Lettre ouverte à nos amis irlandais

dimanche 13 septembre 2009
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Évidemment nous ne partageons pas tout de cet article et en particulier le couplet sur UE, une grande idée déviée, même s’il est exact que cet espace est aujourd’hui plus mortifère pour le droit social qu’il ne l’était au départ. Par contre nous partageons l’appel fait aux irlandais car leur vote peut remettre beaucoup de choses à plat et susciter l’espoir parmi les peuples européens.

Lourde responsabilité que celle de nos amis irlandais, qui auront bientôt la possibilité de faire ratifier ou d’enterrer définitivement le traité de Lisbonne par referendum.

Ceci nous ramène aux débats français lors de sa version précédente, lorsqu’il s’appelait Traité Constitutionnel Européen.

Militant pour le NON, j’avais été frappé, à l’époque, par les arguments pour le OUI de Michel Rocard, tranchant singulièrement, par son intelligence et son honnêteté intellectuelle, avec le discours des eurobéats.

On pourrait les résumer ainsi, sans trahir sa pensée : « Nous autres, socialistes, avons perdu la bataille ; Margaret Thatcher a gagné, et je fais partie des vaincus ; l’Europe ne sera qu’un marché unique ; il n’y aura jamais d’Europe politique, d’Europe sociale, d’Europe puissance ; du moins, dans cette jungle que sera cet espace livré aux seules lois du marché, essayons d’introduire, avec ce traité constitutionnel, quelques règles minimales de droit. »

Cependant, cette argumentation a quelque chose de paradoxal. En effet, dire que de toute façon on ne peut pas changer les choses alors même que pour une fois on consulte les citoyens à la base confine quand même au déni de démocratie, et renvoie en définitive une fois de plus à cette fameuse pensée unique qui nous présente la mondialisation marchande comme une donnée transcendante.

Ce discours relève, selon la classique distinction de Max Weber, de l’éthique de responsabilité, par opposition à l’éthique de conviction ; et il est vrai que l’exercice de la politique classique relève davantage de la première, qui oscille toujours entre une part de cynisme et une part de résignation. Or, face à l’impuissance des politiques, il appartient aux peuples de faire parfois irruption dans l’histoire, d’en bouleverser la donne, et de transformer leurs convictions en réalités incontournables.

Au-delà des slogans faussement enthousiasmants et mobilisateurs qui n’enthousiasment et ne mobilisent personne depuis longtemps, il faut admettre que le vote pour le OUI comme celui pour le NON relèvent tous deux d’un pari, mais il s’agit de deux paris très différents.

Le pari du OUI est un pari a minima, fondé sur l’espoir qu’il sera possible, dans une Europe aux frontières indéfinies (demain, la Turquie ; après-demain, l’Ukraine et la Géorgie ; plus tard, d’autres encore) vouée à une logique de libre-échange dérégulé, d’utiliser les quelques règles politiques du traité pour rendre ce libéralisme sauvage un peu moins inhumain, un peu mois invivable : c’est un pari aux ambitions modestes.

Le pari du NON table sur l’électrochoc que provoquerait la mort d’un traité considéré comme acquis sur des peuples résignés, en espérant qu’il déclencherait une remise en question de l’ Europe actuelle, bien différente de celle du projet initial du traité de Rome de 1957, qui créait un espace tarifairement protégé de six pays aux niveaux de développement, de salaires et de protection sociale comparables (sans possibilité de dumping social), respectant entre eux le principe de la « préférence européenne », construction que la mondialisation financière a fait voler en éclats ; la victoire du « non » pourrait jouer un rôle de déclencheur d’un processus de révision du traité de Nice, de la mission de la Banque centrale européenne, etc. : ce n’est pas une certitude, mais c’est une possibilité – donc, là aussi, un autre pari.

Les Irlandais, qui ont la possibilité historique d’enterrer définitivement l’Union Européenne du TCE/Traité de Lisbonne, sont donc dans une situation assez comparable à celle du pari de Pascal : s’ils prenaient le pari du OUI, peu de changements seraient à espérer, qu’il soit gagné ou perdu ; s’ils prenaient le pari du NON, peu de changements seraient également à attendre s’il venait à être perdu, c’est-à-dire si l’Europe restait dans son état léthargique actuel ; mais de grands espoirs s’ouvriraient s’il venait à être gagné en provoquant, chez tous les peuples européens, une prise de conscience de la possibilité de construire une autre Europe.

Dès lors, amis Irlandais, vous n’avez plus à hésiter : soyez gaulliens, et souvenez-vous que beaucoup de grandes choses ont commencé par la capacité de dire NON : « la dignité humaine, saisie dans le fait de dire Non à l’Histoire ». (André Malraux).

Par Elie Arié source Marianne2 du 12/09/2009

Transmis par Linsay



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