Quand Hamid Karzaï fait de l’oeil au mollah Omar

jeudi 2 octobre 2008
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Tirant le bilan de sept ans d’occupation de l’Afghanistan par les troupes de la coalition, Sherard Cowper-Coles, ambassadeur du Royaume-Uni en Afghanistan, a déclaré selon le Times de Londres que « la campagne contre les insurgés talibans [allait] échouer et que la meilleure chose à faire [était] d’installer un dictateur acceptable à Kaboul ». Dans L’Humanité, Pierre Barbancey apporte quelques explications qui rendent la chose crédible...

Le président afghan lance un appel au chef des taliban et demande l’aide de l’Arabie saoudite. L’année a été très meurtrière pour les soldats des forces internationales.
Le président afghan, Hamid Karzaï, prend-il ses distances avec les forces occidentales de qui il tient en réalité son poste, ou bien ses récentes déclarations révèlent-elles les avancées d’une stratégie élaborée à Washington et qu’il est chargé de diffuser petit à petit dans un contexte de violence réactivée ? Après seulement neuf mois, l’année 2008 se révèle en effet la plus meurtrière depuis la chute du régime des taliban, fin 2001, pour les soldats des forces internationales en Afghanistan, qui n’ont pourtant jamais été aussi nombreux. On a également appris que l’embuscade qui a coûté la vie à dix soldats français était le fait des hommes de Gulbuddin Hekmatyar, militant islamique, ancien protégé du Pakistan et des États-Unis, qui lui ont abondamment fourni argent et matériel lors de la lutte contre les Soviétiques.

Reconsidérer l’occupation étrangère

Dans un message diffusé sur Internet, hier, le mollah Omar, considéré comme le chef des taliban et toujours introuvable, a demandé aux forces étrangères de reconsidérer leur « occupation injuste issue d’une décision erronée » et de rechercher « une porte de sortie sûre en retirant leurs forces » d’Afghanistan. « Si vous quittez notre terre, nous pouvons organiser raisonnablement votre départ », propose-t-il, assurant que les taliban n’auraient alors aucune intention de s’en prendre à quiconque en dehors d’Afghanistan. Si l’occupation se poursuit, ajoute le mollah Omar, « vous serez vaincus partout dans le monde (…), à l’instar de l’ex-Union soviétique ».

Tout juste quelques heures plus tard, Hamid Karzaï expliquait : « Il y a quelques jours, j’ai fait appel à leur chef, le mollah Omar, et j’ai dit : "mon frère, mon cher, reviens dans notre patrie, viens et oeuvre pour la paix et le bien de ton peuple, et arrête de tuer tes frères". » Il a également révélé qu’il avait demandé l’aide du roi Abdallah d’Arabie saoudite - en tant que « dirigeant du monde islamique », l’un des rares pays à avoir reconnu le gouvernement des taliban en Afghanistan dans les années 1990 - afin de faciliter des pourparlers de paix avec les taliban.

« Des entretiens sans précédent » avec les taliban

« Aucune négociation n’a encore eu lieu », a-t-il cru bon de préciser. Pourtant, selon l’hebdomadaire britannique The Observer de dimanche, un ancien dirigeant des taliban sert d’intermédiaire pour des « entretiens sans précédent » avec le gouvernement, en effectuant des navettes entre Kaboul, les bases des taliban au Pakistan, l’Arabie saoudite et certaines capitales européennes. Le journal fait d’ailleurs remarquer que lors du débat à l’Assemblée nationale, le 22 septembre dernier, le premier ministre français, François Fillon, expliquait que « nous devons explorer les façons de séparer le mouvement djihadiste international de ceux qui agissent pour des motifs nationaux ou tribaux. Des efforts en ce sens sont entrepris par des pays sunnites comme l’Arabie saoudite ». Autant d’informations qui, généralement, apparaissent lorsque les choses sont en cours.

Bref, tout se passe comme si les Occidentaux étaient prêts au retour de leurs anciens protégés (alors que les démocrates et les progressistes n’ont pas voix au chapitre, la Constitution « démocratique » n’autorisant que les partis islamiques). En échange de quoi ? C’est toute la question. Comme le déclarait Roland Muzeau au nom des députés communistes qui ont voté contre la prolongation de l’intervention des forces armées françaises en Afghanistan, lors du débat à l’Assemblée : « Le combat contre le terrorisme passe avant tout par un combat contre ce qui le nourrit, à savoir la misère des peuples et leur humiliation par des comportements dominateurs. » On en est loin.

Pierre Barbancey (L’Humanité 1.10.2008)



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