NJOMBE-PENJA : MISERE ET PEAUX DE BANANE

dimanche 1er février 2009
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La situation dans la zone de Njombe-Penja (au Cameroun) est préoccupante. Le coin, autrefois réputé pour la fertilité de ses sols, la richesse de son tissu économique ploie aujourd’hui sous le joug de la pauvreté. Pire, il est en passe de devenir un bastion de la pollution dans le paysage économique camerounais. Le « mérite » en revient à un géant industriel, la société des Plantations du Haut Penja, en abrégé PHP. Cette multinationale française se livre depuis le début des années 90 à la culture intensive de la banane dans la région. Après plus d’une décennie d’exploitation, le bilan de l’entreprise se chiffre en pollutions, malversations, exactions de toutes sortes... et profits juteux naturellement.

Une hydre. C’est le mot qui vient à l’esprit lorsqu’on examine les activités de la multinationale des Plantations du Haut Penja à Njombe. Un monstre à plusieurs têtes donc, tellement l’activité de cette entreprise produit des effets divers sur l’environnement et la population de la contrée.

« "De la pollution, encore de la pollution, toujours de la po ;llution, c’est tout cve que la PHP nous apporte !" s’indigne André Foka, planteur résidant de la cité. On le comprend aisément une fois que l’on a l’opportunité d’observer les aéronefs de la compagnie déverser des produits phytosanitaires. Ces substances sont déversées anarchiquement et en abondance, tant sur les plantations que sur la ville elle-même. La proximité entre les maisons d’habitation et les plantations de banane est telle qu’il ne peut en être autrement. A certains endroits, il n’y a pas deux mètres de distance entre les champs et les habitations, ce qui fait que les résidents subissent directement l’effet de l’épandage.

« Les activités de la PHP nous font beaucoup de tort. Ces avions d’épandage qui volent au ras des toits déversent massivement des produits phytosanitaires sur nos têtes. Après, nous avons mal aux yeux, l’eau est polluée, et les enfants sont malades. Ce que nous déplorons le plus c’est le fait qu’aucune mesure ne soit prise par ces gens-là pour nous protéger nous les habitants de la ville de ces produits », observe un habitant proche des plantations.

De plus, Njombe-Penja n’est pas la seule contrée touchée par l’étendue de cette pollution. Les déplacements d’air agissent comme moyen de transport de ces substances et de leurs remugles. Il en résulte que dans la ville et tout autour, l’air est pollué, difficile à respirer.

A l’appui de cette opinion, on peut relever le nombre de maladies broncho-pulmonaires en hausse dans la ville. Bien que les structures de santé ne soient pas en mesure de fournir des données chiffrées, les témoignages des habitants laissent entendre que les déversements abusifs de produits sont la cause de troubles pulmonaires, repérables notamment chez les travailleurs du secteur en question.

En somme, la PHP, par ses activités, empoisonne l’air, l’eau et la terre de Njombe-Penja. D’où le cri du cœur des villageois, qui affirment en avoir assez de subir les affres de la pollution. Vivement que leurs plaintes soient entendues des pouvoirs publics, et qu’il soit mis fin à cette torture.

L’ogre terrien

Et dire que l’on croyait que le désir effréné de posséder des terres était un trait spécifiquement africain. Les Occidentaux qui dirigent la PHP de Njombe-Penja pourraient aisément en remontrer à n’importe qui en ce domaine. Lorsqu’il est question de s’approprier la terre, ils semblent croire que tout est permis. Des tentatives de corruption aux menaces en passant par les destructions de cultures, tous les moyens sont bons, pourvu qu’ils soient efficaces. Et les planteurs ? direz-vous. Eh bien, ils subissent !

Lorsque le stratège chinois Sun Tsu mettait au point ses théories sur l’art de la guerre, il ne se doutait certainement pas de l’usage qu’en feraient les planteurs de Njombe. Confrontés à une nouvelle tentative d’expansion du géant bananier, ils se sont rués sur les équipes techniques et les ont roués de coups. Le comble dans l’affaire est que cette manœuvre fut couronnée de succès. Les héros de cette équipée sont jusqu’aujourd’hui maîtres de leurs lopins de terre. Un exemple considéré comme à suivre par les jeunes désœuvrés de la communauté.

"Pollution Inc." : telle pourrait être la nouvelle raison sociale de la PHP. C’est du moins celle que lui donne la classe jeune et branchée de la ville. Tant à l’observation il semble difficile de trouver un seul secteur d’activité de cette entreprise qui ne soit pas polluant, nuisible, nocif. Plus une source d’eau potable, l’air irrespirable après les opérations d’épandage, la terre qui est infectée. Autant de raisons pour lesquelles les résidents de la ville sont si malades. Et ce n’est pas Merlin, hospitalisé pour avoir consommé un ananas de mauvaise qualité, qui dira le contraire.

« Buba », un label de pauvreté

Buba est un petit village qui jouxte les plantations de la PHP et en abrite même une partie. C’est sous la dénomination bananes de « Buba » qu’elles sont d’ailleurs commercialisées. Pourtant à Buba, ce sont les salles de séjour des domiciles particuliers qui abritent les structures sanitaires. Et le futur CES du village pourrait bien suivre la même voie. Imaginez les professeurs faisant cours du fond des canapés, ou encore la fumée le disputant aux notions de mathématiques dans l’esprit des élèves. Les pauvres !

"Il y a une dizaine d’années, je possédais une grande plantation dans laquelle travaillaient une dizaine de manoeuvres. Grâce à la PHP, je ne suis plus en mesure d’envoyer mes enfants à l’école" : cet aveu est d’Etienne Ngatcha, ex-élite de la contrée. En raison des visées expansionnistes de la compagnie, de nombreuses plantations villageoises ont été détruites et les cultures avec. Pourquoi ? Comment ?

Tout a commencé le 18 octobre 1993, avec l’obtention par la société bananière d’un bail emphytéotique d’une durée de vingt-cinq ans sur des terres situées dans la commune de Njombe-Penja. Dans l’optique de la mise en valeur de ces espaces, une politique de déguerpissement a été mise sur pied. Il en a résulté la destruction de cultures des communautés villageoises qui occupaient précédemment les terres en question. Il en résulte que les planteurs ainsi privés de leurs sources de revenus ont sombré dans la misère, entraînant avec eux le reste de la contrée, qui visiblement se morfond dans un marasme économique profond. Les effets d’une telle situation sont perceptibles à tous les niveaux.

« J’ai quatre enfants en âge scolaire qui ne vont plus à l’école parce que je n’ai plus les moyens de payer" renchérit André Foka, autre planteur victime des engins de la PHP. Il n’est pas le seul dans ce cas. La rareté des terres cultivables dans la ville a non seulement amené le démon de la paupérisation, mais comme effet collatéral la cherté de la vie. « Imaginez-vous des populations sans revenus, confrontées à une inflation galopante, ajoutez-y une absence totale de persoective et vous aurez une idée à peu près exacte de la situation"(Paroles de Denis Tientcheu, un jeune résident désœuvré).

Pendant ce temps, que fait le principal auteur d’un tel état de fait ? La société embauche. Elle embauche même à tour de bras. Il faut admettre que cette main-d’œuvre bon marché est une aubaine pour tout industriel digne de ce nom. Pourtant, les travailleurs ne s’en sortent pas malgré tout. La faute en revient aux salaires de misère versés par la compagnie, à la précarité qui y caractérise l’emploi, à la mauvaise volonté de ses dirigeants qui restent sourds à toutes les doléances. « A Njombe, l’homme n’est considéré que comme un moyen, c’est le bannier qui est la fin", énonce doctement Bangmen Dieudonné, ex-employé de la PHP. Tant il paraît évident que tout est fait pour que l’entreprise soit florissante, tandis que le traitement des employés reste minable. « Une masse salariale qui ooscille entre 20 et 27 000 francs CFA pour dix heures de travail quotidien, telle est notre réalité", conclut Narcisse, un employé.

Il est plus que temps d’agir. Les habitants de Njombe-Penja sont sur une pente glissante. Si tant est que cette expression suffit à définir une situation où l’accès aux services de base tels que l’éducation et la santé devient presque impossible.

Une journée à travers champs : récit d’une journée dans la zone de culture bananière de Njombé-Penja

Il est 5h 30 du matin et Njombe-Penja est encore plongée dans la pénombre. Pourtant, il faut se lever. C’est l’heure à laquelle passent les véhicules de ramassage de la société des Plantations du Haut Penja, qui détient le monopole de la culture de la banane dans la région. En dépit du froid très vif du petit matin, des ombres convergent vers le même endroit, l’hôpital catholique de la cité. C’est le point de rencontre.

Vêtus de leur bleu de travail, des ouvriers, en majorité des jeunes, attendent le passage du tracteur qui les conduira sur le lieu du labeur. 5 h 45. Le tracteur est là. Il traîne derrière lui une sorte de plate-forme montée sur roues, c’est elle qui servira au transport proprement dit. La mine sombre, le visage encore renfrogné, les travailleurs s’installent et nous voilà partis. Peu à peu, les cahots et les coups de fouet réveillent les hommes. Et du coup, les langues se délient. Des potins sont échangés, principalement à propos de football, et des astuces à propos des méthodes de culture. Mais cela ne dure pas, car nous voilà bientôt dans la plantation. Les ouvriers sont déposés dans leur zone de travail respective, et tout un chacun doit vaquer à sa tâche.

Jules travaille pour la compagnie en qualité de manœuvre. Cela signifie que l’essentiel de son travail consiste à nettoyer les troncs de bananier, et aider à la récolte. Armé de sa machette, de bonne qualité (« C’est une Martindale 202, elle pourrait couper n’importe quoi !",clame-t-il fièrement), il s’escrime sur les troncs. Ses mains calleuses, ses muscles saillants et son habileté manifeste disent assez à quel point il est rompu à cette activité. « Ça fait un an et demi que je travaille ici, dix heures par jour", précise-t-il. Et ils sont nombreux à travailler ainsi. Le temps s’écoule rapidement, et il est bientôt midi. C’est le moment de prendre une pause, pour déjeuner rapidement sur le pouce.

Les ouvriers convergent vers une zone de stationnement, ayant tantôt un ananas glané dans les champs de la compagnie, tantôt des restes du repas pris à la maison la veille. Malgré l’ambiance plutôt détendue, il convient de ne pas s’attarder trop longtemps, car les surveillants armés de leurs fiches de pointage veillent. Et malheur à ceux qui se feront prendre à flemmarder. Bientôt les bruits de voix s’éteignent, signe que le travail a repris ses droits. Il en sera ainsi jusqu’à 15 h, heure à laquelle, après avoir signé leurs fiche de pointage, les employés seront libres de retourner chez eux. Le travail est dur. Quant à la paie…

Eric Manyacka
Source : Bubinga


Pour la défense des droits de ces paysans du Cameroun, un collectif se met en place à Marseille. Pour le rejoindre contacter Survie13 Tél : 04 91 62 78 24 ou 06 27 65 14 81e-mail : emmanuel.semanou@wanadoo.fr



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dimanche 7 août 2011 à 13h13 - par  sir negryon

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