Le sursaut

mercredi 23 mai 2007
popularité : 5%

Au lendemain du second tour de la présidentielle se tenait à Marseille une réunion de Rouges Vifs 13. L’introduction qui y a été faite sert de base à cet article.

La république des bantoustans.

Sans prétendre pouvoir tout analyser juste quelques éléments de réflexion sur des résultats qui ne sont pas sans évoquer l’Afrique du Sud, celle d’avant Mandela.
Quand on regarde le vote Sarko ce qui ressort nettement ce sont trois tendances qui ont été confirmés par le second tour :

- C’est un vote de vieux, puisque les plus de 65 ans sont la seule tranche d’âge où il est majoritaire renouant ainsi avec une droite qui depuis 68 se fait peur avec cette jeunesse qui remet en cause le vieux monde.

- C’est un vote de riches ce qui s’observe dans les villes riches avec des scores jamais ou rarement atteints par la droite, mais qui s’observe aussi dans les quartiers riches de villes moins huppées et de ce point de vue le cas de Marseille est très éclairant avec une ville coupée en deux dans le sens Nord - Sud avec un Nord qui vote contre Sarko et un sud qui le plébiscite.

- C’est un vote de « petits blancs » ce qui s’observe de manière générale dans un certain nombre de quartiers populaires peuplés d’ouvriers à statut et possesseurs d’un petit patrimoine qu’ils ont gagné par une vie de travail et qu’ils ne veulent pas se « faire prendre par l’indigène de la cité d’à côté ». Cela est particulièrement observable dans des quartiers où se côtoient résidence pavillonnaire et HLM et où les bureaux de vote sont différenciés. Ainsi dans ces cas là on observe un double phénomène : Sarko est très loin derrière Ségo pour le bureau « HLM-bantoustan » [1], alors qu’il est devant pour le bureau « résidence ». Dans les noyaux villageois et les « quartiers classes moyennes », où les copropriétés dominent, là encore le vote Sarkozy est majoritaire. Le vote Le Pen, très fort au 1er tour (parfois encore 1er) se reporte sans sourciller sur Sarko. C’est aussi dans ces quartiers « classes moyennes » que le report des voix sur Ségo est le plus mauvais même si dans l’ensemble il est très massif.

Au fond c’est un vote de peur, d’incompréhension devant ce monde qui bouge où les blancs sont en minorité, où « l’identité de la France aux 2000 ans de chrétienté est remise en question par ces africains du tiers monde qui viennent nous envahir ». Un vote où se mêlent racisme ordinaire et défense de sa propriété privée.

Déjà en 2002 nous avions analysé ce phénomène en parlant des barrières, murs et portails de sécurité qui poussaient comme des champignons autour de certains quartiers...En soi le phénomène n’est pas nouveau donc, ce qui change c’est que le vote utile a joué à droite en se reportant sur un seul homme, un illusionniste réussissant à masquer son bilan, un homme trait d’union entre la droite et son extrême, qui a, pour une part mais pas totalement capté les voix d’extrême droite, ce qui veut dire qu’il a encore des réserves. On a beaucoup vanté la participation. Il est plus judicieux de dire que si c’est la plus forte depuis 30 ans, cela veut dire qu’elle est aussi sans doute le fait de gens qui n’ont plus voté depuis 30 ans et qui là se sont exprimés avec les éléments de compréhension du monde qu’ils avaient, les informations et les débats mis à leur disposition.

Car la question est bien là. Comment est on passé en 2 ans de 55% du refus d’une alliance internationale contre les peuples, 55% de refus d’un certain type de société et parmi ceux-ci, 31,4% de refus de « gauche » [2]à un peu plus de 9% de vote « antilibéral » ?

Il y a bien sûr les causes immédiatement visibles à savoir la division des antilibéraux avec pas moins de 5 candidats se réclamant du NON de gauche après le spectacle lamentable et largement médiatisé de la rencontre de St Ouen.

Mais il y a des causes plus profondes qu’il nous faut analyser.

Un résultat qui vient de loin.

« Celui qui n’est pas anticapitaliste n’a pas sa place dans le parti. » Ce n’est ni Besancenot ni Arlette qui parle mais Mitterrand au congrès du PS à Epinay en 1971. Et pourquoi dit il cela cet homme issu de la 4e république qui n’a cessé de multiplier les alliances et combinaisons avec la droite pour éviter que le parti anticapitaliste de l’époque, à savoir le PCF, ne soit au pouvoir ?

Pourquoi ?

- Parce que l’on est 3 ans après mai 68 (celui là même que veut balayer Sarko) qui a vu une des plus grandes grèves ouvrières aboutir entre autres à 35% d’augmentation du SMIC.
- Parce que le PCF, clairement anticapitaliste est à plus de 20% et est bien ancré dans les entreprises et les quartiers.
- Parce que le PS qui est clairement électoraliste doit affirmer cette identité s’il veut espérer gouverner un jour cette France qui s’est mise à rêver en mai d’une autre société.

Face, et non pas aux côtés, d’un parti clair sur sa théorie et fort sur son ancrage, avec une jeunesse qui en France et dans le monde, rejette le capitalisme, le PS n’a pas d’autre choix que de coller à cette idéologie. Dans la foulée de sa stratégie, le PS va mettre en Å“uvre l’union de la gauche et arriver au pouvoir en 1981. Avec le recul on peut dire que depuis 26 ans on a eu 2 ans de gauche au pouvoir, de 81 à 83, jusqu’à ce que le PCF quitte le gouvernement à cause de la politique de rigueur mise en place par le gouvernement Mauroy. Depuis cette année là, pour n’avoir pas voulu s’attaquer au capitalisme, le PS n’a cessé de reculer sur ses valeurs et ses repères.

Revenu au pouvoir en 97, il a entraîné dans sa dérive le PCF [3] qui n’a cessé de lui coller aux basques, perdant lui aussi ses repères et son idéologie.
Cette perte de repères de la gauche a été accélérée par le fait qu’au fur et à mesure qu’elle justifiait ses choix antisociaux elle a perdu le contact avec la classe ouvrière. Dès lors les militants syndicaux n’irriguaient plus la réflexion politique et en retour celle-ci ne charpentait plus le courant syndical de classe.

Le contact se perdait non seulement avec les syndiqués des grandes entreprises (on se souvient de l’épisode de la mixité du capital public privé vantée pour justifier les privatisations de Jospin et l’hémorragie d’adhérents PCF du service public) mais aussi et surtout avec les habitants des cités les plus pauvres que les politiques suivies transformaient en ghettos à chômeurs.

Ainsi, pendant que dans la classe ouvrière les différences entre travailleurs à statut (dont la proportion diminuait)... « blancs » et les chômeurs, les salariés du commerce et du nettoyage... « bronzés » s’accentuait, la gauche au pouvoir restait blanche, perdait le contact avec la réalité et s’embourgeoisait.

Pas étonnant que dans ces conditions les militants du changement de société et de la solidarité aient perdu pied et aient déserté les cités.

Qui va aujourd’hui dans les cités populaires ? Qui se bat contre les expulsions ? Les radiations ? Pire à force de renoncement la gauche en vient même à organiser la chasse aux pauvres ou à proposer les camps militaires pour la jeunesse. Se rappelle-t-on que la tolérance zéro, chère à Sarkozy, est un concept importé des USA par Rocard ?

Dans notre département on a même vu un président de « gauche » du Conseil Général se vanter du nombre de rmistes assistés radiés « grâce » à une procédure votée par tous les partis de « gauche » pendant que tous les acteurs concernés, chômeurs et travailleurs sociaux, la contestaient unanimement.

Cette partie la plus pauvre de la classe ouvrière qui s’entasse dans les ghettos, les responsables politiques ne la connaissent pas, pire elle leur fait peur. Devant les français bronzés ils ont un réflexe de petit blanc qui à son tour nourrit le vote d’extrême droite. Comment expliquer autrement le fait que les partis de la gauche classique ont tous mis aux 1ers rangs des priorités de leur programme la sécurité au lieu de la lutte contre la pauvreté et de mener la bataille idéologique sur cette question.

Face à cette armée de gueux, la seule arme de cette gauche archi dominée par le PS, est le clientélisme politique que l’on connaît bien en particulier à Marseille où le tissu associatif est devenu, parfois à son corps défendant, l’appareil électoral du PS. La conséquence prévisible d’un tel glissement c’est le retour aux alliances de la 4e république comme le dénonce avec juste raison Sarkozy. La différence c’est que le PCF ne pèse plus ni numériquement, ni idéologiquement, ni dans sa pratique pour faire contrepoids.

Nous ne sommes là ni pour nous lamenter, ni pour faire le procès des autres, ni enfin pour donner dans le registre de la nostalgie. De plus nous savons que ce qui se passe en France ne va pas forcément dans le sens de l’histoire du monde.

- Ainsi la décision du Venezuela et d’autres de se retirer de la banque mondiale et du FMI,
- ainsi la décision du Mali de nationaliser les secteurs de l’eau et de l’énergie face à une multinationale qui pèse 20 fois le budget national,
- mais aussi d’autres pays qui ne sont pas des modèles de marxisme léninisme tel le Brésil qui vient de casser le brevet du labo pharmaceutique Merck,
- telle l’Algérie qui refuse l’implantation sur son territoire de bases américaines.

Partout dans le monde des pays pauvres disent haut et fort leur droit à la souveraineté sur leurs richesses et refusent le diktat de l’empire américain. De même en Europe des partis communistes et progressistes remettent en cause le capitalisme et l’impérialisme et cherchent à réinventer un socialisme de notre temps sans se faire aliéner par l’idéologie capitaliste mondiale et il est significatif qu’ils ne soient rejoints en France par aucun parti de la gauche dans leurs initiatives.

Dans notre pays, qui n’est au fond qu’un petit pays de 60 millions d’habitants sur 6 milliards il nous faut retrouver des valeurs, une théorie, une pratique et pour cela il faut nous appuyer sur la classe ouvrière de notre temps, dans sa diversité, celle qui souffre le plus du système actuel, celle qui a la plus intérêt au changement et seule peut témoigner de ce qu’elle subit comme pauvreté, racisme, mal logement, bas salaires et qu’il faut changer.

Il nous faut retrouver selon le mot de Marx « une classe ouvrière moteur de l’histoire. »

A titre d’exemple récent ce qui s’est passé à La Rouguière avec l’arrestation d’Hamza, le tract de Rouges Vifs diffusé dans la cité par les animateurs du comité de soutien, le débat auquel ont participé 300 jeunes et qu’ils ont conclu par : nous devons faire de la politique et pas qu’au moment des élections, (débat dans lequel Rouge Vif était comme un poisson dans l’eau et où on a eu le sentiment que nous étions les seuls en prise avec les questions soulevées), est en soi une leçon de choses.

L’avenir repose sur nos capacités à lutter. Il appartient à ceux qui souffrent d’investir le syndical et le politique, outils considérables de changement du monde.

Unir et reconstruire

Si nous voulons que revienne le temps des victoires, pour ne parler que des questions politiques, car il ne nous appartient pas ici de parler ou de critiquer les stratégies et l’action des associations ou des syndicats, il nous faut mener le débat d’idées tout en participant aux combats que le capitalisme impose.

- Non l’avenir de l’humanité n’est pas dans l’individualisme.
- Non l’avenir de l’humanité n’est pas dans le racisme
- Non l’avenir de l’humanité n’est pas dans l’aliénation et dans la Star Ac
- Non l’avenir de l’humanité n’est pas dans la domination et le pillage des pays du Sud.

- Oui l’avenir est dans les droits collectifs
- Oui l’avenir est dans la solidarité
- Oui l’avenir est dans la gestion responsable des ressources
- Oui l’avenir est dans la souveraineté populaire

Il n’y aurait rien de pire que de céder à l’abattement et le pessimisme est un luxe que les pauvres ne peuvent s’offrir. La colère sans l’organisation c’est l’échec assuré et le renforcement de la répression : c’est bien ce qu’on a vu après les révoltes de l’automne 2005.
Il nous convient donc de s’organiser et de mettre en Å“uvre un plan de travail.

Le rôle de Rouges Vifs

Quand nous avons créé Rouges Vifs nous avions en tête de créer non une chapelle de plus, un groupuscule de plus, mais de permettre le rassemblement des communistes et plus largement des anticapitalistes. Nous partions du constat que nombre de gens avaient quitté le combat politique et qu’ils ne viendraient ou ne reviendraient pas dans les organisations existantes. Nous savions aussi qu’à l’intérieur de celles-ci, et plus particulièrement le PCF, il y avait des militant-e-s attaché-e-s à leur outil et qui essayaient de le changer de l’intérieur.

Notre démarche a été de construire l’unité sur des repères à retrouver et des combats à mener ensemble. Dans cet esprit nous avons dès le départ conçu possible que se retrouvent dans Rouges Vifs des personnes membres ou non par ailleurs d’une organisation politique. C’est encore plus d’actualité aujourd’hui où le mot reconstruire s’impose à toutes et tous.

A l’issue de cette réunion - à l’affluence peu banale - combative qui aura « redonné du tonus à celui ou celle qui était flagada » plusieurs décisions ont été prises :

- Diffusion dans les quartiers et les entreprises du tract de masse : « Nous ne nous laisserons pas faire. » appelant à la riposte et à la reconstruction d’une force révolutionnaire.

- Edition d’un appel aux syndicalistes et militant-e-s associatifs pour qu’il se réapproprient la politique et qu’ils s’engagent car ils ont un rôle irremplaçable à jouer dans la (re)création de la perspective politique.

- Tenue de réunions publiques par secteurs.

- Mise en place d’universités populaires politiques.

- Renforcement des liens au plan national afin d’avoir une meilleure visibilité.

- Renforcement des liens avec le mouvement communiste international afin d’aider à ce que notre pays soit présent dans des initiatives dont il est absent aujourd’hui.

Les plus de 20 000 tracts partis dans la foulée, les premières réunions de secteur tenues, les adhésions spontanées réalisées depuis le 6 mai (une par jour en moyenne), nous montrent qu’il y a bien un sursaut et que bien plus que la résistance, ici, nous sommes entrés dans la riposte...


[1Avec souvent des scores inférieurs à 2002 et des résultats jamais obtenus par la gauche

[2enquête de sortie des urnes du 29 mai 2005

[3Il y a bien sûr d’autres raisons à la dérive du PCF antérieure à ces années et qui ont été analysées par ailleurs...



Commentaires

Logo de Charles Hoareau
mercredi 23 mai 2007 à 22h36 - par  Charles Hoareau
mercredi 23 mai 2007 à 18h23