Gordon Brown : Quand on n’a que Labour.

mercredi 29 octobre 2008
popularité : 3%

Le bien triste successeur de Tony Blair, qui, en un an, avait amené son parti au plus bas, est aujourd’hui comme requinqué par la crise. Gare aux « sub-déprimes » !.

La France avait déjà connu son « homme-qui- rit-dans-les-cimetières » (le président du Conseil Poincaré dans les années 20) ; la Grande-Bretagne tient maintenant son Premier ministre (travailliste) qui « sourit-dans-la-grande-crise-financière » :

Gordon Brown, 58 ans, ex-superministre des Finances et successeur de Tony Blair au 10 Downing Street depuis la fin juin 2007.

Une révolution : cet austérissime fils de pasteur écossais n’avait plus esquissé le moindre rictus avenant depuis des décennies, souligne, entre autres titres, l’hebdo de gauche « The Observer ».

Encore quelques krachs et Brown, naguère dit le « Rottweiler », se tord de rire par terre.

Non que les malheurs de banquiers réjouissent ce grand défenseur des « libres marchés ».

Si la crise a dopé Gordon Brown, c’est d’abord qu’il lui a trouvé une parade, dont la poursuite du marasme boursier ralentira peut-être d’ailleurs les effets.

Un paradoxe total, au fond : Gordon, qui ne croit qu’à la livre sterling (et au dollar), est l’auteur du grand plan de sauvetage bancaire que les dirigeants de la zone euro ont recopié puis adopté le dimanche 12/10 à Paris. Longuement consulté par ceux-ci, Brown n’a, bien sûr, pas pu participer ensuite à leurs réunions internes.

Le plan lui-même est en trois volets : « injection de liquidités sur les marchés », « garantie des prêts inter-bancaires par les Etats » et « recapitalisation des banques » par les mêmes.

Dans son propre pays, Gordon, changeant littéralement de cap, est à vrai dire en passe de nationaliser de fait les plus grands établissements financiers du Royaume.

Bien mieux que ce gribouille de Paulson.

Du coup, la popularité du Premier britannique est remontée en flèche.

Il était temps : elle allait bientôt atteindre un score négatif.

Quelques dizaines de pontes du parti travailliste complotaient ouvertement pour déboulonner le chef du gouvernement.
Pas un journal qui ne le comparait, c’est aimable, à son prédécesseur le pathétique Neville Chamberlain, le signataire des accords de Munich (1938).

Le Labour encaisse veste sur veste électorale : il perd notamment Londres aux municipales du 1er mai, et cet été arrive même en cinquième position (3% des voix !) derrière les Verts et l’extrême-droite à une législative partielle.

« Gordon Brown est venu sur la Terre pour prouver à quel point Tony Blair avait du talent », ironise un lord travailliste.

Les cents premiers jours du nouveau et très autoritaire Premier ministre avaient pourtant été heureux.

« Une lune de miel » (en français dans tous les journaux du pays) qu’il gâche en renonçant, après les avoir annoncées, à des législatives anticipées.

Aussitôt, il en paraît moins fiable...

Tout s’embrouille ensuite : les Impôts égarent les coordonnées informatiques de millions de contribuables ; le parti est à nouveau secoué par une histoire de financement occulte ; Brown se met à dos les anti-européens en se ralliant finalement au traité simplifié de Lisbonne, mais il irrite les pro-UE en simulant - devant les caméras- une signature à contre-cœur de ce texte [1] ; il barbe tout le monde avec d’interminables tirades sur la nécessité de réformer le FMI et l’ONU, et se fend même à l’occasion d’un écart à la Le Pen : il faut « des emplois britanniques pour des travailleurs britanniques » !

« On est passé de Staline à Mr. Bean », se gausse cette fois le chef des centristes, les libéraux-démocrates. « Je ne suis pas entré en politique pour être toujours populaire », riposte Brown.

Enfin une réussite.

Qu’il reste encore à améliorer.

Aujourd’hui, c’est vrai, Gordon a aussi quelques atouts politiques pour lui.

Aucun trublion de son parti ne tentera de l’enfoncer, aussi longtemps que durera la période la plus aiguë de la crise.

Trop dangereux de risquer de provoquer des élections anticipées.

Pour resserrer les liens du parti, Brown a d’ailleurs rappelé au gouvernement - un gouvernement remanié - son ennemi le plus intime, le très blairiste commissaire européen au Commerce Peter Mandelson,un garçon discuté aussi pour ses liens avec les milieux d’affaires [2]

Calme encore sur le front de l’opposition. En pointe dans les sondages, les stories, menés par le sémillant David Cameron, n’ont pas plus d’intérêt, en ces temps troublés, à devancer les prochaines échéances (début 2010).

La suite sera plus aléatoire.

Indubitable : dès la fin de l’année dernière, le Premier ministre a fait de « la crise mondiale du crédit la priorité de 2008 ».

Pas acquis que cette bonne action lui soit comptée au paradis des électeurs : aux Finances, il a si peu fait pour contrarier la City !.

Il le répétait encore en septembre à des syndicats irrités : « Nous sommes un gouvernement pro-business ».

Inéluctable retour du bâton :« Le gouvernement pro-business » en était, en fin de semaine, à étudier les moyens d’empêcher des expulsions massives de petits propriétaires ruinés...

« Au final, super-Gordon, aura peut-être moins de mal à sauver le monde qu’à sauver son propre boulot », rigole de son côté le « Financial Times » (18/10).

Bah, le désormais souriant « Rottweiller », qui connaît la musique, l’a souvent répété aussi :

« Toutes les chansons écossaises sont des chansons tristes »...

Par Patrice Lestrohan, dans Le Canard enchaîné du 22/10/2008

Transmis par Linsay


[1Il arrive même ostensiblement en retard à la cérémonie de ratification.

[2Liens étroits : le dernier « Sunday Times » (19/10) recense ainsi tous ses potes milliardaires (dont Mittal) . Et les heureuses vacances passées à leur côté.



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