Le président renversé de l’île comorienne d’Anjouan demande asile à la France

jeudi 27 mars 2008
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Réfugié mercredi à Mayotte après avoir été renversé par une opération militaire des autorités comoriennes et de l’Union Africaine (soutenue par la France), Mohamed Bacar, le président déchu de l’île d’Anjouan, a été transféré jeudi sur l’île de la Réunion.

Yves Jégo, le nouveau ministre de l’Outre-mer a annoncé sur place qu’une procédure judiciaire serait ouverte contre Mohamed Bacar pour détention d’armes et entrée clandestine à Mayotte.

Les autorités comoriennes, qui l’accusent notamment de torture, emprisonnement arbitraire et déplacement de populations, réclament son extradition. A Mayotte et dans la Grande Comore les manifestations se multiplient pour protester contre la protection accordée par la France au président renversé.

L’envoyé spécial du journal Le Monde décrit l’effondrement du régime Bacar.

Il avait beaucoup promis, peu tenu. Sa sortie ne déroge en rien à cette règle. Mohamed Bacar, ex-président en rupture d’Anjouan, dans l’archipel des Comores, s’était solennellement engagé à mourir les armes à la main alors que s’achevaient, courant mars, les préparatifs d’un débarquement sur son île autonome, organisé par les autorités fédérales de la Grande Comore avec l’appui militaire de l’Union africaine. L’opération amphibie a finalement débuté mardi 25 mars à l’aube. Il n’a fallu que vingt-quatre heures au régime Bacar pour s’effondrer, et à son chef pour fuir Anjouan, mercredi 26 mars, vers la quatrième île de l’archipel, Mayotte, territoire français.

Autour de lui se trouvaient dix de ses proches dont une partie de sa garde rapprochée, munie d’armes. La nouvelle de l’arrivée du groupe à bord d’une vedette sur la plage du village de Nzavia, résidence du frère de Mohamed Bacar à Mayotte, s’est rapidement transmise dans l’île, où de nombreux habitants, Anjouanais, sont hostiles à l’ex-homme fort de l’île autonome.

Selon une source bien informée, le colonel a « échappé de peu à un lynchage ». Il a fallu que de gendarmes français soient dépêchés pour l’extirper de cette situation et l’emmener en zone de rétention, sur la petite île adjacente où se trouve l’aéroport.

Dès l’aube, des habitants de Mayotte d’origine anjouanaise ont tenté de se rendre sur cette petite île, reliée à la grande île par des barges, dont les autorités ont dû interrompre le trafic. La principale agglomération de Mayotte, était paralysée jeudi matin par des Anjouanais en colère, criant des slogans hostiles à la France.

La veille, Mohamed Bacar et ses compagnons de déroute avaient entamé une procédure de demande d’asile politique, selon des sources concordantes, ouvrant la voie à un contentieux entre la France et les Comores, qui affirment avoir lancé des actions en justice contre les piliers du régime en fuite.

Le terrain est d’autant plus miné qu’à Moroni, où s’organisaient aussi jeudi 27 mars dans la matinée des manifestations anti-françaises, Ahmed Abdallah Sambi, président de l’Union des Comores (autorités centrales), suspecte Paris de soutenir en sous-main la tendance séparatiste des responsables politiques d’Anjouan, dont Mohamed Bacar était le dernier en date.

Un départ en exil avait été proposé

L’appui français récent à l’opération militaire anti-Bacar aurait pu éliminer ces soupçons. Paris a soutenu politiquement le débarquement, et fourni une aide logistique, contribuant à transporter une partie des troupes tanzaniennes entre Dar es-Salam et Moroni, distribuant des rations militaires, des gilets pare-balles et des caisses de munitions (60 mm) aux forces fédérales comoriennes.

L’arrivée de Mohamed Bacar à Mayotte risque de ruiner ces efforts de réconciliation. « Le con, il l’a fait ! », s’est exclamé une source française proche du dossier, mercredi, en apprenant l’arrivée du colonel dans l’île de l’archipel qui a décidé, par voie de référendum, de rester française à l’indépendance en 1975. A plusieurs reprises, un départ en exil avait été proposé au colonel Bacar, qui avait repoussé cette éventualité avec hauteur.

L’ex-président a laissé derrière lui à Anjouan une île qui étouffait, une capitale qui le détestait, et des partisans abandonnés à eux-mêmes. Mais parmi les quelques six cents hommes, réunis dans ses troupes, les Forces de gendarmerie d’Anjouan (FGA), combien avaient encore envie de combattre pour lui ? Dans le huis-clos organisé par Mohamed Bacar en huit années de pouvoir, cet ex-élève de l’école navale de Brest avait fini par ne plus s’appuyer que sur un groupe restreint d’obligés, militaires, commerçants et affairistes en tous genres. Les ministres dévalisaient leurs ministères tandis que les fonctionnaires avaient cessé d’être payés.

Le président en rupture de ban a finalement décidé de fuir le combat, pour emprunter la route des clandestins d’Anjouan qui affrontent à longueur d’année l’océan Indien pour gagner Mayotte, à la recherche de travail, de soins médicaux, d’une porte vers un monde plus prometteur ou tout simplement de parents en situation régulière.

Pour arriver à Mayotte, de quelle partie de l’île le colonel est-il parti ? Sa présence a été, pendant quarante-huit heures, l’information la plus secrète et la plus déformée d’Anjouan. En milieu d’après midi, à Mutsamudu, la capitale, la rumeur de son arrestation s’était répandue comme un incendie. Aussitôt, de tous les quartiers de la petite ville, viscéralement hostile à l’ex-homme fort, des milliers de personnes avaient accouru à toutes jambes vers le port. Là, chacun espérait voir enfin celui qu’Anjouan appelle désormais ouvertement « le chien ».

Pendant plusieurs heures, des masses en liesse ont attendu que soit exhibé Mohamed Bacar en prisonnier, tandis que passaient, dans des pick-up, les nouveaux prisonniers de la journée, des membres du régime, civils ou militaires, et que le colonel, lui, filait secrètement vers Mayotte.

Jean-Philippe Rémy

Envoyé spécial

Le Monde du 27.3.08



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