SNCM : la lutte continue !

Campagne vive les services publics
lundi 9 janvier 2006
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Interview de Stéphanie HENRIC, femme marin et syndicaliste, animatrice, avec une belle énergie, pendant la grève d’un collectif de femmes salariées ou femme de marin de la SNCM

Rouge Midi : Depuis plus de 10 ans, dans l’ensemble du secteur public, le critère de rentabilité a peu à peu pris le pas sur l’objectif d’efficacité sociale qui prévalait à la mise en place des services publics à la Libération. Comment cela s’est-il traduit dans ton secteur d’activité ?

Stéphanie : Je veux d’abord rappeler quelques éléments.
Le service public pour assurer les liaisons maritimes Continent Corse est né en 1976. Ce fut un acte républicain fondé sur la solidarité nationale avec la volonté politique d’assurer la continuité du territoire frappé par le handicap insulaire.
Il faut noter que service public a été créé à l’issue des luttes des populations et des salariés dûes à l’incurie des armateurs privés.

RM : C’est un élément souvent ignoré ou caché par ceux qui vantent lés mérites de la privatisation...

Stéphanie :Tout à fait pourtant notre entreprise de service public S.N.C.M. est mise à mal depuis une dizaine d’années et son démantèlement a été organisé par les libéraux. Quelques dates :

1992 : application de la loi JOXE qui dans un statut particulier donne autorité et compétence à la collectivité territoriale corse de se substituer à l’Etat pour définir ses besoins en matière de transport, de gérer et répartir aux compagnies concessionnaires et aux différents modes de transport (maritime, aérien) une enveloppe dite de continuité territoriale qui est à ce jour de 168 millions d’euros.

1996 : libéralisation du cabotage international, écrémage du service public aux périodes les plus juteuses.

2001 : fin de la concession de service public maritime attribuée à la S.N.C.M. et la C.M.N., ouverture à la concurrence avec la mise en place d’une D.S.P.(délégation de service public) à minima sur Marseille (car ferries uniquement présents en période de vacances), création de l’O.S.P.(obligation de service public) au départ de Toulon et Nice permettant d’instaurer une concurrence déloyale (pas de cahier des charges et d’obligation en matière de transparence financière : Loi Sapin), norme sociale différente du droit français (application de la directive Bolkestein avant l’heure). Cet ensemble de mesures a permis la mise en place à la fois d’une O.S.P. très peu contraignante au départ de Toulon, Nice, pour Corsica Ferries et d’une D.S.P. très contraignante, elle, sur Marseille pour la S.N.C.M.

Comble de tout, cette concurrence déloyale qui pratique le dumping social est financée par l’aide sociale au passager transporté prélevé sur l’enveloppe de continuité territoriale (10 millions d’euros en 2004) pour la Corsica Ferries.

Non seulement on finance la concurrence avec l’argent public mais en plus on déroge aux dispositions bruxelloises de l’aide aux passagers transportés en principe attribuée exclusivement aux passagers et non aux armateurs.

De ce fait, ce sont bien les choix effectués au nom de la libre concurrence et du marché qui mettent en danger la S.N.C.M. dans l’exercice de ses missions de service public qu’il faut régler et non pas un problème de trésorerie dans l’urgence.

A toutes ces démarches libérales visant à casser le service public maritime entre Corse et Continent il faut rajouter le R.I.F., le Bolkestein des mers.

Le R.I.F. autorise les armateurs à embarquer 75 % des marins des pays du tiers monde à bas salaire, les 25 % restants seront issus des pays européens aux conditions de leur pays d’origine. C’est la porte ouverte à la casse de l’emploi et des statuts.

Rouge Midi : Quelles conséquences pour le service rendu, peut-on encore parler aujourd’hui de service public garant de l’égalité d’accès à un droit fondamental ?

Stéphanie : Les conséquences de ce scénario rédigé par le gouvernement dans la ligné de cette Europe libérale serait dramatique sur le plan économique et social :

- Déréglementation du transport maritime sur les dessertes de la Corse et du Maghreb
- Séisme social pour les régions Corse et P.A.C.A. déjà sinistrées avec au bas mot 4 000 emplois directs et indirects induits par la S.N.C.M.

Le leitmotiv de rentabilité des armateurs privés tirerait la sécurité, les armements des navires vers le bas avec des risques écologiques.
Tu sais pour nous l’efficacité d’une entreprise publique nationale ne se juge pas uniquement sur ses propres résultats de gestion mais aussi sur le développement économique et social qu’elle permet de dégager dans une économie régionale.

De plus, pratique déjà le pavillon de second registre ( assimilé R.I.F.), sur ses navires avec toutes les conséquences que je t’ai dites sur les marins français et étrangers.
Elle propose aujourd’hui des tarifs attractifs car elle pratique une concurrence déloyale et met en difficulté la S.N.C.M. qui assure le service public aux périodes les moins rentables.

La notion de concurrence loyale et maîtrisée est un leurre qui ne résiste pas à la logique du marché qui exige une rentabilité financière au mépris des usagers, de l’emploi et du respect de l’environnement.
Le conflit que la C.G.T. a mené avec les salariés de la S.N.C.M. était basé sur d’autres valeurs.

Ce conflit est parti d’un scandale politico-financier. En effet, la privatisation de la S.N.C.M. (annoncée par les médias) que le gouvernement présente comme une fatalité économique et sociale en se retranchant derrière des textes européens inexistants va dans la continuité de leur politique ultra-libérale qui est de privatiser tous nos services publics en favorisant les requins de la finance au détriment du contribuable et de l’intérêt général.
(Voir sur ce sujet les explications contenues dans l’article SNCM quelques repères)

La C.G.T. avait publié une contre proposition qui coûtait beaucoup moins cher aux contribuables et qui permettait à la S.N.C.M. de rester dans le giron public (voir la Marseillaise du 11 octobre).

R.M : Le statut et les conditions de travail du personnel ont-ils été affectés par cette transformation radicale de la nature de l’entreprise ?

Stéphanie : On peut dire que la présence d’une CGT forte dans l’entreprise et nos luttes ont limité les dégats sur ce point. Pour autant depuis 2001 la S.N.C.M. doit affronter une situation nouvelle. Le contrat de service public se limite uniquement aux lignes au départ de Marseille. La rémunération du contrat de service public est elle aussi réduite, la baisse est de plus de 23 millions d’euros par an, passant de 86, 5 millions d’euros à 63,1 millions et ce dans un contexte concurrentiel de plus en plus fort. La conséquence est que la SNCM a réduit sa flotte de 13 à 11 unités, et comme d’habitude les retombées se font sur les salariés en passant de 2430 à 2130 en deux ans.

Le Danielle Casanova

Tout récemment la vente d’un nouveau bateau rapide l’ASCO réduit encore la flotte à 10 bateaux.
La compagnie a aussi vendu une filiale Sud Cargo qui représentait un atout pour l’entreprise pour son développement sur le Maghreb surtout après le référendum voté en Algérie. Il faut préciser que Sud Cargo était toujours bénéficiaire et que bizarrement on est dans l’incapacité de dire aux salariés à combien les parts de Sud Cargo ont été vendues. Le service transit de la S.N.C.M. est directement touché par cette vente et nous pousse à craindre le pire pour ce service.

Ce qui est le plus difficile dans cette entreprise c’est que les salariés voient, peu à peu leur entreprise mise à mal intentionnellement pour la livrer aux mains du privé en remettant la faute sur eux alors que cette situation est voulue par les libéraux pour encore faire du service public un marché et non pas un acte républicain pour l’intérêt général.

Je voudrais dire aussi que les salariés de la S.N.C.M., depuis une dizaine d’années subissent des attaques permanentes de tous bords sous prétexte de l’Europe, de la rentabilité, du libéralisme, la notion de service public est complètement abandonnée face à ce constat l’ambiance dans l’entreprise est en permanence difficile, mais les salariés sont réalistes et sont conscients qu’il faut se battre contre ces magouilles politico financières au détriment de l’intérêt général à des fins strictement d’intérêt particulier. Le conflit de septembre en est le reflet. Ce conflit mené avec lucidité et exemplarité le confirme.

R.M. : Quel contenu donnerais-tu à la notion de « service public digne de notre temps » ? :

Stéphanie:Dans le cadre de la S.N.C.M. qui malheureusement dans quelques mois sera privatisée à 66 %, l’Etat qui jusque là était actionnaire majoritaire aurait dû assumer sa responsabilité politique et financière pour permettre à la S.N.C.M. de continuer de moderniser sa flotte sur le service public (sans obliger ses salariés à faire grève en 1998) et de se développer sur le réseau international et les produits maritimes afin de pérenniser l’entreprise et développer les emplois.

Sur le plan politique les élus nationaux qui ont à charge l’utilisation et le montant versé par le contribuable à l’Assemblée de Corse dans le cadre de la solidarité nationale afin qu’elle détermine et organise ses besoins en matière de transport ont clairement dévoyé l’argent public au détriment de l’intérêt général.

La situation actuelle permet clairement de constater qu’après une situation de 25 ans de monopole de service public créé -je le rappelle- suite l’incurie des compagnies privées , ce choix politique a fait la démonstration de sa réussite en matière de développement économique et social pour les régions concernées et dans le respect de l’environnement.
Pour preuve les chiffres de l’O.R.T.C.édités en pleine période de concurrence et de plan social de la S.N.C.M. :

-  En 2003 : plus de 1000 salariés résidant en Corse ont bénéficié d’un contrat de travail avec la S.N.C.M. ou la C.M.N. soit 730 emplois temps plein, pour une masse salariale de 27 millions d’euros.

-  26,7 millions d’euros d’achats réalisés en Corse auprès de 150 entreprises insulaires fournisseurs des compagnies.

-  1200 emplois indirects générés dans l’économie de l’Ile soit au total 2200 emplois

-  le total des retombées économiques s’élève à 70 millions d’euros injectés dans l’économie Corse (personnels, achats, impôts et taxes), soit près de 75 % du montant perçu par les compagnies au titre des compensations des obligations de service public.

Source ORTC : Observatoire Régional des Transports de la Corse, site : www.ortc.info

Chiffres auxquels il convient d’ajouter les retombées générées sur le Port de Marseille et les activités induites en région P.A.C.A. et au-delà, soit au bas mot 4 000 emplois directs ou indirects.

Depuis 2001, la concurrence institutionnalisée par les responsables politiques, de surcroît financée à hauteur de 65 % des passagers transportés sans aucune équivalence en terme d’emplois et de retombées économiques pérennes (hors périodes de pointe) pour les régions concernées (achat, emplois, réparations, entretiens, etc...). Comble de tout, cette compagnie privée Corsica Ferries a été condamnée pour dégazage sur 20 kms dans une zone écologique protégée au large du Cap Corse.

Ce constat au bout de 5 ans, seulement de concession, avec la mise en péril de la compagnie nationale S.N.C.M. nous fait dire que le service public ne peut être mis en concurrence et qu’il doit être financé à 100 % public, car sinon, se pose inévitablement la question de rentabilité et de bénéfice pour des intérêts particuliers, au lieu que chaque euro serve à la qualité de vie des populations, à l’emploi et au respect de l’environnement.

C’est donc bien les citoyens et les partenaires sociaux qui doivent décider de quel service public ils ont besoin, qu’ils participent à la vie de l’entreprise avec de nouveaux conseils d’administrations ou d’autres structures mais que celles-ci soient démocratiques et qu’elles permettent une maison de verre intègre.

Que ces usagers qui payent le service public avec leurs impôts soient force de propositions en matière de tarifs, de moyens et de dessertes afin que le service public soit un véritable service d’intérêt national et non pas un marché.

manif du 4 octobre 2005

R.M. un bilan ?.. (voir à ce sujet en pièce jointe le document édité fin décembre par la CGT)

Stéphanie :le bilan du conflit nous laisse un goût amer car la menace du depot de bilan nous a obligés à reprendre le travail même si nous savions très bien que nous avions raison. Surtout sur le fait que seule une entreprise publique peut remplir une mission de service public car lorsque celui ci est rempli par une entreprise privée il y a forcement la notion de rentabilite et de profit qui prime. Je sais tu vas dire que j’insiste lourdement mais derrière c’est tout un choix de société qui est posé.

Même si le privé arrive en nous faisant de jolies promesses pour les mois a venir ( pas de plan social , nouvelles lignes sur le Maghreb....) il n’est toujours pas là et nous on lâchera pas au niveau du RIF et sur l’échéance du nouvel appel d’offres fin 2006.

Malgré tout on peut être fier de nous car grâce a ce conflit on n’a pas été privatisés à 100% et on est en bonne voie pour l exclusion du RIF en Méditerrannée (l’article 18 bis vient de passer au Sénat). Vu à quelle vitesse va le gouvernement pour privatiser et faire passer ses reformes sans tenir compte du référendum et du 4 octobre on peut être fiers de nous d’avoir tenu bon malheureusement comme nous sommes des salariés responsables on a repris le travail , car le dépôt de bilan ne nous laissait pas vraiment le choix.

Il vaut mieux pouvoir continuer de se battre dans une entreprise qui existe encore et que ces futures batailles puissent se mener en osmose avec d’autres entreprises de service public, il n’y a que comme cela selon moi que l’on pourra faire reculer ce gouvernement ultra libéral.



Documents joints

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