« Il faut vivre d’idéaux »

mardi 29 septembre 2009
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A l’occasion du très beau film « l’affaire Farewell » une interview de celui que ses amis appellent Kustu

Kustu, un surnom qui vous plait ?

Cela me va très bien.
Il y a aussi Kusta, si vous préférez.

Où est le T-shirt à l’effigie du Che que vous portez souvent ?

Je l’ai toujours, j’en ai un du Che et un autre de Youri Gagarine, mes idoles. C’est pour rendre hommage, d’une autre façon, à « l’autre partie du monde », très fragile, d’où je viens. Je me sens très fortement du côté de ceux qui ont vu leur chance de vivre une vie normale diminuer. Cela réveille en moi le sentiment de justice. Et puis tous les jeunes portent ce T-shirt. C’est ma manière de le rester !

Le CHE est il une idole de jeunesse ?

Oui, c’est le héros qui a accompagné ma construction. J’ai grandi avec l’idée qu’il ne faut jamais cesser de croire.

Vous en aviez d’autre ?

Jack Kerouac. Maradona, aussi , a été très important à une époque de ma vie. Mais ce n’est pas vraiment ce que l’on peut appeler une idole. Il a correspondu à un pic dans ma vision de l’Amérique.

Vous étiez vous aussi, footballeur, plus jeune…

J’ai eu du succès dans tout ce que j’ai fait, excepté en football. Quand on me demande si je suis musicien, acteur ou réalisateur, je réponds : je suis footballeur raté ! (Rires).

Aviez-vous des idoles venues d’Amérique ?

Marlon Brando. Je l’ai d’ailleurs rencontré plus tard, et nous avons passé du bon temps tous les deux. Gabriel Garcia Marquez réfléchissait à l’idée de faire un film, L’automne du patriarche, et nous voulions que ce soit avec Brando. J’ai adoré parler avec lui, il était fou, dans le sens positif du terme. C’était un homme charmant, sans doute le plus grand acteur de tous les temps, et la personne la plus intuitive que j’aie jamais rencontrée. Il était impressionnant dans son approche des gens, tellement passionné quand il racontait comment il avait été poursuivi par le FBI…Finalement je me suis construit avec des rebelles ! Il existe comme une chaîne de fraternité entre tous ces gens : Maradona, Brando, le Che…Ce sont des utopistes qui ont donné un sens à la vie des autres. Ils ont encouragé les gens à ne pas avoir peur du pouvoir.

Vous êtes très critique à l’encontre d’Hollywood. Plus jeune vous en rêviez ?

Autrefois, Hollywood était une terre d’idéalisme, abritait les meilleurs cameramen, acteurs, réalisateurs. Hollywood, c’était Capra. J’ai grandi avec. Aujourd’hui ce sont toujours les meilleurs, mais en marketing. Hollywood est une entreprise, un business qui produit de nombreuses stupidités.

Le cinéma français s’en sort il mieux ?

Il est de retour. Il va de mieux en mieux. Je pense à la Palme d’or 2008, Entre les murs, ou au Prophète de Jacques Audiard.

Vous jouez dans L’affaire Farewell de Christian Carion. Kustu dans un thriller français d’espionnage, c’est étonnant…

Je suis très curieux, et je trouve que le cinéma offre de nombreuses possibilités. Mais je n’avais pas vraiment exploré celle-ci. Mon grand avantage, c’est que je n’ai jamais rêvé d’être acteur. Parfois, dans la vie, ce que vous n’attendez pas arrive, sous la plus belle forme qui soit. Et puis c’est un bon film. Je ne m’attendais pas à ce qu’il le soit autant…

Vous avez également accepté pour l’intérêt du sujet…

Je ne connaissais rien à cette affaire Farewell. Ce que j’aimais beaucoup, dès la lecture du scénario, c’est ce traitement familial et intime des personnages. L’action, est, finalement, très liée aux détails de leur vie privée, ce qui est assez rare pour un film d’espionnage.

Dans le film, votre personnage ne change pas le monde, mais il contribue à le faire imploser… et vous ?

Moi, je l’affecte, dans un certain sens. Mais quand vous voyez le pouvoir de la pop music, avec la mort de Michael Jackson, vous comprenez comment est le monde actuel. Il reste entre les mains de ceux qui tiennent la télévision. Ce genre de médias gouverne le monde.

Vous étiez fan de Michael Jackson ?

Non, mon truc, c’est plutôt Lou Reed. Mais j’ai été choqué par la commémoration de sa mort retransmise à la télé. Cela ressemblait à un concert. Les gens chantaient, faisaient des blagues dignes de la cérémonie des Oscars ! Ce n’est pas, à mon avis, une façon de célébrer quelqu’un qui vous quitte. Mais leur problème était plutôt de savoir comment attirer le plus de spectateurs possible pour faire de l’argent. L’argent détruit le monde.

Vous êtes anticapitaliste ?

Le capitalisme fonctionne de manière triangulaire : profit, capital, guerre. La guerre en découle, et le pétrole joue, sans doute, le rôle le plus important. Mais mon plus gros problème avec le capitalisme, c’est le progrès. D’après moi, le progrès est un crime. Si vous voulez sauver la planète, vous devez le ralentir.

Le progrès scientifique sauve des vies…

Dans l’histoire du capitalisme, le progrès a toujours servi aux pays impérialistes, pas aux autres. Quand je dis à des journalistes à Cannes que 1,5 milliards de personnes dans le monde n’ont pas accès à l’eau potable, ils me disent d’arrêter mon dogmatisme. Ce n’est pas du dogmatisme, c’est la réalité. Tout le monde vit dans l’urgence, comment voulez vous ralentir quoi que ce soit. Nous vivons dans l’ère du « high-tech paganisme ».

Vous êtes pessimiste ?

Je suis un optimiste avec une vision sceptique de la vie. Mais je crois en de meilleurs lendemains. J’ai besoin de croire en la vie (son téléphone sonne). C’est ma fille, je dois répondre…

Quel genre de père êtes-vous ?

J’essaie d’être un bon père, je n’y arrive pas toujours, mais c’est mon intention. Et ce sont de bons enfants. Ma fille est en train de terminer l’écriture d’une pièce de théâtre, dans le cadre de ses études. Je pense qu’elle a une grande carrière devant elle. Elle m’appelle, me parle très souvent, nous sommes très proches. Mon fils aussi, il joue de la musique avec moi dans le No Smoking Orchestra. (Il réfléchit…) A ma mort, on me mettra dans un beau monument, dans mon village des Balkans. Mes enfants auront, avec ce mémorial, une forte présence de leur père.

C’est dans votre village que vous voulez finir vos jours ?

C’est cette image que je vois en tout cas.

Parlez nous de ce « village de la tempête de neige » que vous avez vous même bâti…

Je l’appelle aussi Küstendorf, pour parodier une ville allemande…Il est en Serbie, près de Mokra Gora, non loin de la frontière bosniaque. Nous sommes en train d’achever la construction d’une ferme en ce moment ; 25 vaches y seront élevées. Nous voulons nous autogérer, nous suffire à nous même, avec du lait, du fromage, de la viande, des légumes…Et c’est possible ! Nous y arrivons depuis quatre ans. Des centaines de personnes sont employées, gagnent de l’argent et cinquante cinq gamins y sont même nés ! On ne peut pas juste accepter la réalité, il faut vivre d’idéaux. C’est ma réponse au monde, ma façon d’être encore, en quelque sorte « 
communiste ».

Votre façon de faire de la politique…

J’y expérimente ma vision de la politique, mais je n’ai pas envie de la projeter plus loin. Je suis le manager général du parc national de Moka Gora. Contrôler les constructions, y interdire les buildings, c’est ma façon d’apporter ma pierre à la sauvegarde de la planète. La politique peut être très créative. En règles…Quand vous commencez à avoir des responsabilités politiques, vous devez utiliser l’armée, la police, la police secrète. Des choses éloignées de mon humanisme.

Votre idéalisme est comblé par l’arrivée d’Obama ?

Il ne peut rien accomplir de spectaculaire. Il doit lutter lui aussi contre le système…Mais j’espère, malgré tout, qu’il contribuera à nous construire un monde meilleur.

Est-ce qu’il y a un MacDo dans votre village ?

Ni MacDo ni Coca-Cola. Nous n’avons pas la recette !

Vous en avez déjà mangé ?

Cela m’arrive quand j’ai très, très faim. Je n’ai aucun problème idéologique, ce n’est pas de la bonne bouffe, c’est tout.

On vous parle très peu d’amour…Vous y croyez ?

Absolument. L’amour est une manière d’appréhender positivement la vie. Mais croire en l’amour suffit, cela signifie que l’architecture de votre vie est bien faite.

Vous vous êtes défini, plus jeune, comme quelqu’un de narcissique. C’est toujours vrai ?

J’ai grandi dans une région où les gens étaient pauvres, et la plupart d’entre eux devenaient des criminels. Un psychiatre m’a dit, que leur diagnostic, pour définir les criminels, était le narcissisme. C’est amusant, parce que je me trouve narcissique. Mais pas tout le temps. Je le suis quand je dois prendre une décision, faire un choix pour tourner une scène…

…ou pendant le Festival de Cannes…

(Rires.) Oui, voila, je le suis quand c’est nécessaire. Sinon, je suis le contraire du narcissique.

Dans L’affaire Farewell, votre personnage adore La mélancolie, de Léo Ferré. De quelle nature est la votre ?

Cela fait partie de ma nature profonde. Tous les gens de ma région des Balkans y sont enclins. Pas celle que chante Léo Ferré, une mélancolie plus asiatique qui vient de la Turquie. Je la sens comme une partie de mon corps, c’est chimique.

Propos recueillis par Olivier Boucreux pour TGV magazine



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