La Cité de l’immigration ? Un ratage bien intentionné

lundi 5 novembre 2007
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Esclavage, colonisation sont des sujets tabous...quand ils ne sont pas glorifiés en douce à l’assemblée nationale. Pas étonnant dans ces conditions que le nouveau musée, la Cité de l’immigration, porte la trace de ces ambiguités et élude totalement la question des raisons fondamentales de l’immigration : la différence de niveau de vie entre pays riches et pays pauvres et le pillage de ces derniers ce qui les prive de toute possibilité de développement et nourrit l’exode.

Au delà des seules questions de la diversité soulevées à juste titre par l’auteur de cet article celles des rapports Nord Sud sont visibles...ailleurs que dans les musées.

L’immigration est le grand sujet incontournable du mo­ment partout en Europe, et plus encore en France qu’ailleurs. Dernière preuve en date, l’inauguration début octobre d’un nouveau musée, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Il a ouvert ses portes dans un quartier aisé aux abords du bois de Vincennes, loin de ces banlieues déshéritées où de jeunes musulmans [1] s’étaient soulevés il y a deux ans, mettant le feu à des milliers de voitures pour protester entre autres contre le ministre de l’Intérieur de l’époque Nicolas Sarkozy [devenu depuis président].

Sarkozy s’est débrouillé pour que ce musée, cher à son prédécesseur Jacques Chirac, fasse la une de l’actualité en brillant par son absence lors de l’inauguration. Beaucoup semblaient en avoir fait autant le jour où j’y suis passé. On m’assure qu’ils ont été des milliers à s’y rendre les premiers jours. Mais, en ce premier samedi après-midi d’ouverture, seules quelques personnes flânaient dans le musée. L’entrée est gratuite. Il n’y a ni boutique ni café tendance, et l’endroit a ce côté un peu bancal et mélancolique des installations temporaires. Le musée partage un bâtiment ancien avec un aquarium, qui occupe le sous-sol. La plupart des visiteurs que j’ai vus s’y dirigeaient.

Sobrement agencée avec des tableaux, des graphiques, des gadgets interactifs et tout un bric-à-brac de vieux objets censés rendre plus humaine une exposition plutôt aride et dépourvue de vie, la Cité de l’immigration est un ratage bien intentionné.

Sa réticence évidente à s’attarder sur des sujets sensibles comme la colonisation de l’Algérie était prévisible puisqu’il s’agit d’un projet officiel. Cela dit, le multiculturalisme, dont le musée, par son existence même, reconnaît la réalité, est un concept étranger et explosif en France. Contrairement à beaucoup d’autres pays européens, la France est un pays d’immigrés – on estime que 20 % à 25 % de la population actuelle ont des origines étrangères. Mais être français, ce n’est en aucun cas être français d’Afrique, français d’Asie du Sud-Est ou français des Antilles : il n’y a que des Français tout court.

Tel est l’idéal républicain, qui confère à tous les citoyens une égalité théorique et qui nie la réalité du racisme. La législation française interdit d’ailleurs le recensement selon des critères ethniques. [La loi Hortefeux, adoptée fin octobre par le Parlement, autorise désormais le recensement des origines ethniques.] Alors, quand un panneau mural du musée parle d’histoires de France, laissant entendre qu’il n’y a pas qu’une histoire française ni un modèle unique de Français, cette phrase fait à elle seule froncer bien des sourcils.

Etonnamment, le bâtiment choisi pour héberger la Cité a été construit à l’occasion de l’Exposition coloniale internationale de 1931. Sur sa façade, une fresque sculptée, petite merveille Arts-Déco réalisée par Alfred Janniot, représente des travailleurs des colonies trimant pour la gloire de l’Empire. En face, un monument commémoratif de 1934 rend hommage à Jean-Baptiste Marchand, qui participa à l’expansion française en Afrique. Droit dans son uniforme tropical impeccable, Marchand mène une troupe de serviteurs africains à demi nus. Via le bâtiment et le mémorial, le lieu reconnaît implicitement la face sombre du colonialisme français et place la nouvelle institution dans un contexte historique.

Le musée présente quelques pho­tos de manifestations contre des mesures anti-immigration, ainsi que des publications antisémites du tournant du XXe siècle. Pour le reste, il se contente de couvertures de magazines, de journaux jaunis et de détails anecdotiques encensant des sportifs issus de l’immigration comme les footballeurs Raymond Kopa et Zinedine Zidane, le chanteur franco-algérien Rachid Taha ou encore Chopin. Sous des vitrines plastifiées, élégantes mais peu pratiques, sont reproduits des témoignages d’immigrés. Le message ? Les gens émigrent de nombreux endroits différents, pour des raisons diverses, péniblement, souvent à contrecœur, et apportent leur culture avec eux. En voilà une découverte !

“L’histoire de l’immigration est une chose, et l’histoire de l’esclavage et celle de la colonisation en sont une autre”, m’explique le président du conseil d’orientation de la Cité de l’immigration, Jacques Toubon, un peu sur la défensive me semble-t-il. Pour un Américain, c’est comme si on avait conçu un musée des cultures afro-américaines en prenant bien soin d’éluder l’esclavage ou la ségrégation. Pour Nicolas Sarkozy, l’idée de repentance est une abomination. Un élu de son parti a proposé récemment le recours à des tests ADN pour vérifier la filiation des candidats au regroupement familial.

Parallèlement, la police a reçu l’ordre d’expulser 25 000 immigrés “sans papiers” [2] d’ici à la fin de l’année. Les journaux français ont publié des articles sur des immigrés comme Chulan Liu, une divorcée de 51 ans venue du nord de la Chine, morte le mois dernier après avoir sauté par la fenêtre au moment où des policiers frappaient à sa porte. Ou comme Ivan Demsky, 12 ans, fils de deux demandeurs d’asile russo-tchétchènes, qui, à Amiens, est tombé du quatrième étage alors qu’il tentait d’échapper avec son père aux forces de l’ordre.

Difficile de dire pour l’heure qui seront les visiteurs de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, à part des scolaires en sortie obligatoire. Pourtant, ce musée a le potentiel pour faire bouger les choses. Pour y parvenir, il doit faire davantage que feindre une impartialité érudite et présenter de vagues allusions aux injustices passées. Il doit tenter de prendre la tête d’un débat qui est en train de transformer la France et le reste de l’Europe.

Par Michael Kimmelman dans The New York Times du 31/10/2007

Transmis par Linsay


[1Musulmans ? il eut été plus exact de dire de jeunes pauvres ghettoisés dans des quartiers populaires où les habitants sont très majoritairement issus de l’immigration NDR

[2En français dans le texte.



Commentaires

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jeudi 8 novembre 2007 à 10h53 - par  Jean GUY

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