Tuvalu, paradis en sursis

jeudi 8 mars 2007
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Des myriades de poissons, des îles magnifiques, des lagons cristallins... Ce rêve n’aura qu’un temps, prévient le cinéaste australien Antony Balmain. Car l’archipel pourrait disparaître à cause du réchauffement climatique.

Face au vaste monde, Tuvalu tire sa beauté de sa petitesse. Sa population de 11 600 âmes en fait le plus petit membre du Commonwealth et le plus petit Etat indépendant de la planète après le Vatican - lequel, à la différence de Tuvalu, ne présente aucun athlète aux jeux du Commonwealth. Mais cet atout a son revers : Tuvalu pourrait être le premier Etat à disparaître de la face de la terre en raison de l’élévation du niveau des océans liée à l’effet de serre.

Il est difficile de croire, tant que vous ne vous y êtes pas rendu, que l’altitude moyenne du pays se situe à deux mètres au-dessus du niveau de la mer, tandis que son point le plus élevé culmine à près de... cinq mètres. Une étude récemment publiée par le British Antarctic Survey indique que le niveau des océans pourrait justement monter de près de cinq mètres à la fin du siècle. L’Australia Institute estime pour sa part que Tuvalu pourrait figurer parmi les quatre “pays bas” qui risquent d’être submergés si les prévisions climatiques s’avéraient exactes.

Je me suis rendu à Tuvalu en novembre 2005, afin d’y tourner un documentaire sur le pays et ses problèmes. Je m’étais préparé à un voyage imprégné de décontraction polynésienne. Pour avoir séjourné dans de nombreuses îles du Pacifique et rencontré plusieurs personnes originaires de Tuvalu, je savais à peu près à quoi m’attendre : des gens au physique enveloppé, des sourires rayonnants, un immense sens de l’humour et des repas pantagruéliques auprès desquels les plats les plus roboratifs servis aux Etats-Unis passeraient pour des portions pour anorexiques. Par bonheur, il n’existe aucun fast-food dans le pays, et on y trouve du poisson frais en abondance.

L’atterrissage se déroule sur une longue piste construite par les Américains pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans l’avion, un homme sympathique (dont j’appris plus tard qu’il était le président du Parlement de Tuvalu) m’avait expliqué que, pendant plusieurs mois de l’année, les avions ont des difficultés à atterrir du fait que la piste se trouve en partie submergée par les fortes marées. A notre descente d’avion, à la différence d’Elvis arrivant à Hawaii, nous n’avions pas eu droit aux guirlandes de fleurs autour du cou. C’était encore mieux. J’ai eu l’impression que la moitié des habitants étaient venus nous souhaiter la bienvenue, agitant les bras au milieu des cris de joie et de l’excitation générale.

Peu après, la piste d’atterrissage a retrouvé ce qui à l’évidence est sa principale fonction : un terrain de sport. Sur sa surface brûlante se pratiquent toute une série de sports, parmi lesquels le cricket de Tuvalu, le volley-ball, la marelle, le rugby, le football et le te ano, le volley tuvaluan. Pour éviter la chaleur du soleil tropical, on joue tôt le matin ou en fin d’après-midi. Le te ano, qui se joue avec deux balles dures comme des pierres, faites de feuilles de pandanus, ressemble à un mélange suicidaire de volley et de murderball [jeu violent d’origine écossaise mêlant football, rugby, cricket et boxe, dans lequel deux ou plusieurs équipes se disputent un ballon, et dans lequel tous les coups sont permis pour le récupérer]. Ces balles sont servies comme au volley mais à la vitesse d’une pierre lancée par une fronde, le long d’une ou plusieurs rangées de personnes rassemblant jusqu’à la moitié d’un village, soit de vingt à cinquante individus.

Durant la Seconde Guerre mondiale, 10 000 soldats américains étaient basés à Funafuti, devenue depuis la capitale de Tuvalu. Bob, un de ses sympathiques habitants, nous a appris qu’à l’extrémité de la piste d’atterrissage on pouvait encore voir des cratères laissés par les Japonais. Ces profonds entonnoirs ont fini par former des petits lagons artificiels autour desquels s’étend une zone surpeuplée ressemblant à un bidonville. Ailleurs, nous avons pu constater les effets des grandes marées, d’une amplitude de trois mètres, qui surviennent entre novembre et mars. Un phénomène inquiétant, qui oblige les gens à vaquer à leurs occupations quotidiennes avec de l’eau jusqu’aux genoux. Lorsque la marée atteint un niveau encore plus élevé, tout le monde - hommes, femmes, enfants, porcs, coqs et chats - est obligé de se réfugier sur les rares hauteurs.

Trouver de quoi se loger et se nourrir à Funafuti est une entreprise parfois hasardeuse. Toutes les chambres de l’unique hôtel de la capitale, le Vaiaku Lagi, qui appartient à des Taïwanais, sont généralement réservées par des personnes en déplacement officiel. Son restaurant est d’une qualité raisonnable, malgré ses menus répétitifs et les mets généralement un peu trop cuits. L’île principale de l’atoll, Fongafale, comporte une poignée de maisons d’hôtes dotées du minimum de confort, comme Filamona House, Island Breeze ou Hideaway. La plupart de ces établissements proposent de goûteux repas maison et vous accueillent avec une formidable hospitalité. Les plats de poisson sont le choix le plus judicieux, vu la quantité disponible.

On m’avait prévenu que Funafuti était une ville sale et surpeuplée, comptant 40 % de la population du pays sur une étroite bande de terre. Pourtant la capitale, du côté du lagon, est très belle ; assis au coucher du soleil avec quelques autochtones, une boisson fraîche à la main, je me suis cru un instant au paradis. Les enfants font preuve d’une formidable énergie et enchaînent, depuis la jetée, les plongeons arrière dans le lagon. Lors de nos balades dans l’île, nous avons facilement établi le contact avec les habitants, que ce soit ce jeune homme sur la plage avec son ordinateur portable, une marchande de poissons ou un vieil homme jouant avec son arrière-petit-fils. Tous exprimaient cette même assurance liée à leur culture et à leur fierté d’habiter cet endroit.

La plus grande partie de l’île de Fongafale est rocheuse, mais il est facile de louer un bateau pour se rendre sur un des nombreux îlots environnants afin d’y pêcher, d’y faire de la plongée ou de la pêche sous-marine. On est là dans une zone de protection naturelle remarquable, où l’on peut observer la ponte des tortues vertes, de nombreux oiseaux marins et des forêts primaires. Avec un peu de chance, vous pourrez observer des raies manta et des dauphins ainsi qu’une incroyable variété de coraux et une flore sous-marine variée. J’ai vu d’innombrables poissons, aussi bien dans mon assiette que sous l’eau.

Le joyau de Tuvalu reste sans conteste le chapelet d’îles réparties autour de l’atoll. Nous avons embarqué à bord du ferry (qui assure le transport des voyageurs et des marchandises entre les neuf îles de l’archipel) pour aller à Vaitupu, la deuxième des îles par la taille, à environ 80 kilomètres au nord de la capitale. Le voyage fut pittoresque, c’est le moins que l’on puisse dire. Comment aurait-il pu en être autrement quand un des passagers, un chef steward transsexuel ivre qui faisait le clown, a dû être brièvement menotté (à moitié pour rire) par le capitaine du bateau qui entendait le/la calmer ? J’ai éprouvé un certain soulagement à le voir ainsi mis à la raison, car l’oiseau en question avait déjà essayé de me suivre dans ma chambre en me faisant des propositions. (Durant le retour, ce même steward était de service et se comporta d’une manière irréprochable.)

Juste avant l’aube, le ferry pénétra dans les eaux dangereuses qui entourent Vaitupu. Un canot nous a amenés jusqu’au port, dont les eaux ne sont pas assez profondes pour accueillir les gros navires. Ceux d’entre nous qui avaient eu la chance de pouvoir loger dans une cabine de première ou de deuxième classe paraissaient relativement frais et dispos, mais les passagers tuvaluans qui avaient dormi à même le pont étaient fatigués. Ils avaient eu juste assez de place pour se coucher en chien de fusil sur une natte de feuilles de pandanus, au milieu des poulets et des bagages entassés à l’arrière. Ce périple éprouvant en valait pourtant la peine. Nous séjournâmes dans la maison d’hôtes du Vaitupu Council, unique hébergement de l’île. Réveillés dès l’aube par les coqs, nous avons pu contempler la brume qui s’élevait de la surface cristalline du lagon. Le confort de l’établissement était rudimentaire. C’était une simple cabane de bois avec un toit de feuilles, aux chambres très proches l’une de l’autre. Il y avait des matelas, des draps et des moustiquaires, mais guère plus. Pourtant l’endroit était assez spacieux pour que mon cameraman, Phil, notre accompagnateur tuvaluan et moi-même puissions y séjourner correctement.

Le jour de la grande fête de Vaitupu est arrivé, marqué par la fête du fatele. L’événement, très attendu, est célébré par des chants, des danses, des cérémonies religieuses et des jeux (de nouveau le te ano), ainsi que par une consommation incroyable de poisson cru et cuit, de taros, d’œufs, de bananes et autres mets, aussi bien au petit déjeuner qu’au déjeuner et au dîner. Le tarif ? Il est vrai que nous étions des hôtes un peu spéciaux mais, pour le prix d’un repas dans un modeste restaurant australien, vous pouvez vous rassasier d’une quantité appréciable de sushis. N’oubliez pas qu’ici vous pouvez acheter un thon de deux kilos pour environ deux dollars.

Le chef de Vaitupu nous a accueillis chaleureusement. Fascinés, ses petits-enfants ont insisté pour nous adresser les quelques mots d’anglais qu’ils connaissaient et, d’une manière générale, ont montré le même enthousiasme que leurs compatriotes pour le mode de vie tuvaluan. Leur pays a beau être en train de couler, ce n’est pas cela qui va gâcher leur joie de vivre. Vaitupu possède une belle église, qui semble tout droit sortie du passé de l’Espagne ou du Portugal. L’histoire de ce pays se lit dans son architecture. Avec leurs influences espagnoles, allemandes, néo-zélandaises et britanniques, les monuments historiques et les pierres tombales rappellent l’époque coloniale et celle des grandes routes commerciales.

La religion est une affaire sérieuse pour les Tuvaluans, dont environ 95 % appartiennent à la Protestant Church of Tuvalu (EKT). L’EKT est l’avatar moderne de la London Missionary Society, qui fut accusée de vouloir extirper la religion indigène et interdire de nombreuses pratiques culturelles locales. Le chef de l’Eglise tuvaluane, le révérend Kitiona Tausi, m’a expliqué que ses nombreux compatriotes avaient du mal à croire aux prédictions des scientifiques concernant le risque d’engloutissement du pays car, d’après la Bible, la Terre a déjà subi il y a bien longtemps la grande montée des eaux. Mais le révérend Tausi et beaucoup de ses ouailles commencent à comprendre que l’élévation du niveau des océans est le fait des hommes, non celui de Dieu.

Nous avons entendu plusieurs autochtones déplorer que la plupart des îles de Tuvalu aient perdu une partie de leurs plages de sable à la suite d’une combinaison de fortes marées et de cyclones, deux phénomènes liés au réchauffement planétaire. Mais j’ai pu constater que Vaitupu, en tout cas, possédait encore quelques belles plages immaculées. Se rendre dans les îles périphériques peut tourner à l’aventure. Nous avons eu de la chance : à l’aller comme au retour, notre ferry est parti à l’horaire prévu, à une demi-journée près. En général, les dates des ferries ne sont guère fiables et j’ai entendu des histoires de touristes coincés plusieurs jours, voire des semaines d’affilée sur une de ces îles. Tout compte fait, pourtant, j’ai pu vivre de près la culture des îles du Pacifique, qui constitue le cœur du mode de vie polynésien, fait de décontraction souriante. Tuvalu n’est pas le genre d’endroit où aller si vous voulez passer des vacances avec télévision, cinéma et boîtes de nuit - il n’y a pratiquement rien de tout cela là-bas. Toutefois, Tuvalu est un endroit différent, qui m’a réchauffé le cœur. Allez vous en rendre compte par vous-même - mais ne tardez pas : ces îles ne seront peut-être bientôt plus là.

Source : The Age

Transmis par Linsay



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