Vaucluse : une première ignoble et incroyable !!

mardi 22 mars 2022
par  Charles Hoareau
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Ce sont nos camarades de l’ANC 84 qui nous en ont informés : le conseil départemental de Vaucluse réclame plus de 38.000 euros à un mineur de Guinée-Conakry…

Pour la première fois, le tribunal correctionnel va se prononcer sur la demande de remboursement du Conseil Départemental de Vaucluse qui réclame plus de 38.000 euros à un jeune de Guinée Conakry au motif que ce jeune aurait menti sur son âge et qu’il ne serait pas mineur.
Il faut savoir que les mineurs étrangers en France bénéficient (en principe) des mêmes droits que les mineurs français en vertu de l’article L112-3 du code de l’action sociale et des familles.
En principe.
Parce que dans la réalité pour faire reconnaître ce droit c’est le parcours du combattant ou la course d’obstacles pour ces jeunes qui ont quitté leur pays, parfois enfants, pour fuir la guerre et la misère.
- Et le premier obstacle est la reconnaissance de la qualité de mineur.
- Le jeune homme, que nous appellerons Moussa, est arrivé en Europe en 2018. Il n’a pas de passeport mais seulement son acte de naissance et un jugement supplétif.
- Les services du Département, mettent en doute la validité de la carte et des autres papiers guinéens qu’a pu fournir Moussa et, puisque c’est bien connu ils sont experts en pédiatrie, dans leur élan, contestent aussi son âge. Et donc son droit de ne pas être expulsé.
- Le Conseil Départemental qui a la charge de l’accompagnement des mineurs, saisit alors le Procureur de la République. Pourtant Moussa a fourni une carte consulaire, grâce au soutien de l’association ROSMERTA, carte dûment estampillée par la République de Guinée Conakry puisque délivrée par son ambassade en France.
- Le Procureur a confié l’enquête à la police aux frontières qui a émis un avis défavorable sur l’authenticité des documents guinéens mais ne remet pas en doute directement l’authenticité de la carte consulaire.
- Du coup, l’institution, qui n’en est pas à son coup d’essai, conteste, elle aussi cette validité et au lieu d’attendre que Moussa ait la capacité de fournir un passeport ou d’interroger elle-même l’ambassade, décide sans preuve de porter plainte considérant que Moussa est majeur et qu’il a donc fraudé pour pouvoir être pris en charge.

Hop à la rue ! Et en prime un procès en restitution de 38.280,34 euros pour près d’un an de prise en charge ! Plus de deux fois le SMIC pour la période !!!

Le Conseil Départemental avait déjà tenté cette démarche et à chaque fois le tribunal s’était déclaré incompétent mais là ce n’est pas le cas et une audience aura lieu le jeudi 24 mars [1] qui va déterminer si Moussa est majeur et, autre point, s’il doit rembourser les sommes qu’on lui réclame.

Comment la justice va déterminer l’âge de Moussa ? 1re question ! Moussa avance l’argument de ses papiers : si le Conseil les conteste n’est-ce pas à lui de prouver ce qu’il avance ? Si même les papiers étaient faux qui prouve que Moussa a plus de 18 ans ? Comme le dit son avocate, Maitre Véronique MARCEL on est face à une politique « discriminatoire » : « dès qu’il a un doute - et c’est très souvent - le conseil département rejette ces jeunes à la rue. Ils errent ou sont pris en charge sans suivi médical ni démarches administratives. Si on se pose la question de leur identité, le conseil départemental devrait appeler lui-même l’ambassade. Ils ne le font jamais car la volonté du département est d’accueillir le moins possible de jeunes étrangers pour des raisons évidemment politiques. »

Et de poursuivre : « imaginons une famille ukrainienne dont la maison a été entièrement détruite y compris les documents comme les passeports ou la carte nationale d’identité, quand ils arrivent en France, comment font-ils pour prouver leur identité ? C’est exactement la même question qui se pose pour les migrants africains. En plus, lorsqu’ils partent de chez eux, les passeurs confisquent les documents ».

Et puis au-delà de l’âge et des questions de droit, il y a le fond même de la démarche de l’institution.
Imagine-ton du côté du Conseil Départemental que la jeunesse qui quitte des pays ravagés par les guerres et l’impérialisme (et dans le cas de la Guinée Conakry il s’agit de l’impérialisme français) le fait de gaieté de cœur ? Croit-on chez ces élus que les jeunes qui risquent leur vie le font par amour de l’aventure ?
Non seulement la question ne semble pas traverser l’esprit de nos édiles mais ils plongent dans le sordide en demandant le remboursement des sommes dues selon un décompte qui relève de l’indécence.
- 24574 pour un hébergement dans un hôtel à 82€ la nuit soit 2400€ par mois comme s’il n’y avait pas d’autre solution !!! Ce sont les élus que l’on devrait poursuivre pour gaspillage de nos impôts !
- 200€ pour les transports et 80€ pour les chaussures : et pour l’air que Moussa respire gratuitement depuis un an on ne demande rien ?
- Et enfin comble du comble 11.666 euros pour un accompagnement d’une heure par semaine, alors que non seulement comme le dit Me MARCEL « c’est l’association Rosmerta qui a fait les démarches médicales et administratives » mais en plus selon cette logique on va faire payer le salaire des enseignants aux élèves qui redoublent celui des fonctionnaires aux chômeurs et celui des juges aux vendeurs à la sauvette !! Les élus départementaux confondent cabinet de vente à but lucratif et service public !!!

Ce faisant c’est le social qu’ils assassinent. Contrairement aux USA où le mur à la frontière du Mexique pour empêcher les migrants de rentrer est une suite logique d’une histoire de colonisation, de génocide des autochtones et de croissance égoïste avec un système qui dès le départ a prôné l’individualisme et l’impérialisme pour ses seuls intérêts, contrairement à cette puissance mondiale qui s’est décrétée depuis gouverneur du monde, la France en particulier depuis le CNR, a connu au pouvoir des forces qui ont prôné d’autres valeurs à travers son système social et son statut de la fonction publique, deux notions qui ont fait son originalité dans le monde capitaliste.

Bien sûr que de tous temps il y a eu des ratés et des insuffisances, bien sûr que les guerres coloniales ont entravé cette volonté issue de la Libération de promotion collective, d’accueil et d’égalité d’accès au droit.
Mais pour autant la France est héritière d’un système qui donne au travailleur social non pas le statut de contrôleur mais celui d’accompagnateur en vue de l’émancipation.
De lois liberticides en lois restrictives des droits des étrangers dans un monde ravagé par les inégalités, c’est cette fonction même du système social qui est attaquée et les missions des personnels qui sont dévoyées.

Que cherche le Conseil Départemental ? Le rejet pur et simple des mineurs pour s’en débarrasser ? Sauf à les envoyer dans l’espace ils continueront à peupler la planète et leur pauvreté nous rend plus pauvres du Nord au Sud à moins de vouloir être nous aussi dans le camp des pilleurs de la planète et oublier que l’on ne peut prospérer sur un champ de ruines.

La Guinée Conakry

Colonie portugaise puis française, elle devient indépendante en 1958 sur un territoire dont les contours ne sont pas liés à l’histoire (elle était auparavant rattachée au Sénégal) mais aux tripatouillages coloniaux dans la région entre la France, l’Angleterre et le Portugal. Elle fait immédiatement la dure expérience de la volonté de la France de lui imposer « l’indépendance sans la souveraineté » chère au Général De Gaulle. « En réaction [au vote pour l’indépendance], et comme avertissement aux autres territoires francophones, les Français se sont retirés de la Guinée en deux mois, emportant tout ce qu’ils pouvaient avec eux. Ils ont dévissé les ampoules, emporté les plans des canalisations d’égouts à Conakry, et même brûlé les médicaments plutôt que de les laisser aux Guinéens. » [2].
Cela ne suffisant pas, la France imprime des faux billets pour déstabiliser la jeune république de Guinée. Puis les services secrets français financent et forment une opposition armée et le Portugal fasciste de Salazar et Caetano tentera même un coup d’état contre Sékou Toure le 1er dirigeant de la Guinée. La Guinée résiste et maintient son cap malgré tout.

A la mort de Sékou Toure en 1984 la Guinée est le théâtre du 1er coup d’état réussi. S’ensuivra alors une période d’instabilité de coups d’état en gouvernements transitoires qui dure jusqu’à aujourd’hui et dans laquelle la main de la France est omniprésente :
Coup d’état en 2008, Gouvernement de transition en 2010, présidence d’Alpha Condé jusqu’en 2021 malgré une tentative de coup d’état, puis coup d’état en 2021.

C’est la 1re réserve mondiale de bauxite, elle possède aussi du fer, de l’or et des diamants. Bref de quoi attirer les convoitises des puissances étrangères et de leurs multinationales comme Rio Tinto et semer la misère et la guerre…que la jeunesse fuie quand elle le peut au péril de sa vie…

L’avenir du monde sera la richesse partagée ou ne sera pas. Ce procès intenté à un adolescent à qui le capitalisme mondial n’a laissé guère d’autre choix que l’émigration avec tout ce qu’elle comporte pour lui comme arrachement à sa terre, à sa famille et à son environnement proche, outre l’absence totale d’humanité dont il est la preuve est le témoin d’un aveuglement qui creuse des fossés entre les habitantes et habitants de la planète bien plus infranchissables que tous les murs du monde aux frontières des pays riches. Il est une marque de bêtise, d’indignité et d’inhumanité.

Pendant ce temps-là, malgré toutes les incertitudes liées au présent et à l’avenir, Moussa s’accroche et a obtenu en surmontant les difficultés que l’on imagine, son CAP à Avignon et prépare actuellement un bac pro en logistique. Il nous indique où se trouve la dignité et où placer notre confiance dans le futur de notre société.


[114h 2 Boulevard Limbert Avignon

[2Washington Post 28 mars 1984



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