La « pharmacie des pays pauvres » menacée

jeudi 1er février 2007
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Le groupe pharmaceutique suisse Novartis intente un procès à l’Etat indien pour breveter une molécule anticancéreuse, aujourd’hui commercialisée en Inde sous forme générique. L’enjeu, selon MSF et plusieurs ONG : l’approvisionnement en génériques des pays du sud, dont New Delhi est le principal fournisseur.

« Apartheid sanitaire »... MSF lâche la grosse artillerie sémantique pour décrire les enjeux du procès intenté à l’Inde par la multinationale pharmaceutique Novartis. Selon Annick Hamel, du département des opérations de MSF, si Novartis sort gagnant du bras de fer, la principale source de médicaments génériques « risque de se tarir », influant sur le sort de millions de patients dans les pays en développement.

En 1995, l’Inde intègre l’OMC. Elle doit alors se plier aux règles commerciales en vigueur en matière de droits de la propriété intellectuelle (Adpic). En 2005, leur transposition dans la législation indienne conduit New Delhi à accepter de plus en plus de brevets déposés par les groupes pharmaceutiques - dont la validité s’étale sur 20 ans ( !) -, réduisant d’autant la possibilité pour les laboratoires indiens de fabriquer des génériques. Dans le même temps l’Inde joue sur une des clauses des accords Adpic, une sorte de garde-fou, qui limite les brevets aux molécules réellement innovantes. Une modalité autour de laquelle se joue aujourd’hui le procès entamé à Madras le 29 janvier. Au centre des débats, un anticancéreux : le « Glivec ».

Non breveté par l’Inde car considéré comme une simple amélioration d’un produit déjà existant, le « Glivec » est vendu par Novartis, sur son site internet, comme « une des avancées médicales les plus importantes du 20e siècle ». D’après Jean-Hervé Bradol, président de MSF, « Novartis bluffe en voulant faire croire que la législation indienne n’est pas en conformité avec la loi », avant de poursuivre : « Nous ne mettons pas en cause le fait que les laboratoires perçoivent des royalties. D’ailleurs le « Glivec » est un très bon produit. Simplement, Novartis veut imposer un nouveau brevet sur une molécule retouchée chimiquement, mais dont les effets sont identiques à la première ».

Pour sa défense, le laboratoire suisse affirme ne contester « aucune des dispositions de la loi indienne sur les brevets conçues pour favoriser l’accès aux médicaments ». Peut-être conscient d’apparaître comme le grand méchant loup dans cette affaire, Novartis affirme qu’il défend avant tout des principes (les droits de la propriété intellectuelle) et met en avant ses actions en faveur des malades démunis dans le monde, à travers les 2% de son chiffre d’affaires qu’il y consacre (soit 775 millions de dollars), les dons gratuits de « Glivec » et ses différents partenariats avec l’OMS.

Ce qui n’a pas empêché le « Public Eye on Davos », en marge du Forum économique mondial, de l’épingler en lui décernant le prix de l’entreprise la plus irresponsable de Suisse. En 2006, son chiffre d’affaires atteignait les 38 milliards de dollars, pour un bénéfice net de 7,2 milliards (+17%)... Ajoutons que la firme dispose du brevet du « Glivec » dans une quarantaine de pays. Alors, pourquoi vouloir encore conquérir le marché indien ? L’Inde est le principal fournisseur en génériques des pays du sud. Le « Glivec » made in India est disponible pour moins de 200 dollars, contre 2 600 dollars dans les pays où la molécule est brevetée.

Si la multinationale bâloise gagne, « la décision pourrait faire jurisprudence et ensuite s’appliquer à d’autres médicaments génériques comme les antirétroviraux » (contre le VIH/Sida), selon Jean-Hervé Bradol, ce qui équivaudrait à fermer la « pharmacie des pays pauvres » (10 000 demandes de brevets attendraient d’être autorisées en Inde). Une catastrophe pour la majorité des millions de personnes atteintes du sida dans les pays du sud, dont l’Inde est le principal fournisseur en génériques (pour un coût de 20 à 50 fois moindre). Rappelons qu’avant leur apparition, la plupart des porteurs du VIH africains, par exemple, ne pouvaient bénéficier des trithérapies.

Les pays producteurs de génériques, comme l’Inde, le Brésil ou la Thaïlande, font face à une véritable « offensive de la part des grands groupes pharmaceutiques, parfois relayés par des Etats », poursuit le président de MSF ; laquelle se matérialise par des procès ou des pressions commerciales. « Nous avons des témoignages de ministres sud-américains à qui les Etats-Unis demandent de renoncer en partie à leurs génériques pour pouvoir écouler leur production de fruits sur le marché américain », précise Jean-Hervé Bradol.

MSF a déjà lancé une pétition*, soutenue par des ONG comme Oxfam, Health Action International, et signée par 300 000 personnes. L’association espère faire pression sur Novartis pour qu’il abandonne ses poursuites, en se basant sur l’expérience de 2001 (200 000 signataires avaient permis de faire reculer 39 firmes pharmaceutiques qui voulaient intenter un procès au gouvernement sud-africain sur la question des génériques). Le procès reprend le 15 février...

Source AFP

Transmis par Linsay



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