles excisées).



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samedi 10 avril 2010 à 18h16 - par  maximeg
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