Acre, la ville sans pardon

mardi 14 octobre 2008
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Les affrontements entre Juifs et Arabes israéliens se multiplient à Saint-Jean-d’Acre, ville portuaire du nord d’Israël, depuis la fête juive du Yom Kippour (Grand Pardon) . Plusieurs députés arabes israéliens sont intervenus à la Knesset pour demander que cessent les attaques contre la communauté arabe de la ville. De son côté, le Département des relations internationales et régionales de l’OLP affirme que la police israélienne pratique une politique raciste et encourage la violence en relâchant les manifestants juifs et en maintenant les Arabes en détention. Il rappelle en outre que les citoyens arabes d’Acre (et d’Israël en général) ont un statut de citoyens de deuxième zone dans un Etat qui s’affirme « démocratique ».

Un article de Gidéon Lévy, pour le journal israélien Haaretz, publié en français le 14 octobre dans le Courrier International, nous donne une idée de l’ambiance qui règne à Saint-Jean-D’Acre.

"Il a fallu qu’un automobiliste arabe circule bruyamment le jour du Grand Pardon pour qu’éclate l’émeute. Des débordements qui illustrent les tensions accumulées depuis plusieurs mois.

"Virez tous les Arabes !" lance une jeune femme originaire du Caucase, foulard sur la tête et bébé dans les bras, derrière sa fenêtre barricadée. Ses voisins arabes, les Samari, viennent de déménager provisoirement, fuyant les jets de pierres contre leur appartement. Mais la jeune femme continue de hurler : "Ils doivent foutre le camp. Ils prennent nos filles !" Nous sommes le samedi 11 octobre, au 18 de la rue Burla, à Acre, dans un de ces immeubles sociaux scandaleusement négligés et où 3 familles arabes [1] cohabitent avec 29 familles juives. A quelques minutes de là, la vieille ville est un autre monde. Dans ce quartier magnifique mais délaissé, les gens pleurent l’annulation par le maire centriste Shimon Lancry du Festival de théâtre d’Acre et parlent encore de paix et de coexistence.

Acre s’est enflammée en une seconde. Des pauvres ont affronté d’autres pauvres, Juifs ou Arabes, chauffés à blanc par le contexte explosif de Yom Kippour. Alors qu’elle a tous les atouts pour être l’une des plus belles attractions touristiques d’Israël, elle est la ville la plus pauvre du pays. Acre la binationale vit sur un volcan, un volcan de nationalisme et de désespoir, de peur et de haine.

Si le HLM de la rue Burla est sous tension, la vieille ville vit, elle, dans la tristesse. Tout ce qui reste du festival, ce sont des salles désertées. Pour les équipes techniques occupées à démonter les scènes, c’est un scandale d’annuler l’événement culturel le plus important d’Acre "à cause de 100 ou 200 « cinglés ». Certains rêvent même d’un festival de réconciliation. "Après une dispute avec votre femme, vous la retrouvez au lit, non ?" explique de façon imagée Khalil Asfari, l’un des responsables de la manifestation.

Munir Abu Al-Tayir, un vendeur de jus de grenade, en a vendu deux verres en tout et pour tout. Près d’une baraque de falafels, un jeune Arabe réagit quand certains disent que les émeutes juives ont été provoquées par un automobiliste arabe qui écoutait à fond de la musique pendant le Yom Kippour. Il rétorque que, pendant le ramadan, les Juifs froissent bien la sensibilité arabe en buvant de la bière, sans que cela ne déclenche des émeutes. Tous voient dans la décision du maire une manière de punir les Arabes qui vivent de cet événement.

Même le Shawarma Shalom, un des snacks les plus courus d’Acre, est désert. F., un habitant arabe de la rue juive Kibboutz Galouyot, a fui sa maison avec sa femme et ses enfants. Il craint maintenant qu’elle ne soit incendiée. Salim Najami, un conseiller municipal arabe, dénonce les extrémistes, qu’ils soient juifs ou arabes. Daoud Haleileh, directeur d’une ONG arabe, accuse la police de "couvrir les Juifs". Le vieux communiste Salim Atrash explique que, après le désengagement (des colonies juives) de Gaza en août 2005, une école religieuse d’extrémistes nationalistes a été réimplantée à Acre, ce qui a suscité la colère. Il me montre un message ayant circulé sur Internet : "N’achetez plus rien aux Arabes. Ne respectez ni leurs fêtes ni leurs lieux sacrés. Quant à vous, Arabes d’Acre, retournez dans vos villages." Le texte se conclut sur le vers suivant : "Yehudi hou ben melekh, Aravi hou ben kelev." [Un Juif est un fils de roi, un Arabe est un fils de chien]. Bienvenue en petite Bosnie."

Gidéon Lévy
Haaretz


[1les Arabes d’Israël sont les Palestiniens qui n’ont pas fui les percécution en 1948



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